Il existe un contraste saisissant entre l’enthousiasme pour l’écologie dans l’Union Européenne et les résultats pitoyables dans un domaine clef : le réchauffement climatique. Une tribune de Lionel Taccoen.
Retour sur la ligne de conduite de l’Union Européenne en matière de lutte contre le réchauffement climatique
L’alarme fut donnée le 20 octobre 2015. La date n’a pas été choisie au hasard : la Conférence de Paris sur le Climat s’ouvrait quelques semaines après. Ce jour-là, Commission et Agence de l’Environnement européennes, par un communiqué commun avertirent : a) l’Union Européenne, sans changement « fondamental » de la politique énergétique, n’atteindra pas l’objectif annoncé aux Nations Unies de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990. b) La baisse des émissions va ralentir.
Incompréhensible ! L’Union Européenne avait, en 2008 puis en 2014, mis en oeuvre un important Plan Energie Climat, basé sur de vigoureux programmes d’efficacité énergétique et de promotion des énergies renouvelables. Pourquoi donc la baisse des émissions allait-elle ralentir ? Aucune explication ne fut fournie.
Un problème politique. L’engagement de la réduction de 40% en 2030 par rapport à 1990 avait été signifié pour que l’Union Européenne puisse apparaître lors de la Conférence de Paris comme prenant la tête de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique. L’avertissement de la Commission et de l’Agence de l’Environnement européennes passa largement inaperçu dans les médias et lors de la Conférence. Cependant, il était clair que l’échec de l’UE dans la réduction de ses émissions deviendrait un échec politique.
2014-2017 : la baisse des émissions disparaît. De 2014 à 2017, les faits se révélèrent pires que les prévisions. Les émissions de gaz carbonique de l’UE liées à l’énergie (l’essentiel des gaz à effet de serre du domaine) ne baissaient plus du tout. En 2017, elles étaient même plus élevées de 2,3% qu’en 2014. A part le Royaume Uni (en partance de l’UE), les émissions de tous les grands Etats membres augmentaient. La politique Energie-Climat de l’Union Européenne tournait au fiasco. La Commission, le Parlement européen et les Etats travaillèrent d’arrache-pied à un nouveau Plan Energie-Climat. Mais l’explication de l’échec en cours n’apparaît pas dans les données prises en compte. Ce qui jette un doute sur l’efficacité du nouveau Plan.
2018 : la divine surprise. En 2018, les émissions européennes baissèrent de 2,5%… ce qui ne faisait que les ramener au niveau de 2014. Quatre ans perdus. Mais cette baisse était-t-elle due à la politique Energie-Climat ou à des circonstances non durables ?
Prenons deux Etats, à eux seuls responsables de 60% de la baisse des émissions de 2018 : l’Allemagne et la France.
En Allemagne. La baisse des émissions en 2018 représente près de la moitié du total de celle de l’UE. Agora Energiewende, le principal concepteur de la transition énergétique allemande considère que la baisse est due à des « faits particuliers » (hiver doux et plus faible consommation des industries électro-intensives). Agora pointe un fait inquiétant : l’efficacité énergétique n’atteint pas ses objectifs (nous ajouterons : malgré des investissements conséquents). Plus expéditif, Greenpeace assène : la politique allemande « n’a contribué pour rien à ce maigre succès climatique… un hiver chaud ne peut remplacer une politique climatique ». Bref, baisse non durable et quatre années perdues.
En France. 80% de la baisse de 2018 viennent de l’électricité, dont la production décarbonée a largement augmenté. Mais cette dernière augmentation est due à 84% à l’hydraulique et au nucléaire. Il a beaucoup plu en 2018 et le parc nucléaire a eu moins d’aléas. Rien à voir avec la politique climatique. Malgré ces circonstances exceptionnelles, les émissions de gaz carbonique liées à l’énergie ont augmenté en France de 2,5% en 2018 par rapport à 2014. Lamentable.
Le handicap des réductions du nucléaire. Allemagne et France ont un point commun : l’Allemagne a décidé de sortir du nucléaire, qui produisait 25% de son électricité, et la France de diminuer la part du nucléaire de 75 à 50%. Les deux Etats doivent donc produire 25% de leur courant par de nouvelles sources… si possible non carbonées, comme l’est déjà le nucléaire.
L’Allemagne n’est pas encore sortie du nucléaire qui a produit, en 2018, 75 TWh, bien plus que le solaire. L’atome doit s’arrêter en 2022. Or en trois ans (2015-2018), la production d’électricité renouvelable en Allemagne n’a cru que de 42 TWh. On constate qu’éolien et solaire, qui reçoivent 95% des investissements des renouvelables n’arriveront pas dans les délais à remplacer l’atome. Le meilleur pour le climat serait que l’Allemagne baisse sa production d’électricité en renonçant aux exportations tant que la présence massive de centrales à charbon continue à conduire à des émissions de gaz carbonique de plus de 200g par kWh (plus du double de la moyenne française). La sortie du pays du charbon n’étant effective qu’en 2038, cela prendra un certain temps.
Les parlementaires français reçoivent tous les ans, à l’occasion de la Loi de Finances, un document officiel indiquant : « Le développement des énergies renouvelables est un axe majeur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ». Ce que la Cour des Comptes conteste formellement (mars 2018) : « La place consacrée aux renouvelables répond à un autre objectif… substituer les renouvelables au nucléaire ». Les magistrats de la Cour renvoient au texte de base de la politique énergétique : la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Ils ont raison. Pour atteindre l’objectif de réduction de 40% des émissions en 2030, le secteur énergétique doit réduire durant la PPE en cours (2018-2028) ses émissions de 130 millions de tonnes de CO2. Or le secteur électrique, champ d’action des renouvelables, n’offrira qu’une baisse de 10 millions de tonnes (car il est déjà largement décarboné). Le but des renouvelables, en les concentrant sur l’électricité, est bien, comme la Cour des Comptes l’écrit, le remplacement du nucléaire et non la lutte pour le climat.
Les exemples de la France et de l’Allemagne confirment les conclusions de l’Agence Internationale de l’Energie (mai 2019) : « Sans une contribution importante de l’énergie nucléaire, la transition mondiale [vers une énergie décarbonée] sera beaucoup plus difficile » et se traduirait par « des émissions de 4 000 millions de tonnes de CO2 supplémentaires » (Plus de 10% des émissions mondiales). Les cas français et allemands nous décrivent le processus : en réduisant le nucléaire, on se prive d’une source décarbonée. Parallèlement, on gâche l’apport des renouvelables, autre source décarbonée, en les utilisant pour remplacer l’atome. Sans gain pour le climat. La double peine.
L’avertissement de 2015 de la Commission et de l’Agence de l’Environnement européennes a provoqué l’adoption d’un nouveau Plan Energie-Climat : « Une énergie propre pour tous les Européens » dont les dernières directives ont été publiées en mai 2019. Les axes restent les mêmes : efficacité énergétique et énergies renouvelables électriques. Malheureusement l’analyse du fiasco précédent n’a pas été faite. La nécessité d’un marché réel du carbone attendra. Les deux plus grands pays continentaux vont continuer à faire semblant de lutter pour le climat en remplaçant l’atome par des renouvelables. Et le bilan risque de continuer à être lamentable.
Pour en savoir plus, étude à télécharger sur : http://www.geopolitique-electricite.com/
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