Après avoir reçu Laurent Wauquiez à Fessenheim le mercredi 23 janvier 2019, le responsable des questions énergétiques des Républicains revient pour L’EnerGeek sur les enjeux de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) sur son territoire de la 4e circonscription du Haut-Rhin, dans le pays et en Europe… Rencontre avec Raphaël Schellenberger.
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D’après l’ENTSO-e (gestionnaires de réseau de transport d’électricité européens) le risque de black-out » évoqué par la CRE le 10 janvier serait lié à une « variation importante de la production en Europe ». Cependant, pour RTE, « on n’était pas au black-out, et loin de là » ! Quel enseignement retenez-vous de cet épisode à risque ?
Dans un premier temps, les gestionnaires de réseau de transport d’électricité européens tirent la sonnette d’alarme ! Et pour RTE, maintenant, il n’y aurait rien à signaler ?! Cela confirme ce que je constate régulièrement, RTE fait de la politique… Tout cela, avant tout, afin de minimiser la fragilité qu’on instaure sur le réseau électrique européen. En effet, il me semble qu’en injectant massivement des énergies renouvelables et intermittentes, on oublie un peu trop d’assurer notre approvisionnement…
Qui plus est, avec le mécanisme de capacités, on consacre la pratique de l’effacement. Concrètement cela consiste pour des « gros consommateurs » à s’engager à pouvoir se retirer du réseau. De mon point de vue, ces opérations sont parfaitement acceptables, tant que cela reste un risque dont la réalisation est très peu fréquente. Mais ce que semble nous dire cet incident, c’est justement que le risque va devenir plus fréquent. Le rythme de la sollicitation des capacités de retrait, ou l’effacement, risque à l’avenir de s’accélérer.
À l’échelle du continent, cela s’inscrit aussi dans un contexte où l’on mise sur les capacités d’interconnexion comme sur des capacités d’approvisionnement. Et le régulateur européen encourage légitimement une densification des interconnexions. Aujourd’hui cependant, faut-il encore vraiment les considérer comme des moyens sûrs d’approvisionnement ? En définitive, je pense qu’il faut aussi les appréhender pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire un facteur de dépendance. Et ce qui est dramatique, c’est qu’en attendant c’est l’ensemble du réseau européen qui a été fragilisé le jeudi 10 janvier 2019…
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Dans ce contexte, pouvez-vous rappeler les spécificités de votre territoire en matière énergétique ?
Dans le bassin rhénan, entre les Vosges, la Forêt Noire, la Suisse et la Ruhr, nous sommes dans une région particulièrement industrielle. Ici, 50% de la consommation d’électricité, c’est de la consommation à vocation industrielle. Ce territoire qui en période de pointe consomme 22 000 MW, dispose de 15 000 MW en capacités installées, il est donc déjà dépendant de ses voisins. Mais si on se projette dans quelques années, la situation va encore se dégrader ! En effet, l’ensemble des moyens de production pilotables (charbon ou nucléaire) de la région vont fermer. Il ne restera plus en Alsace que les capacités hydroélectriques sur le Rhin, soit 3 000 MW en pointe. Et le problème de l’hydraulique sur le Rhin, c’est que la pointe de production ne correspond pas à la pointe de consommation. Ainsi, en hiver par exemple, la disponibilité de la production sur le Rhin est plutôt de l’ordre de 300 MW.
Quand on fait le bilan, on se retrouve dans un territoire situé au cœur de l’Europe, qui doit devenir un des principaux axes d’interconnexion pour la vallée rhénane. Idéalement placé dans un secteur encore particulièrement industrialisé, mais qui va finalement se retrouver en situation de dépendance énergétique, puisqu’il n’y aura plus de moyens de production sur ce territoire. Tout cela pour afficher des fermetures de centrales nucléaires, sans se préoccuper de l’endroit où on les ferme et du rôle que remplissaient ces unités dans l’équilibre économique du territoire.
De fait, plus le temps passe, plus le risque de black-out va devenir important. Et cela me rappelle ce que disait le syndicat des énergéticiens allemands il y a déjà plusieurs mois ! Pour les professionnels du secteur, il existe un vrai risque en Europe, aujourd’hui non mesuré par nos projections nationales officielles qui misent dans leurs calculs sur une invraisemblable alimentation depuis nos voisins.
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Dans votre communiqué de presse vous expliquez simplement : » Si l’avenir passe sans doute par un mix énergétique propre, il ne peut se passer d’énergie « , quel serait selon vous le mix énergétique idéal en 2023 et en 2028 ?
D’abord, le mix énergétique raisonnable consiste à ne pas définir des objectifs chiffrés, il devrait en revanche fixer une méthode pour réaffirmer une ambition. Concrètement, plutôt que de se dire il faut atteindre 50% d’énergie nucléaire dans le mix électrique, cela reviendrait à dire : la priorité des priorités, c’est de sortir d’un système carboné. Commençons par décarboner, en assurant la stabilité, donc continuons à miser sur le nucléaire. Il faut d’abord se débarrasser du charbon et du pétrole car ce sont les pires sources d’énergie !
Sur le gaz par contre, je pense qu’il y a une véritable réflexion à porter. Il y a tout un tissu économique qui peut être impliqué, avec l’économie du « gaz vert ». Quand on s’aperçoit des quantités de biogaz qu’on pourrait produire en France à l’aide de méthaniseurs, on s’interroge sur l’utilité de nos centrales à gaz. Il y a véritablement de nouveaux modèles à inventer, y compris en faveur de la filière agricole. On peut parfaitement concevoir d’autres modèles pour la méthanisation, et qui correspondraient davantage aux attentes des agriculteurs. Que va-t-on faire du biogaz ? L’utiliser pour chauffer les particuliers raccordés à un réseau de distribution, ou bien pour les transports en commun ? Le projet porté par les collectivités du territoire de Fessenheim propose notamment un modèle intéressant autour de la construction d’une unité de gaz de 600 MW, toujours refusée par l’Etat, et la récupération d’hydrogène ultime.
Enfin, il faut dire la vérité, en Europe on ne peut pas se passer de la production nucléaire française. Le 21 janvier 2019, on constatait que l’Allemagne émettait 500 grammes de CO2 par mégawattheure. En matière d’émission de gaz à effet de serre, la France fait 10 fois mieux. Car lorsque les éoliennes en mer du Nord ne tournent plus, les Allemands compensent avec du charbon… Franchement, je ne suis pas sûr que ça soit une bonne solution ! Or si le taux de disponibilité de notre parc nucléaire dépasse les 80%, il n’en va malheureusement pas de même avec l’éolien et le solaire…
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Le 18 janvier 2019, la commission européenne a autorisé l’Etat français à financer 300 MW d’énergie solaire dans le Haut-Rhin. Qu’en pensez-vous ?
En France, le solaire peut être intéressant, mais il faut veiller à ne pas faire de la consommation foncière inutile. On peut faire du solaire sur les toitures de nos industries ou de nos bâtiments publics. Après est-ce vraiment la meilleure solution que de mettre du solaire dans le Haut-Rhin ?
En tout cas, le gouvernement était très fier d’avoir reçu l’autorisation de la commission européenne. Car désormais ils s’aperçoivent qu’à partir du moment où l’on supprime deux tranches de nucléaire de 900 MW sur un territoire, il va falloir les remplacer par une autre source d’énergie. Seulement a-t-on bien mesuré le problème ? Avec 300 MW de nouvelles capacités installées, et un taux de disponibilité de 18%, on parvient tout jute à du 60 MW ? C’est ridicule au regard des besoins… Et après on va nous dire, qu’on a un problème de droit européen !
Qu’apprend-on avec cet appel d’offres ? Dans le cadre d’un projet national, le Haut-Rhin n’aurait jamais hébergé de projet lauréat. Ceci pour la simple raison que leur rentabilité aurait été moins bonne que celle des projets concurrents localisés dans le Sud de la France, où la disponibilité des panneaux solaires dépasse facilement les 20%. Économiquement, les projets sélectionnés sont dans le Sud de la France. Faut-il forcément encourager le solaire dans l’Est et dans le Nord de la France ? La seule question à se poser finalement est celle-ci : est-il pertinent de mettre des panneaux photovoltaïques là où ils sont moins productifs qu’à d’autres endroits ?
En définitive, ça ne coute pas cher au gouvernement d’installer quelques mégawatts de solaire sur les GW qui sont envisagés. D’ailleurs, ces 300 MW n’étaient peut-être même pas moins chers que les investissements nécessaires pour la petite hydroélectricité. Par contre c’était moins compliqué et plus rapide. Finalement, 6 mois d’échanges avec Bruxelles, c’est souvent moins contraignant que d’encourager la R&D et de changer la réglementation…
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En début d’année, une « loi énergie » visant à modifier l’objectif de baisse de la part du nucléaire devrait être présentée. Quelles sont vos attentes vis-à-vis de ce texte ?
Si le texte a uniquement vocation à revenir sur le mensonge de Ségolène Royal, il ne permettra pas de préparer le système énergétique de demain. S’il comprend en revanche des pistes de réflexion pour la méthanisation, ou pour « l’hydrogène gris », le texte peut devenir intéressant.
Car, en admettant qu’on décide de fermer les réacteurs nucléaires de 900 MW, que faut-il faire ensuite ? Le gouvernement va-t-il confirmer ses ambitions dans la recherche pour le nucléaire, par exemple avec le projet Astrid ? Celui-ci nous permettrait de prolonger le cycle des déchets nucléaires pour produire plus d’énergie : encourager l’innovation pour se donner les moyens de réussir demain la transformation des actuels déchets nucléaires en combustibles, réduisant ainsi la quantité de déchets nucléaires,. Par ailleurs, ne serait-il pas temps pour la France de réaffirmer sa vocation de leader européen dans le projet ITER ? Un simple report de la contrainte de l’idéologie ne sera pas suffisant.
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Alors que le Grand Débat National vient de commencer et que le gouvernement a publié vendredi 25 janvier 2019 sa première version de la nouvelle PPE, faut-il selon vous s’attendre à des surprises en matière énergétique ?
J’avais cru entendre une note d’espoir lors de la présentation d’Emmanuel Macron, le 27 novembre 2018. Du bout des lèvres, son cadrage sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie revenait à dire que la direction prise jusqu’à présent était une décision purement idéologique. Sans tenir compte des contraintes physiques, de la distinction entre les activités polluantes et celles qui ne polluent pas, ou tout simplement de la réalité, on s’est focalisé sur l’électricité… En France, il y a d’abord l’impérieuse nécessité de décarboner nos transports.
Et en même temps, on n’est pas allé au bout de la logique. A vrai dire, on s’est contenté d’indiquer que la loi de transition énergétique était impossible à mettre en application dans les délais impartis. Pour autant, on n’a pas proposé de vraie contre-stratégie… Toutefois, reconnaître que la transition énergétique était de la pure idéologie, il faut admettre que c’est déjà un premier pas vers le bon sens.
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