Figure tutélaire de l’écologie politique, Brice Lalonde a accepté de nous dresser un état des lieux de la transition énergétique française. Engagé dans le débat public avec le groupe de réflexion qu’il préside, Équilibre des Énergies, il revient aussi bien sur la nouvelle Programmation pluriannuelle de l’énergie, que sur les enjeux spécifiques de l’électricité dans les secteurs du bâtiment et des transports…
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Alors que la transition écologique vise à améliorer la performance énergétique de nos logements, pensez-vous que les investissements envisagés suffiront à endiguer le phénomène de précarité énergétique ?
Les décisions qui ont été prises récemment vont dans la bonne direction. J’espère maintenant que la mobilisation qui vient de se matérialiser avec l’engagement de FAIRE pourra porter ses fruits. En effet, tous les professionnels ont décidé de se rassembler, donc c’est un signe encourageant.
Cependant il faut admettre que cela fait déjà un moment que nos objectifs très ambitieux « patinent ». C’est là toute la difficulté, il faut à présent tenir nos objectifs ! Nous assistons depuis quelques temps déjà, à une sorte de bouleversement permanent des systèmes d’aides, de ce qui est autorisé et de ce qui ne l’est pas… Désormais les professionnels attendent surtout une certaine stabilité réglementaire. Il faut qu’on s’engage à suivre les mesures pendant au moins une dizaine d’années consécutives pour qu’elles produisent leurs effets…
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En dehors de sa dimension sociale, la rénovation énergétique des bâtiments poursuit aussi des objectifs environnementaux. Que pensez-vous du coefficient d’électricité dans l’actuelle Réglementation thermique (RT2012) des bâtiments ?
Ce coefficient est tout simplement absurde ! À l’origine, il s’agissait d’une mesure purement statistique. Celle-ci date de l’époque où l’électricité était majoritairement produite à partir du charbon. C’est pourquoi, il n’a plus vraiment de raison d’être en France.
Ce qui compte plus par contre, c’est de travailler en énergie finale. Pour l’instant, ce coefficient a pour seule conséquence de barrer la route à l’électricité pour nos bâtiments. Et il va donc à l’encontre des objectifs de décarbonation de notre société, qui sont notamment impulsés par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et par la loi de transition énergétique, mais aussi par les récentes déclarations du président de la République.
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Avec Équilibre des Énergies, vous avez publié une infographie très partagée pour demander la baisse de ce coefficient à 2,1. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
La réponse est une fois encore toute simple, 2,1 c’est la valeur par défaut de l’Union Européenne. De mon point de vue, ce coefficient pourrait parfaitement disparaître. Malheureusement, je constate qu’il existe encore des réticences à ce sujet, même si les justifications de telles positions restent pour moi assez obscures…
Toujours est-il qu’actuellement chaque pays peut déterminer son propre coefficient. C’est pourquoi, avec notre mix électrique, il nous semble absolument logique de chercher à, dans un premier temps, abaisser le niveau de ce coefficient au niveau de référence européen. Encore une fois, ce dispositif vise à limiter le recours à l’électricité dans nos logements ; et il est vrai qu’en Europe, une partie des pays membres utilisent encore massivement le charbon pour alimenter le réseau électrique. De ce point de vue uniquement, le coefficient conserve une pertinence…
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La révision du coefficient et de sa méthode de calcul devait être abordée à la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) le 11 avril 2019, au ministère de la Transition écologie et solidaire. Que savez-vous à ce sujet ?
Tout d’abord, je tiens à saluer le remarquable travail de la DGEC sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Ce document tient compte des réalités pour décarboner la société française. Pour ce qui concerne plus particulièrement le coefficient, on sait que l’électricité est le vecteur idéal pour décarboner notre économie. Il ne faut donc pas l’entraver, et que la compétition soit équitable entre les différentes sources d’énergie. Je crois que cette préoccupation est largement partagée au ministère.
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Et en ce qui concerne plus précisément les énergies renouvelables, quel est votre avis sur la PPE ?
Notre politique énergétique a trop longtemps été victime d’une confusion entre ses différents objectifs. On ne peut pas tout faire à la fois. D’un côté, il y a ceux qui veulent réduire de manière considérable la consommation d’énergie. Cependant on imagine difficilement un changement radical des comportements dans les prochaines années. Par ailleurs, il y a ceux qui souhaitent avant tout développer les énergies renouvelables électriques, bien qu’un mix électrique 100 % EnR ne semble pas atteignable. À ce titre, le virage enclenché vers la chaleur renouvelable me semble salutaire ! Après, il reste la question du nucléaire… Une énergie qui semble incontournable, qu’on le veuille ou non, au regard des efforts demandés pour accroître la part de l’électricité dans les usages finaux de l’énergie.
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En décembre 2018, vous évoquiez « une taxation écologique inéluctable » ; en cette période d’élections européennes la majorité défend pour sa part « une taxe carbone aux frontières de l’Europe » ; votre conviction est-elle toujours la même après le mouvement des gilets jaunes ?
En effet, je crois toujours que la taxation écologique dans son ensemble, c’est-à-dire le fait de taxer davantage le gaspillage des ressources naturelles, plutôt que de taxer le travail, reste la seule direction à prendre.
Maintenant, une question demeure : comment procède-t-on ? Si on prend l’exemple de la taxe carbone, pour qu’elle soit acceptable, il faut que son revenu serve directement les Français. Concrètement, cette ressource peut être utilisée pour aider à l’acquisition d’un véhicule propre, cela peut aussi servir au financement des entreprises de la transition énergétique ; enfin, elle pourrait également servir à faciliter le remplacement des vieilles chaudières par des pompes à chaleur…
Toutes ces mesures auraient effectivement un impact très direct sur le pouvoir d’achat des ménages. Surtout, il ne faut pas que ce nouveau prélèvement finisse, comme souvent, par remplir uniquement les caisses de l’Etat. Les gilets jaunes nous rappellent qu’il ne peut pas y avoir de transition, sans considérations sociales. Il faut de l’équité, il ne faut pas laisser les transports aériens totalement exonérés, au moment où on augmente les impôts sur le carburant de Monsieur Tout Le Monde. Il faut que la justice sociale y trouve son compte… Avec le Grand Débat organisé par Emmanuelle Wargon et Sébastien Lecornu, les cahiers de doléances peuvent nous renseigner sur l’état de l’opinion. Nonobstant, on ne pourra pas tout faire ; en revanche, nous devrons tous concéder à un effort pour mieux préserver la nature.
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Et pour prendre cette route, la voiture électrique est-elle selon vous bien adaptée ?
Il est intéressant de constater que si le personnel politique a longtemps freiné le développement de l’usage de l’électricité dans le bâtiment, il a très rapidement enclenché le virage de l’électromobilité. Réjouissons-nous, cela me paraît être une très bonne direction. À condition toutefois, bien entendu, que l’on s’occupe de la question écologique, c’est-à-dire des batteries. Pour cela, il ne faut plus qu’on soit obligé de les acheter en Chine, mais aussi qu’on s’occupe du recyclage des matières premières.
Il y a une vraie filière industrielle à mettre en place, et pour la voiture électrique, d’importants efforts à faire. Je pense par exemple à l’installation de prises de recharge dans les copropriétés. Mais il reste encore beaucoup d’autres obstacles à lever, avec en particuliers l’élaboration des normes pour les prises, au niveau européen… En Norvège, le parc automobile est déjà presque à 40 % électrique ; mais pour obtenir de tels résultats, les pouvoirs publics ont mis en place de très fortes incitations…
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