Dans une note publiée ce 14 juin 2023, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) enjoint EDF d’étayer les conditions de prolongation des réacteurs nucléaires français jusqu’à 60 ans et au-delà – option privilégiée par le gouvernement dans le cadre de la préparation de la PPE. L’autorité pointe notamment le risque sismique pesant sur la centrale de Cruas, et questionne la résistance mécanique des « coudes E », des portions de tuyauterie de plusieurs réacteurs.
Pour tenir ses engagements climatiques, la France souhaiterait prolonger ses réacteurs nucléaires jusqu’à 60 ans et au-delà
Progressivement, les éléments venant étayer l’élaboration, à l’été 2023, de la future nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE), se mettent en place. RTE a récemment revu nettement à la hausse ses prévisions de consommation électrique à horizon 2030, ce qui impose, selon le gestionnaire du réseau électrique haute tension, de déployer massivement des moyens de production renouvelable.
Le gouvernement a par ailleurs annoncé sa volonté de relancer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, à partir de 2035. Mais, pour tenir les engagements climatiques de la France d’ici là, l’urgence est à la prolongation de la durée de vie du parc existant. Mis en service entre 1978 et 1999, les 54 réacteurs français étaient garantis pour une utilisation de 40 ans minimum. En 2021, l’ASN a jugé qu’une prolongation de durée de vie au-delà de 40 ans ne devrait pas poser de soucis.
Mais le gouvernement veut aller au-delà, et table sur des prolongations jusqu’à 60 ans et plus pour le maximum de réacteurs (idéalement tous). L’ambition n’est pas techniquement inatteignable : certains réacteurs états-uniens, au fonctionnement très proches de ceux d’EDF, devraient rester en fonctionnement 80 ans.
EDF a présenté récemment les éléments justifiant une prolongation à 50 ans et au-delà, notamment sur la question-clé de la résistance des cuves des réacteurs, soulevée par l’ASN fin 2022.
Dans un avis publié ce 14 juin 2023, l’ASN a fait le point sur ces prolongations possibles. L’autorité y annonce notamment qu’elle répondrait à EDF pour le cap des 50 ans et plus après son cinquième réexamen périodique de l’ensemble du parc (mais l’avis ne pointe pas de souci pressant, laissant entendre que cette prolongation semblait réaliste).
L’ASN demande à EDF d’étayer ces prolongations
L’autorité évoque d’ailleurs surtout la barrière des 60 ans. L’ASN indique ainsi qu’elle a demandé à EDF de justifier « d’ici fin 2024 l’hypothèse d’une poursuite du fonctionnement des réacteurs actuels jusqu’à 60 ans et au-delà, pour permettre une instruction approfondie débouchant sur une prise de position de l’ASN fin 2026 ».
L’autorité a notamment mis en garde sur deux sujets à éclaircir, qui pourraient empêcher cette prolongation. Le premier est « la résistance mécanique de certaines portions des tuyauteries principales du circuit primaire de plusieurs réacteurs, appelées « coudes E ».
L’ASN cite une note d’EDF évoquant le vieillissement de ces coudes en acier inoxydable moulé : l’exposition à la chaleur diminue la résistance de ces coudes durant les 40 à 60 premières années, « avant de se stabiliser à des valeurs qui peuvent être […] très faibles ». Ces coudes faisant partie du circuit primaire de refroidissement, ils sont directement soudés à la cuve, et sont « difficilement remplaçables », selon l’ASN.
Le souci concerne cinq réacteurs en tout, dans autant de centrales différentes : Le Tricastin (Drôme), Le Blayais (Gironde), Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), Dampierre (Loiret) et Paluel (Seine-Maritime). Des « pistes d’action » ont été proposées par EDF pour résoudre ce potentiel souci, mais l’ASN souhaite des « développements complémentaires ».
Le second sujet concerne une unique centrale de quatre réacteurs, celle de Cruas, en Ardèche. L’ASN demande, pour cette centrale, une prise en compte « du retour d’expérience du séisme survenu au Teil le 11 novembre 2019 ». De magnitude 5 sur l’échelle de Richter, « ce séisme, situé dans la même zone sismique que le site de Cruas, a mis évidence la présence de failles qui n’étaient pas forcément considérées comme actives, et qui ont créé une rupture, se propageant jusqu’à la surface du sol ».
« S’il y a une faille qui passe sous le site nucléaire, et qu’il n’est pas exclu qu’elle puisse se propager au sol, cela pose des problématiques de résistance qui n’ont pas été examinées jusque-là », a expliqué à l’AFP Julien Collet, directeur général adjoint de l’ASN.
L’autorité conclut en rappelant que « d’autres facteurs, tels que la prise en compte des effets attendus du changement climatique, ou encore le fonctionnement, dans des conditions de sûreté satisfaisantes, des installations du cycle du combustible doivent également faire l’objet d’une attention particulière dans la perspective d’un fonctionnement jusqu’à 60 ans ».
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