Au lendemain des Assises de la Transition énergétique organisées du 22 au 24 janvier 2019 à Dunkerque, le président de la Région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, présente sur l’EnerGeek ses ambitions énergétiques pour son territoire, mais aussi plus largement pour la France. De la troisième révolution industrielle, au programme européen Horizon 2020, le patron de la Région tire des enseignements pour le modèle énergétique de demain…
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Trois ans après votre élection comme Président de la Région Hauts-de-France, quel bilan faites-vous de votre mi-mandat ?
Il me semble que les Régions devraient avoir plus de liberté pour notamment prendre en main les questions énergétiques. Aujourd’hui, c’est l’Etat qui décide d’à peu près tout. Et pourtant, je suis persuadé qu’il suffirait de donner aux grandes Régions, à qui on a déjà attribué les compétences économiques, le pouvoir d’actionner les leviers de la politique énergétique, pour mieux contribuer au dynamisme durable de nos territoires.
À l’heure actuelle, ce n’est pas une compétence qui est dévolue aux Régions, pourtant ne sont-elles pas les mieux placées pour connaître les besoins des habitants et les priorités des territoires ? Concrètement, il faudrait disposer de plus de marges de manoeuvre sur la définition du mix énergétique. Dans la Région Hauts-de-France nous nous sommes fixés des objectifs clairs et ambitieux, cependant nous disposons en définitive d’assez peu de moyens pour les rendre impératifs.
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Que pensez-vous du projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie ?
En l’occurrence, qui fixe les règles pour la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ? C’est l’État… J’estime que cette question échappe totalement aux Régions, et ce n’est pas normal ! Car au-delà de l’aménagement du territoire, c’est aussi l’enjeu des tarifs et donc du pouvoir d’achat qu’il convient de prendre en considération. La Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) vient encore de proposer une augmentation de l’électricité, or la hausse des prix que nous subissons ces dernières années s’explique en grande partie à cause des taxes !
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Faut-il limiter le développement des éoliennes ? Si oui, pourquoi ?
Oui il faut limiter le développement des éoliennes, car à un moment donné trop, c’est trop ! Dans les Hauts-de-France, nous sommes la première région pour la production d’énergie éolienne. On dispose actuellement de 1.500 éoliennes installées, 800 sont autorisées et pas encore construites, et 800 dossiers sont en cours d’instruction.
Je vois l’exaspération monter de plus en plus dans les territoires concernés. Chez nous, 70% des projets éoliens sont contestés devant les tribunaux. C’est pourquoi, il n’est pas normal que les collectivités locales soient systématiquement mises devant le fait accompli, sans que l’État ne tienne compte des enquêtes publiques et des remontées des premiers concernés : les habitants.
Je ne veux pas que cette exaspération se traduire par des personnes qui tenteraient physiquement d’empêcher l’installation de ces éoliennes. Je joue un rôle de lanceur d’alerte… De surcroît, en matière d’énergies renouvelables, il y a mieux à proposer que l’éolien pour la région des Hauts-de-France, comme le solaire ou la méthanisation.
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Qu’en est-il alors des éoliennes en mer ?
En vérité, si on arrêtait de regarder à la rentabilité pour les promoteurs de l’éolien en mer, on pourrait très certainement améliorer l’acceptabilité de ces infrastructures.
Expliquez-moi pourquoi dans certains pays on se dirige plutôt vers de l’éolien flottant ? C’est plus cher ? Eh bien la rentabilité sera pour plus tard… Pour l’éolien en mer, il est facile de régler les contingences tout de suite ! D’abord avec les pêcheurs, qui demandent simplement que celles-ci soient installées hors des zones de pêche. Dans cet espace maritime, il faut enfin tenir compte des flux marchands, ainsi que de la biodiversité.
Jusqu’à présent, on a toujours opté pour des emplacements à proximité des côtes. Cela s’explique, car lorsqu’il y a moins de fonds, cela exige des financements moindres. A l’avenir, le retour sur investissement ne doit plus passer en premier ; à cette condition, je peux vous assurer que l’acceptabilité de tels projets sera bien meilleure.
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Avec les objectifs revus à la baisse pour la méthanisation dans la PPE, diriez-vous que le gaz vert représente tout de même une filière d’avenir ?
Derrière cette décision, il faut se poser la question : quel lobby a encore frappé ? Car on voudrait tordre le bras à une filière industrielle en cours de structuration, qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Pour nous, dans la Région, la dynamique de la méthanisation est réelle… La Région a aidé 34 installations depuis 2016 et en 2017 et nous recensions près de 15% des méthaniseurs français installés sur notre territoire. Nous pensons, comme à l’Ademe, qu’il est possible d’atteindre l’indépendance énergétique en gaz dès 2050.
Avec l’indépendance énergétique, cela pose à la fois la question de l’approvisionnement, mais aussi celle des tarifs. Et pour l’instant, le moins que l’on puisse dire, c’est que nous ne disposons pas de toutes les cartes en main. De plus, cela reste une filière d’avenir à condition d’éviter l’instabilité. Toutes les industries ont besoin de stabilité. L’absence de prévisibilité, le changement permanent des règles, c’est insupportable ! Comment avoir de la visibilité ?
Nous avons pour ambition que le biogaz représente près de 30% des énergies renouvelables produites en Hauts-de-France en 2030. Aussi, ne peut-on pas un peu ralentir sur les éoliennes ?
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A l’inverse, de nombreux appels d’offres sont désormais prévus pour l’énergie solaire mais comment faire en sorte qu’ils ne profitent pas exclusivement à l’industrie chinoise ou américaine ?
Il ne faut pas reproduire les erreurs du passé. Je sais que la question des tarifs douaniers divise en Europe. Mais avec le solaire et le photovoltaïque, nous avons une vraie filière industrielle à structurer. Pour cela, il y a urgence…
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La Région Hauts-de-France a engagé depuis plusieurs années sa « troisième révolution industrielle », où en est ce processus ?
La troisième révolution industrielle dans les Hauts-de-France, c’est 1.000 projets concrets, avec 14 territoires démonstrateurs. Nous continuons à approfondir la démarche autour de 10 projets structurants, axés par exemple aussi bien sur l’hydrogène, que sur le développement de l’électromobilité ou la rénovation des bâtiments. Initié par Daniel Percheron, ce projet se poursuit avec Philippe Vasseur aux côtés de la Chambre de Commerce et d’Industrie. Nous avons même accéléré la transformation de l’industrie dans la région, pour avant tout créer de la valeur et de l’emploi local…
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Vous plaidez pour la construction d’un nouvel EPR dans votre région, quelles sont les raisons de ce choix ?
C’est simple, nous avons une centrale nucléaire à Gravelines, et nous avons besoin de sa production d’électricité. Or, celle-ci arrivera un jour en fin de vie ; pour préparer l’avenir nous souhaitons que soit construit un EPR dans la région. Les éoliennes ne peuvent pas remplacer le nucléaire ! Je m’étonne d’ailleurs que l’on ne pousse pas davantage la recherche pour la filière nucléaire. Ainsi que Bill Gates l’envisage, il me semble que d’importantes améliorations sont toujours possibles en termes d’innovation pour le traitement des déchets radioactifs, ainsi que pour la sûreté des installations.
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Comme le rappelle le GIEC, pensez-vous que la filière nucléaire reste aujourd’hui une solution pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, et ce afin de rester sous les 1,5°C ?
À ceux qui souhaitent une économie décarbonée, il faut assumer de dire qu’il existe une solution opérationnelle : le nucléaire. D’autant que depuis l’Accord de Paris, nous n’en faisons pas assez pour la transition écologique. Nous avons pris des engagements et nous tentons de les mettre en oeuvre au moins à l’échelle de ma région.
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Comment peut-on penser la transition énergétique à l’échelle de l’UE ?
Là encore, il faut poser un premier diagnostic : l’Union Européenne fait-elle vraiment de la transition énergétique une de ses priorités ? Pour l’instant, tout le monde tire un peu à hue et à dia… La décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire, quelle que soit la volonté affichée, ça veut dire encore des centrales à charbon. Il faut s’interroger simplement : est-ce important pour l’Europe, d’assumer un leadership énergétique en assurant son indépendance énergétique ? Pour le moment, avec le programme Horizon 2020, il y a d’importantes recherches qui sont en cours, notamment sur l’hydrogène. Une seule certitude, il va falloir accélérer…
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