Une multiplication par dix de la production en un quart de siècle, une consommation par tête qui se rapproche de celle de l’Union Européenne, un niveau technique à l’avant-garde mondiale, tout cela concernant un pays peuplé par plus d’un milliard d’humains : l’électrification de la Chine est l’une des aventures industrielles les plus remarquables de notre temps. L’histoire n’est jamais terminée, mais l’épopée s’achève. Pour cette tribune, j’ai utilisé les rapports d’analyse du Conseil de l’Electricité de la Chine (CEC) concernant les années 2014 à 2018. Ce Conseil représente la profession et a comme tâche officielle de réunir l’information. Les statistiques chinoises sont parfois mises en doute. Je n’ai pas relevé d’incohérences notables au point d’altérer nos conclusions. Une tribune de Lionel Taccoen.
De 2014 à 2018 : la Chine conforte sa première place mondiale
En 2018, l’électricité mise à disposition de la Chine a été de 6 840 TWh, soit deux fois celle correspondant à l’Union Européenne et une moitié en plus qu’aux Etats Unis. La consommation par habitant a été de presque 5 000kWh/an (CEC), ce qui, nonobstant de possibles écarts de définitions, se rapproche de la moyenne européenne (6 000kWh/an).
La consommation a augmenté en moyenne de 5,5% par an, bien moins qu’avant 2007 (plus de 10%), avec des taux très variables. Le taux de 2018, 8,4%, est considéré comme un cas particulier par le CEC, qui prévoit une réduction pour 2019 à 5,5%.
La demande est toujours menée par l’industrie et la construction dont les parts cumulées ont décru lentement, de 73,7% à 69% de 2014 à 2018. La consommation résidentielle par tête est trois fois plus faible qu’en Europe : le ménage moyen est loin de disposer de tous les services que l’électricité peut procurer. La consommation agricole est faible pour un secteur qui emploie 16% de la main d’œuvre. Hors industrie, il existe ainsi des relais de croissance de la demande.
Pour la première fois en 2018, les « énergies propres » désignant les sources non émettrices de gaz à effet de serre, ont produit plus de 30% de l’électricité. La plus grande part (17,6%) est l’hydroélectricité dont l’apport plafonnera bientôt, car les principaux barrages ont été construits. L’éolien (5,2%), le nucléaire (4,2%), le solaire (2,5%) et la bioélectricité (1,3%) se développent rapidement, mais se révèlent incapables d’éviter l’augmentation du recours au charbon. Celui-ci pourrait être remplacé par du gaz, moins polluant. La Chine se tourne effectivement vers le gaz naturel. Ses importations en 2018 plusieurs fois supérieures à la consommation française ont fortement augmenté. Mais la priorité n’est pas donnée au secteur électrique : le parc de centrales à gaz croît à un rythme fort mesuré. Le CEC signale leur prix de production de l’électricité élevé.
Les centrales à charbon ont fourni en 2017 64,5% de l’électricité et leur capacité devrait passer de 1 010 GW à 1 100 GW de 2018 en 2020. Cependant il n’est pas certain que cela entraîne des augmentations des émissions de CO2 : les centrales à charbon dites « HELE » (High Efficacity and Low Emissions), à haut rendement et à émissions de CO2 plus faibles, sont vigoureusement développées et remplacent des vieilles machines polluantes. En 2003 il fallait, en moyenne 380 g de charbon pour produire un kWh, aujourd’hui, il n’en faut plus que 309 g.
Un haut niveau technique
En 2012, un tandem improbable, le Canard Enchaîné et l’Inspection Générale des Finances, s’émurent de transferts de technologies nucléaires françaises vers la Chine. Nos ingénieurs souhaitaient collaborer à la création du futur réacteur vedette chinois le « Hualong One » et se proposaient d’amener dans la corbeille de la future alliance quelques unes de leurs avancées.
La haute idée que le Canard Enchaîné avait de la technique nucléaire française (très inhabituelle de sa part) ne correspondait pas à celle des Chinois qui refusèrent l’apport hexagonal.
D’une manière générale, la technique chinoise, dans le domaine de la fourniture d’électricité est à la pointe mondiale, comme nous venons de le voir pour le charbon. Elle est la première de la planète pour le transport d’électricité à longue distance. Sa place dans le solaire est connue. Pour l’éolien, Goldwind la plus importante entreprise de l’Empire du Milieu, n’a rien à envier aux entreprises occidentales et vient de percer en Australie. La Chine fait la synthèse sur son sol des nucléaires français, russes, canadiens et américains. Elle va proposer au monde entier son réacteur « Hualong One », concurrent de l’EPR français de Taishan. Et ce n’est pas fini : en 2017, les Chinois ont déposé environ un million de demandes de brevets, les Européens environ cent mille. Au début, on peut être tenté de réinventer l’eau tiède, cependant la balance de l’innovation semble bien pencher du côté de Pékin.
Nos entreprises peuvent continuer à veiller à l’espionnage industriel, mais le danger majeur, désormais, est celui de se faire dépasser techniquement.
Un surprenant talon d’Achille
En août 2017, des médias mondiaux, dont un grand quotidien économique français titrèrent : « une fusion chinoise prive EDF de son titre de premier électricien mondial ». Le pouvoir chinois annonçait la création du China Energy Group qui disposerait d’un parc de centrales électriques de 225 GW, bien au-dessus de celui d’EDF, 135 GW. Mais le plus grand producteur de lait n’est pas celui qui possède le plus de vaches, c’est celui dont la traite donne le plus de lait. Pour l’électricité c’est également la production qui compte et non les capacités théoriques. En 2018, nous estimons que la gigantesque entreprise chinoise a généré moins de 500 TWh, et EDF plus de 580 TWh. Au-delà d’une question de préséance, comment le China Energy Group, avec un parc de centrales presque double parvient-il à une production moindre qu’EDF ?
Les rapports d’analyse annuels du Conseil d’Electricité de la Chine indiquent des durées moyennes d’utilisation des centrales étonnamment faibles. Pour obtenir l’électricité la moins chère, la solution habituelle est d’utiliser au maximum les installations générant le courant le meilleur marché. Ces dernières tournent alors autour de 8 000 heures/an. Une année compte 8 760 heures, les 760 heures restantes suffisent à la maintenance. En Chine, le courant le moins cher provient des centrales à charbon, formant l’essentiel du parc thermique. Or en 2018, la moyenne d’utilisation des installations de ce parc a été de 4 361 heures. Avant 2013, ce chiffre était de 5 000 heures. Les heures de fonctionnement concernant le nucléaire, le solaire et l’éolien ont tendance à baisser de 2014 à 2016, même si elles se sont redressées quelque peu en 2018.
Les provinces chinoises, dont la population peut être supérieure à la française ont des compétences substantielles en économie dont l’électricité. Les centrales à charbon sont pour elles d’importantes sources d’emplois et des revenus qu’elles ont tendance à multiplier. Le gâteau est ensuite partagé : « les centrales à charbon historiques conservent leur part planifiée d’heures de production » [1].La question fondamentale est la répartition de ces heures entre sources d’énergie. Les Rapports du CIC parlent de « digérer les surcapacités existantes » dues à « des mises en service excessives [de centrales à charbon] ».
Au cœur de ces questions est la réelle répartition des pouvoirs entre Pékin et les Provinces. Le pouvoir central, conscient du problème a lancé des réformes, en particulier en 2015, dont l’enjeu est majeur : la réussite de la politique climatique (en particulier par l’accès au réseau du total des énergies propres) et la réduction des coûts liés une mauvaise utilisation des centrales existantes.
[1] Harvard China Project-« Is power sector reform essential to China’s Plan for a greener future »… » – Nielsen and Mun Ho-1/11/2018.
Pour plus de détails sur cette étude, rendez-vous sur www.geopolitique-electricite.com
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