Pendant que la Convention citoyenne pour le climat planche depuis octobre 2019 sur des mesures concrètes permettant de lutter contre le réchauffement climatique, le Haut conseil pour le climat, créé en mai dernier, est chargé d’émettre des recommandations sur la mise en oeuvre des politiques publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France, en cohérence avec ses engagements internationaux, en particulier l’Accord de Paris et l’atteinte de la neutralité carbone en 2050. Alors que la COP25 vient de s’achever sur une « occasion ratée », la France est-elle à la hauteur de l’urgence climatique ? Où en est-elle de sa stratégie bas carbone ? Eléments de réponses avec l’interview de Corinne Le Quéré, la présidente de ce Haut conseil pour le climat.
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En ce premier anniversaire du Haut conseil pour le climat, quel est votre bilan de la stratégie du Gouvernement français en matière de transition énergétique ? quelles sont les actions prioritaires à mettre en place pour rattraper notre retard ?
Notre premier rapport, rendu public en juin 2019, était, en quelque sorte, un état des lieux de la trajectoire bas carbone, plutôt que sur l’énergie elle-même. Nous avons ainsi constaté que les émissions de gaz à effet de serre diminuent en France. Il y a des progrès, mais elles ne diminuent pas assez vite pour respecter la stratégie bas carbone que le gouvernement s’est fixée en réponse à l’urgence climatique, les émissions baissant deux fois moins vite que prévu.
Nous avons donc fait une série de recommandations, afin de rattraper ce retard et pour que la stratégie bas carbone soit pilotée à un niveau plus ambitieux : assurer la compatibilité des lois et des projets avec cette stratégie ; évaluer les lois et les grands projets ; renforcer l’ensemble des instruments qu’on a en main (réglementations, normes, subventions) ; et enfin préparer les changements de manière structurelle et juste, sur l’ensemble du pays.
Pour résumer, après un an d’existence, nous avons publié notre premier rapport, obtenu une première réponse du gouvernement, qui doit apporter une réponse détaillée au Parlement d’ici la fin de l’année. Le processus est donc enclenché pour évaluer la stratégie du gouvernement et faire accélérer la baisse des émissions.
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Qu’a-t-il vu comme priorités suite à vos recommandations ?
Le gouvernement a rebondi en particulier sur l’évaluation des politiques publiques car nous avons noté un grand problème : certaines de ces politiques sont mises en place pour réduire les émissions de GES, mais nous ne parvenons pas à savoir ce qui a marché ou pas. Il s’est donc engagé à faire évaluer certaines de ses lois-cadres, en particulier la loi d’orientation des mobilités (LOM), un an après leur mise en place, et il est revenu vers nous pour demander un cadrage sur les évaluations, que nous allons publier le 18 décembre 2019.
Le gouvernement a aussi renforcé la loi Energie-Climat, en incluant par exemple, comme nous l’avions recommandé, les transports maritimes et aériens internationaux dans l’objectif bas carbone de la France dès 2022.
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Dans votre rapport annuel 2019, vous avancez que la trajectoire actuelle n’est pas satisfaisante en France notamment à cause des transports et du logement. Ces deux secteurs sont pointés du doigt depuis de nombreuses années mais concrètement, qu’est-ce qui bloque ?
Les blocages ne sont pas les mêmes au niveau du transport qu’au niveau du bâtiment. Pour ce qui est du transport, qui est effectivement le secteur le plus émetteur en France, nous avons fait le constat de ce qui n’avançait pas. On s’aperçoit que, sur la plupart des indicateurs qui étaient déclinés dans la stratégie nationale bas carbone, nous sommes en retard. La demande en transport a ainsi augmenté – ce qui montre qu’il n’y a pas de contrôle de la demande. L’électrification est en retard, il n’y a pas de report modal de la voiture individuelle vers le transport en commun ou le vélo – du moins pas à la hauteur désirée. Cette immobilité structurelle est un problème.
Au niveau des bâtiments, beaucoup de rénovations ont été faites, mais peu en profondeur, et les rénovations faites ne mènent pas à autant de réduction d’émissions que ce qui avait été prévu. Donc là, le problème est peut-être au niveau de la qualité ou de la pénétration des rénovations : on ne rénove peut-être pas autant ou aussi bien qu’anticipé. Dans le bâtiment, on prévoyait ainsi des réductions de 5% des émissions par année ; elles baissent de 2% seulement.
Pour synthétiser : dans le bâtiment, on constate une baisse des émissions, mais pas au rythme escompté. Dans les transports on n’observe aucune réduction depuis dix ans : les blocages sont donc beaucoup plus importants.
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Dans le domaine des transports, vous dites que nous pouvons y arriver en mettant notamment en place une taxe carbone. La crise des Gilets Jaunes passant par-là, entre volonté et réalité des Français, où placer le curseur ?
En effet la taxe carbone est un outil puissant qui permet à l’ensemble de la société d’atteindre des objectifs avec un coût réduit. Mais des problèmes surviennent en ce moment, parce qu’en l’état actuel, elle n’est ni acceptable, ni efficace. Nous avons donc recommandé de la faire évoluer en profondeur. Il faut d’abord clarifier l’utilité de la taxe, qui ne sert pas à générer des revenus mais plutôt à mettre un coût sur les activités qui émettent du carbone.
Plus de la transparence sur l’utilisation des recettes est donc indispensable. Il faut expliquer ce qu’on fait avec les revenus de la taxe carbone en toute transparence. Il faut aussi que les revenus soient mieux redistribués vers les ménages aux revenus les plus faibles. Nous devons également mettre en place des alternatives. La taxe carbone a en effet touché des activités et des gens pour lesquels il n’y a pas d’alternatives en place. Plus investissements dans les infrastructures, notamment pour les transports sont donc nécessaires, afin que ces alternatives existent.
Par ailleurs, si l’on ne veut pas augmenter la taxe carbone, il faut alors mettre en place d’autres mécanismes pour faire baisser les émissions, qui sont peut-être plus compliqués et plus coûteux pour l’ensemble de la société, mais qui existent. Par exemple, des normes ou des réglementations sur l’efficacité et les émissions des véhicules, ou des subventions.
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La diminution du nucléaire va-t-elle dans le sens de la stratégie bas carbone de la France ?
Certes, le nucléaire est une énergie décarbonée, mais ce n’est pas au HCC de définir la place du nucléaire dans le mix énergétique de la France mais plutôt d’évaluer que la trajectoire mise en place par le gouvernement fonctionne en termes de diminution d’émissions. Notre rôle est de s’assurer que les risques et blocages liés aux énergies renouvelables et au nucléaire qui sont prévus par le gouvernement sont bien gérés, plausibles et cohérents avec la neutralité carbone. Concernant les énergies renouvelables par exemple, les questions du stockage, de l’intermittence, des coûts, de la pollution visuelle sont à prendre en compte.
Dans la loi Energie-Climat, le gouvernement a déjà mis en place le principe d’une diminution du nucléaire de 50% en 2035, qui est rationnel avec sa stratégie bas carbone. Il y a cohérence entre la part du nucléaire et du non-nucléaire pour arriver à une diminution des émissions de CO2 à long terme prévue par le gouvernement.
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Pour l’association Ren21, les villes, à l’échelle mondiale, sont beaucoup plus ambitieuses et pro-actives dans la transition énergétique que les gouvernements. Pensez-vous que leur conversion aux renouvelables est une nécessité, à la fois sanitaire, climatique et économique ?
Les villes et les territoires sont essentiels dans l’action climatique, grâce à la proximité avec les citoyens, qui permet aux acteurs locaux de s’approprier les enjeux. Cet aspect est très important, notamment pour les transports.
Par ailleurs, en France, les acteurs locaux disposent du PCAET (Plan climat air-énergie territorial), qui organise les contributions territoriales aux objectifs climatiques de la France. Dans notre rapport, nous avons recommandé de bien utiliser ses modalités d’application pour décliner la stratégie nationale au niveau régional. La conversion des territoires aux renouvelables est souhaitable, mais cela dépend avant tout des caractéristiques géographiques, économiques et sociales de chaque ville ou territoire.
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Selon l’Obs’COP 2019, une étude sur la perception du changement climatique réalisée dans 30 pays, on découvre qu’il reste 31 % de climato-sceptiques dans le monde, Vous dites que « c’est énorme » ! Mais quelles sont les solutions pour faire changer d’avis ces pays ?
Un gros travail de communication, d’éducation et de formation est nécessaire. Et quand on parle d’éducation et de formation, il ne faut pas uniquement penser à l’éducation classique dans les écoles, mais aussi à la formation des élus, des organismes professionnels, des syndicats, des acteurs locaux. Il y a quelque chose qui n’a pas fonctionné pour arriver à 31% de pays climato-sceptiques. Cela ne représente pas du tout le consensus qui existe dans la science sur le fait que les émissions humaines sont à l’origine du changement climatique. Il est urgent de comprendre pourquoi le message ne passe pas bien à travers la société. L’arrêt du réchauffement climatique passe par la neutralité carbone qui passe elle-même par l’engagement de toute la société. Nous avons beaucoup de travail à faire.
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