Alors que le Grand débat national est désormais terminé et que la Programmation pluriannuelle de l’énergie est en cours de finalisation, Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), évoque sur l’EnerGeek le potentiel des réseaux de chaleur. Ces technologies prometteuses font d’ailleurs l’objet d’un groupe de travail piloté par la secrétaire d’État, Emmanuelle Wargon…
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Dans le cadre du grand débat, vous plaidez pour 6 actions en faveur d’une « relance très efficace dans une logique d’économie circulaire« , pensez-vous que les montants alloués au fonds chaleur suffisent pour votre filière ?
Le sujet n’est pas tant le montant du fonds chaleur que le niveau de soutien public pour chacun des projets de chaleur renouvelable. La réalité c’est qu’aujourd’hui, tous les projets de chaleur renouvelable sont en concurrence avec des solutions plus traditionnelles qui fonctionnent soit au gaz, au fioul ou au charbon. Or, actuellement les prix du gaz notamment – taxes comprises – restent inférieurs à leur niveau de 2014.
De ce fait, il est vrai que la filière chaleur renouvelable souffre d’un déficit de soutien public, projet par projet, pour être compétitive et donc attractive pour les clients.
Avec l’ancienne trajectoire carbone, on avait prévu d’atteindre un point d’équilibre à l’horizon 2021. Seulement, avec la situation actuelle, nous nous trouvons un peu en-deçà de ce que nous attendions. C’est pourquoi, le message que l’on souhaite faire passer c’est qu’il est important de trouver un moyen de compenser ce déficit. Car c’est à cette condition seulement que nous parviendrons à développer massivement la chaleur renouvelable en France.
Concrètement, il n’y a pas que le fonds chaleur qui peut être utilisé pour soutenir nos technologies. Il existe par exemple des exonérations de TVA que l’on pourrait étendre, on peut aussi penser aux recettes de la fameuse Contribution Climat Énergie ; mais également imaginer des dispositifs qui viendraient optimiser le coût de la chaleur renouvelable, comme la cogénération. Les pistes sont nombreuses et la réflexion doit se poursuivre collectivement. Seulement nous, à la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), nous nous devons aussi de rappeler qu’en l’état, le rythme de développement de la chaleur renouvelable n’est pas suffisant pour atteindre nos objectifs. Théoriquement le rythme de développement devait être 2,5 fois plus important pour tenir la trajectoire de la loi de transition énergétique. C’est pourquoi, nous pensons qu’il convient désormais d’encourager toutes formes de discussions, afin de trouver les moyens de respecter les engagements nécessaires au succès de la transition énergétique.
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Dans vos propositions, vous plaidez notamment pour « maintenir la trajectoire d’une Contribution climat énergie (CCE)« , pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Le gouvernement précédent avait instauré une trajectoire carbone dans le but notamment de répondre aux déséquilibres survenus sur les marchés. Ces derniers avaient alors engendré une baisse du prix des énergies fossiles. Or les anticipations de nos clients sur les prix des différentes énergies, influent évidemment sur leur choix d’équipements. Les solutions renouvelables garantissent une relative stabilité des prix dans la durée. En effet, si la partie investissement de ces projets est conséquente, c’est un coût qui est fixe ; de plus, les ressources utilisées (biomasse ou valorisation des déchets) garderont également des prix à priori plutôt stables. Ce qu’on ne connaît pas en revanche, ce sont les prix des énergies fossiles. Avant, avec la trajectoire carbone, les acheteurs anticipaient une hausse des prix des énergies fossiles, et ils se tournaient plus naturellement vers des installations de type chaleur renouvelable. Afin de retrouver une dynamique favorable, les pouvoirs publics doivent réaffirmer leur intention d’entrer dans l’ère post-carbone.
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Concrètement, comment faciliter à court terme le développement des Energies renouvelables et de récupération (EnRr) ?
Attention, il ne faut pas uniquement se préoccuper des questions de financement. Il faut aussi promouvoir les nouvelles technologies qui existent comme la biomasse ou la géothermie. Le gouvernement vient par ailleurs de mettre en place un groupe de travail, sous le pilotage de la secrétaire d’Etat Emmanuelle Wargon, qui s’intéresse au développement des solutions de chaleur renouvelable, et notamment à travers les réseaux. Des réunions auront donc lieu dans les 3 à 6 prochains mois afin de formuler des propositions positives et concrètes, capables de donner une nouvelle impulsion à ces projets.
Concrètement, cela pourrait passer par des études de faisabilité, ou encore par des campagnes de communication, ou même de nouvelles aides… Vraisemblablement, nous proposerons une combinaison de solutions avec l’objectif de tenir toutes les promesses qu’offrent nos métiers. Un chiffre pour situer : au cours des dernières années, nous sommes parvenus à verdir l’équivalent de 700.000 tonnes équivalent pétrole grâce aux réseaux de chaleur. Nous disposons d’un vrai savoir-faire, désormais il faut trouver la bonne méthode pour le déployer sur un maximum d’installations.
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Dans quelles mesures ces technologies pourraient permettre à la France d’atteindre ses objectifs climatiques ?
Pour tenir compte de ces impératifs climatiques, le sujet principal c’est la décarbonation de notre économie. Cela passe évidemment par une décarbonation de notre consommation d’énergie. L’énergie qu’il faut décarboner en France, elle se concentre dans deux principaux domaines. Le premier c’est la chaleur, qui représente un peu moins de la moitié des consommations d’énergie de notre pays. Le second domaine, c’est les transports, qui représentent un petit tiers de nos consommations énergétiques. L’électricité, qui elle représente environ 25% de nos consommations, est déjà très fortement décarbonée grâce à la contribution du nucléaire et de l’hydroélectricité. De ce point de vue-là, la France est un bon élève ! A présent, les efforts doivent donc avant tout porter sur la chaleur et sur les transports.
C’est d’ailleurs la première orientation qu’il faut retenir de la Programmation pluriannuelle de l’énergie : la priorité, c’est la décarbonation de notre économie.
Il y a évidemment d’autres sujets qu’il faut aborder, comme la biodiversité, la problématique des ressources ou éventuellement celle du risque nucléaire. Aujourd’hui la priorité de l’exécutif est d’être dans la droite ligne des recommandations du GIEC.
Le deuxième enseignement de cette PPE, c’est qu’il faut prendre ce virage à un coût qui soit le plus faible pour l’ensemble de l’écosystème français. Dans cette perspective, la chaleur est une solution intéressante pour la collectivité, car elle est la plus économe des énergies renouvelables si l’on en croit notamment les publications de la Cour des Comptes ou de la Direction du Trésor. En effet, leurs publications récentes montrent que la solution la plus efficiente d’un point de vue économique, c’est-à-dire en euros par tonne de CO2 économisée, c’est clairement la chaleur renouvelable.
Les réseaux de chaleur portent un objectif d’un peu plus de 20 TWh de verdissement à l’horizon 2030. Cela représente donc un objectif majeur de plus de 25% dans la partie ENR de notre politique énergétique. Les réseaux de chaleur permettront à l’avenir d’améliorer sensiblement l’empreinte carbone de nos villes, de nos logements et de nos industries…
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Dans votre fiche sur la précarité énergétique, il est indiqué qu’il existe différentes définitions de cette notion. Comment résumeriez-vous les enjeux pour les professionnels de votre secteur ?
Les réseaux de chaleur ne pourront malheureusement pas, à eux seuls, résoudre le problème de la précarité énergétique. Cependant, nos solutions contribuent néanmoins à améliorer l’efficacité énergétique des logements. En effet, une partie de notre activité se focalise notamment sur les économies d’énergie au moment de la rénovation des bâtiments. Pour aider les plus modestes, nos entreprises proposent par exemple des contrats de performance énergétique dans lesquels on s’engage sur les économies d’énergie qui seront réalisées. En tablant sur nos estimations, on privilégie ensuite les travaux dont les investissements pourront être financés par les économies d’énergie futures.
De plus, les réseaux de chaleur ont une vocation sociale depuis leur origine. Les prix de vente de la chaleur sont très compétitifs, les réseaux de chaleur sont ainsi souvent déployés dans l’habitat social. Parallèlement, en tant que professionnels, nous contribuons aussi parfois aux plans de rénovation lancés par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH).
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Avec la version définitive de la PPE, vous attendez-vous à de nouveaux infléchissements ?
A la FEDENE nous croyons que la PPE peut tout de même encore être améliorée. Depuis sa présentation fin novembre, la crise des gilets jaunes est survenue, et avec elle l’interruption de la trajectoire carbone. Il faut donc vraiment se pencher sur la question de la fiscalité incitative… Par ailleurs, il nous semble qu’il faudrait revoir la cohérence entre les objectifs quantitatifs fixés à chaque secteur et les moyens publics qui leur sont alloués. Sur la mise en adéquation des moyens par rapport aux objectifs, nous pensons que cette PPE est encore insuffisante. Il est quand même intéressant de mesurer pour chacune des solutions le coût économique en euros par tonne de carbone économisée. Ce critère ne doit pas être le juge absolu de notre politique énergétique, mais il permet au moins de donner une idée des endroits où l’on peut promouvoir les efforts les plus efficaces du point de vue environnemental et économique.
En cela d’ailleurs, les réseaux de chaleur sont un des archétypes de la croissance verte. Ils peuvent servir d’instrument de relance, en instituant des processus d’économie circulaire. Pour que cela fonctionne, il faut promouvoir des projets qui sont globalement équilibrés sur le plan financier, de telle sorte qu’on rentre dans un cercle vertueux. Évidemment, il y a des solutions qui sont à des degrés de maturité différents.
Nous vivons une période de restrictions financières, tant au niveau de l’État, qu’au niveau de nos clients qui peuvent être aussi bien des ménages, des professionnels ou des collectivités territoriales. Tout le monde cherche des solutions économes !
Et si le principe est affirmé dans cette PPE, il mérite maintenant d’être appliqué dans la réalité… De surcroît, cela permettra de substituer des importations d’énergies fossiles par des investissements locaux et des emplois non délocalisables ! Prenons l’exemple de la biomasse. Avec un projet de chaufferie biomasse on remplace des importations de gaz et de fioul par un investissement dans une nouvelle chaufferie. Et au-delà même de cette chaufferie, on remplace ces importations par la création de toute une filière. D’après les estimations de l’Ademe, la création d’une telle filière représenterait 12 000 emplois ; et si on rajoute la partie forestière, on peut multiplier ce chiffre par 3. Voici comment nous pouvons atteindre dès demain la croissance verte…
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