L’intensité Carbone d’une économie est le rapport entre les émissions annuelles de CO2 par une économie et la richesse qu’il produit annuellement (son PIB). Ce paramètre peut être considéré comme une mesure de la performance climatique de l’économie, une faible valeur correspondant à une bonne performance. On compare les performances des 22 pays les plus peuplés à celle du monde entier. Les valeurs de cette intensité mesurées en MTCO2/G$ s’étalent entre 0,07 pour la Suède et 1,01 pour la Chine. Pour le monde entier elle vaut 0,47. Avec une intensité de 0,1 la France se situe au deuxième rang, après la Suède. Les valeurs de l’intensité Carbone de l’économie inférieures à 0,4 sont fortement anti-corrélées avec l’importance des centrales électriques utilisant des combustibles fossiles dans le mix électrique. Si le mix électrique de la France avait été appliqué au monde entier les émissions actuelles de CO2 qui s’élèvent à 35,6 Gigatonnes auraient été réduites à 8 Gt (5 pour la Suède) et les conditions nécessaires pour limiter la hausse moyenne de la température à 1,5 °C pratiquement atteintes. Une tribune de Hervé Nifenecker.
Une prise de conscience dans la lutte climatique
En France, l’année 2019 a été marquée par la conjonction d’une prise de conscience aigüe de la réalité et du danger du réchauffement climatique provoqué par les émissions croissantes de gaz à effet de serre et par l’advenue de périodes de canicule sévères. Cette prise de conscience croissante, particulièrement chez nos jeunes concitoyens, s’est manifestée par le succès de la pétition « l’affaire du siècle » et la visite de la nouvelle icône de l’écologisme[i] Greta Thunberg accueillie avec les honneurs par les plus hautes instances politiques de notre pays. Qui ne saurait agréer quand Greta somme les hommes politiques d’agir pour l’environnement, et quand elle dit qu’il faut écouter les scientifiques ? Mais, exceptions faites des semonces adressées aux gouvernants, cet été d’ »écologisme militant » a, non seulement, été muet sur les mesures et méthodes à mettre en oeuvre pour surmonter le défi climatique, à l’exception d’une réduction générale de la consommation, mais encore est resté silencieux sur l’efficacité des politiques climatiques des différents Etats.
Une limite du mouvement « écologiste »
Le mouvement « écologiste » associe une menace globale comme le réchauffement climatique à la nécessité, pour les citoyens, de changer de comportement, ce qui de fait revient à instaurer une décroissance. Ce point de vue « décroissant » peut avoir des conséquences importantes sur le tissu industriel, et par là sur le tissu social, conséquences dont les événements récents en France donnent un avant-gout… Mais même à supposer qu’on puisse stabiliser une société vis-à-vis de ces turbulences, une telle approche risque de conduire à de sérieuses désillusions si la relation temporelle et causale entre les deux termes de l’équation n’est pas vérifiée.. Par exemple, en France, compte tenu de la faiblesse de la contribution du pays aux émissions mondiales de CO2, l’institution d’une taxe carbone n’aurait aucun rôle sur la fréquence des canicules et des périodes de sécheresse. Il nous faudra, de toute façon, nous adapter à un Climat ressemblant plus à celui du Maghreb qu’à celui de la Bretagne. Le développement des systèmes de climatisation est inévitable à court terme mais il faudra éviter que la consommation d’électricité correspondante se traduise par une augmentation de nos émissions de CO2 (de ce point de vue, le recours à la production photovoltaïque trouverait enfin une justification alors que la production éolienne sera, elle, plus inutile que jamais). A moyen terme, l’isolation thermique des bâtiments aura un rôle clé, et, à plus long terme, les aménagements urbains (croissance de l’albédo des agglomérations urbaines, diminution du stockage de la chaleur dans les structures, etc….).
La France peut-elle peser sur le changement climatique ?
Très peu sur le plan quantitatif.
A part s’adapter à des circonstances qu’elle ne contrôle pas, la France a-t-elle un rôle à jouer au niveau global ? Quantitativement, très peu, puisque ses émissions ne représentent qu’un centième des émissions mondiales, comme on peut le voir sur le Tableau 1
Beaucoup comme modèle d’économie faiblement émettrice de CO2.
La France est le pays ayant la plus forte proportion de nucléaire dans son mix électrique comme on peut le voir sur la Figure 1. Seule avec la Russie, elle contrôle l’ensemble du cycle nucléaire.
La production d’électricité à partir de l’énergie nucléaire ne produit que très peu de gaz carbonique comme on le voit sur le Tableau 2. Cette propriété a des conséquences sur les émissions globales de CO2 de la France. Pour comparer les performances de la France avec celles d’autres pays, il convient de définir un index de qualité climatique d’une économie. Nous nous inspirons ici de l’identité de Kaya[ii]. La quantité CO2/TPES est l’intensité Carbone de l’énergie. Elle correspond à une forme simplifiée de l’équation de Kaya. Elle est couramment utilisée, par exemple par le cabinet PricewaterhouseCoopers[iii]. Nous avons retenu cet index pour comparer entre eux les mix énergétiques d’une liste de pays.
On peut voir sur le Tableau 1 que notre pays n’émet que 0,1 tonne de CO2 par millier de dollars de PIB, alors que ce chiffre atteint 0,47 pour le monde entier.
Si le monde entier avait eu une politique d’émission de CO2 analogue à celle de la France, les émissions totales seraient réduites d’un facteur 4,7 passant de 35,6 Gt à 7,5 Gt. Seule une politique analogue à celle de la Suède ferait mieux.
La Figure 2 montre quelles auraient été les émissions mondiales de CO2 si le mix électrique mondial avait été le même que celui de chacun des pays sélectionnés.
Ainsi les émissions mondiales actuelles de CO2 de 35,6 Gt auraient atteint 77 Gt avec le mix chinois, 69 avec celui de l’Inde, 64 avec celui de la Russie, 23 avec celui des USA, 15 avec celui de l’Allemagne mais seulement 8 avec celui de la France et 5 avec celui de la Suède. Ces chiffres doivent être comparés au niveau des émissions qui seraient compatibles avec la stabilisation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Selon l’accord ADP de Doha[iv], pour limiter la hausse de température à 2°C les émissions de Gaz à Effet de Serre en 2050 devraient être réduites de 40 à 70% par rapport à 2010, soit se situer entre 6 et 3 GtCO2. Pour atteindre les 1,5°C, la capture de CO2 dans l’atmosphère serait indispensable, mais les modèles suédois et français auraient permis d’approcher considérablement de l’objectif mais se heurtent de façon incompréhensible (ou trop compréhensible) à l’opposition de l’idéologie « écologiste ».
Un facteur déterminant dans l’intensité CO2 de l’économie est l’ampleur du recours aux énergies fossiles dans la production d’électricité, comme on peut le voir sur la Figure 3. Toutefois la Figure 3 laisse apparaître deux régimes :
1. Pour les valeurs de l’intensité Carbone de l’économie inférieure à 0,4, une corrélation entre celles-ci et le pourcentage de la production d’origine fossile dans le mix électrique est observée.
2. Pour les valeurs de l’intensité Carbone de l’économie supérieure à 0,4, la part des énergies fossiles dans la production d’électricité est très élevée (proche de 100%) et ne peut guère augmenter, mais l’intensité Carbone varie de 0,4 à 1, ce qui signifie que d’autres facteurs doivent être pris en compte pour expliquer le niveau des émissions de CO2. C’est particulièrement vrai pour la Chine, la Russie, l’Inde, l’Indonésie, l’Arabie Saoudite et l’Egypte. L’équation de Kaya montre que, si l’intensité Carbone de l’énergie joue un rôle capital l’intensité énergétique de l’économie elle-même (TPES/PIB) a un rôle important. La Figure 4 donne les valeurs de l’intensité énergétique de l’économie pour une sélection de pays. Une forte intensité énergétique est la marque d’une inefficacité dans l’utilisation et (ou) de la production de l’énergie. La Chine, la Russie, l’Inde, l’Indonésie, l’Arabie Saoudite et l’Egypte sont, précisément, caractérisés par de fortes intensités énergétiques qui conduisent également à de fortes intensités Carbone. Une explication possible de ces fortes intensités énergétiques est que ces économies sont ou ont été des économies planifiées dans lesquels le critère de fidélité au plan l’emporte sur le critère de coût spécifique des économies libérales.
La timidité incompréhensible des parlementaires et du gouvernement
Lors de l’audition de Greta, aucun élu de la République n’a osé souligner les performances climatiques de notre pays. Toute mention favorable au nucléaire est, en effet, strictement interdite par le catéchisme de l’ »écologisme ». Il est temps que les élus reviennent à la rationalité des politiques publiques face à toutes les idéologies, fussent-elles populaires. Il est temps aussi que ces élus retrouvent la fierté d’une réussite clairement française utile à la planète…
La transition énergétique a eu lieu dans notre pays lorsqu’il a pratiquement renoncé à l’utilisation des combustibles fossiles pour produire son électricité. La disponibilité d’une électricité non carbonée lui permettrait de diminuer encore ses émissions en s’attaquant aux émissions des secteurs de la mobilité (pétrole) et de la production de chaleur (gaz).
Conclusions
Grâce à son électricité très faiblement carbonée, la France est, avec la Suède l’économie qui émet le moins de CO2 par unité de richesse produite, 4,7 fois moins que le monde dans son ensemble. La généralisation du mix français à tous les pays du monde se serait traduite par la diminution des émissions mondiales de CO2 de 36 Gt/an à 8 Gt/an, ce qui permettrait d’assurer pratiquement le respect de l’objectif de limitation de la hausse de la température moyenne de surface à 1,5°C
En matière de lutte climatique, il est donc incompréhensible et donc honteux pour les élus, l’exécutif et les médias, de souligner les excellentes performances énergétiques de notre pays.
[i] Dans l’article présent, l’ « écologisme » est une idéologie qui considère que la technologie est à l’origine de phénomènes dangereux pour l’existence de la vie même sur la terre (réchauffement climatique, baisse de la biodiversité.. ) et que, donc, le recours à des solutions technologiques ne peut, en aucun cas, éviter l’effondrement final.
[ii] L’équation de Kaya (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quation_de_Kaya) s’écrit CO2=(CO2/TPES)×(TPES/PIB)x(PIB/POP)xPOP, où CO2 est la quantité de CO2 émise par l’agrégat étudié (un pays particulier ou le Monde, par exemple) pendant un an, TPES la quantité totale d’énergie consommée annuellement dans l’agrégat, PIB le produit intérieur brut de l’agrégat, POP sa population. La quantité CO2/TPES est l’intensité Carbonne de l’énergie et la quantité TPES/PIB l’intensité énergétique de l’économie.
Une forme simplifiée de l’équation de Kaya s’écrit CO2=CO2/TPES*TPES
[iv](https://climateanalytics.org/media/ca_briefing_timetables_for_zero_emissions_and_2050_emissions_reductions.pdf)
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