Jean Gaubert : "l'ouverture à la concurrence n’a pas fait diminuer les prix"

Jean Gaubert : “l’ouverture à la concurrence n’a pas fait diminuer les prix”

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Après la publication du baromètre Énergie Info, le Médiateur national de l’énergie, qui a quitté ses fonctions le 18 novembre 2019, décrypte pour l’EnerGeek les grands enjeux du marché de l’énergie. Selon Jean Gaubert, libéralisation ou pas, on se dirige vers une période où l’énergie sera plus chère. Même s’il estime qu’il ne faut pas freiner l’innovation et la liberté du commerce, il continue à dénoncer les démarchages abusifs à domicile. Rencontre…

  • Dans le baromètre Energie Info publié le 5 novembre 2019, vous signalez que les Français considèrent que la qualité de service se dégrade alors que les prix augmentent, à qui la faute ?

Une chose est désormais certaine : la concurrence n’a pas fait diminuer les prix. Indépendamment de l’ouverture à la concurrence, on sait qu’on se dirige vers une période où l’énergie sera plus chère. Au mieux, avec la concurrence, on pouvait penser que les prix allaient moins augmenter. Aujourd’hui, ce n’est pas facile à démontrer !

Ceux à qui on avait promis une baisse des prix de l’électricité ou du gaz, ont en réalité du mal à percevoir les bénéfices de ce système plus complexe. D’autant que parallèlement, certains arnaqueurs tentent de profiter de l’ouverture de ce marché… À l’évidence, la faute est partagée. Au moment des négociations avec Bruxelles, à l’époque j’étais parlementaire, j’avais pourtant prévenu : pour l’énergie, la concurrence ne peut pas être gage de baisse des prix. Car en plus des coûts inhérents au remplacement d’un système par un autre, la construction de nouvelle(s) centrale(s) nucléaire(s) et le développement massif des énergies renouvelables, ne nous permettaient guère de nous d’illusion.

On parle souvent de la raréfaction des ressources, mais que se passerait-il si le baril de pétrole était durablement fixé à 150$ ? Il nous reste un stock d’énergies fossiles (gaz et charbon en plus), mais pour des questions climatiques, nous avons l’impératif de réaliser notre transition énergétique. Elle sera dans un premier temps coûteuse, et aucun expert ne pouvait l’ignorer au moment où on préparait la libéralisation. Une seule différence avec aujourd’hui peut-être, à ce moment on expliquait encore que l’énergie allait se renchérir en raison des prix de l’extraction du pétrole, plus qu’à cause des investissements nécessaires dans le solaire et l’éolien…

  • La libéralisation du marché de l’électricité, bien de première nécessité selon le Conseil d’Etat, est-elle inéluctable ? Pourquoi ?

C’est dans l’air du temps. Qui pourrait aujourd’hui défendre la renationalisation totale du marché de l’électricité ? Ce qu’il faut espérer, c’est que la situation se stabilise, que les opérateurs gagnent en maturité, notamment dans le choix de leurs sous-traitants pour le démarchage. Pour l’instant, certaines pratiques commerciales douteuses jettent l’opprobre sur le secteur !

Depuis deux ans, la confiance est d’ailleurs en baisse sur le marché… Des phénomènes complexes sont en jeu, mais cet enseignement du baromètre est inquiétant. Il y a plusieurs raisons, principalement l’absence de baisse des prix, mais aussi des acteurs qui se mettent à vendre tout et n’importe quoi. L’électricité est un bien complètement volatile, et un peu comme à la bourse, tout se décide à la seconde près. Actuellement, l’électricité peut se vendre par bloc, à l’heure voire au quart d’heure. En définitive, l’électricité se stocke très peu ; aussi, notre parc hydroélectrique restera pour longtemps notre meilleure solution de stockage. C’est un véritable atout pour le réseau électrique français, qui devrait idéalement continuer à profiter de la complémentarité du mix électrique.

Du fait de toutes ces spécificités, j‘avais exprimé des réserves sur la libéralisation de l’électricité. En tant que médiateur, j’ai toutefois loyalement surveillé l’application de la nouvelle réglementation ; mais jusqu’à présent, on ne me fera pas dire qu’elle a généré des améliorations pour les consommateurs.

  • Avec la loi Pacte, les TRV gaz sont voués à disparaître, qu’adviendra-t-il pour les ménages qui ne souhaiteront pas changer de contrat ?

Contrairement à l’électricité, le gaz n’est pas un bien de première nécessité, puisque qu’environ 20 millions de foyers ne sont aujourd’hui pas raccordés au gaz en France. Aussi, nous n’avons logiquement pas les mêmes perspectives. Depuis le 20 novembre 2019, ENGIE ne peut plus commercialiser ses contrats gaz au tarif réglementé.

À présent donc, tous les ménages au TRV gaz vont être obligés de changer de contrat, c’est la loi. Ils ne sont pas obligés de changer d’opérateur, mais ils sont obligés de changer de contrat. Il n’y aura pas de notion d’ancienneté sur ces contrats ; avant 2023, le fournisseur historique, en lien avec les pouvoirs publics, va envoyer des courriers, et tous les fournisseurs vont vous bombarder d’offres mirifiques. Au bout de ce processus d’information, nous n’assisterons pas à des coupures instantanées de gaz, mais il faudra trouver le moyen de vous convaincre d’accepter une autre offre. Pour lever les réticences, il faudra sans doute passer par l’intermédiaire des Centres communaux et d’actions sociales (CCAS) et des élus locaux.

  • Dans le baromètre Energie Info toujours, 15% des répondants déclarent avoir souffert du froid au cours de l’hiver, que peut faire le médiateur contre la précarité énergétique ?

Le Médiateur de l’énergie ne peut rien faire, sauf alerter, car cela sort de ses compétences. Néanmoins, je pense qu’il faut battre en brèche l’idée selon laquelle il serait nécessaire d’augmenter le prix de l’énergie pour que les ménages fassent des économies. En effet, bien souvent, les coûts sont tellement élevés que les foyers cherchent déjà à minimiser leurs consommations. Le deuxième message que nous tenons à faire passer, c’est l’importance de réussir les programmes de rénovation énergétique. Peu importe le prix du gaz ou de l’électricité, nos concitoyens n’auront jamais les moyens de chauffer la rue… Concrètement, pour lutter contre les passoires énergétiques, il faudra aussi à l’avenir chercher à simplifier les dispositifs.

  • Est-il aujourd’hui possible d’intenter une action collective à l’encontre des acteurs de l’énergie qui ne respectent pas les règles ? La DGCCRF a-t-elle prise des sanctions exemplaires ?

Les associations de consommateurs ont tenté d’intenter des recours, seulement la liberté du commerce existe. Lorsque des abus sont constatés, comme ce fut le cas pour le démarchage, la DGCCRF a effectivement prononcé des sanctions dissuasives. La difficulté, c’est de trouver une réponse à la bonne mesure. La décision contre ENGIE, 900 000 euros, ce n’est pas que symbolique ! Et pour cause, les marges sur les particuliers ne sont pas si élevées que ça dans le secteur de l’énergie…

  • Pour contrer démarchage, une proposition de loi est actuellement examinée à l’Assemblée nationale. Sa principale mesure est radicale : interdire ni plus ni moins le démarchage téléphonique, via appel ou sms. Pensez-vous que cela soit la solution ?

Je ne suis pas sûr que cela soit conforme à la liberté du commerce. Au cours des dernières années, moi-même j’ai reçu de très nombreuses sollicitations. Je vois donc parfaitement les dérives ! Cependant, il faut faire attention à ne pas tomber dans l’excès de réglementation.

  • En cette fin de mandat en tant que Médiateur national de l’énergie, quel bilan faites-vous de l’évolution du marché de l’énergie en France ? Quels axes prioritaires attend votre successeur ?

Le marché de l’énergie est désormais ouvert, même s’il n’est pas encore à l’optimum… Le comportement de certains acteurs freine les consommateurs, et les opérateurs historiques conservent un rôle central en France. Tout le monde gagnerait à être plus vertueux !

À l’avenir, j’espère par ailleurs que le médiateur conservera ses moyens d’agir. Lorsque mon successeur aura été désigné, il lui appartiendra de fixer sa propre feuille de route. L’autorité indépendante doit remplir une mission sensible, faire la liaison entre « le pot de terre » et « le pot de fer ». La plupart du temps cela consiste à prendre le temps d’écouter les personnes, et de leur fournir des explications : une mission de service public.

Rédigé par : Jean Gaubert

Jean Gaubert
Jean Gaubert a été Médiateur de l'énergie de 2013 au 18 novembre 2019. Né le 3 mars 1947, agriculteur de profession, ancien député des Côtes d’Armor et ancien vice-président du Conseil général en charge des affaires économiques, Jean Gaubert préside le syndicat d'électricité de son département depuis 1983. Il est par ailleurs vice-président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) qui réunit les collectivités locales organisatrices des services publics de l’énergie, de l'eau et des déchets. Spécialiste des questions relatives à la consommation et à l’énergie, Jean Gaubert a été rapporteur du budget de la consommation à l’Assemblée nationale de 2006 à 2012. En 2011, il a mené une mission d'information sur la sécurité et le financement des réseaux de distribution d'électricité.
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COMMENTAIRES

  • Bien sûr que non, l’ouverture à la concurrence n’a pas fait baissé les prix et d’ailleurs le fait de déclarer que la concurrence allait faire baisser les prix de l’électricité est une absurdité commise par les moins compétents qui ne savaient pas, une malhonnêteté pour les plus compétents qui savaient et se sont tus.
    Voilà le résultat de l’application d’un dogme, en l’occurrence celui des vertus supposées de l’ultra-libéralisme appliqué à un bien commun. J’excuse bien volontiers ceux qui ne savaient pas, je méprise cordialement ceux qui ne savaient pas.Il est toujours temps de faire marche arrière, mais je parie que l’on fera le choix inverse et qu’on boira le calice jusqu’à la lie.
    Je repense à l’humoriste Algérien Fellah que j’aime beaucoup qui avait dit : “chez vos quand vous touchez le fond, vous rebondissez. Chez nous on creuse”. N’est ce pas ce que nous sommes en train de faire.

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  • Rectification : lire “J’excuse bien volontiers ceux qui ne savaient pas, je méprise cordialement ceux qui savaient”. C’est plus cohérent comme ça !

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