En l’espace de quelques années seulement, l’île de La Réunion s’est engagée dans une modification profonde de son mix énergétique. A l’instar de l’île Samso au Danemark, La Réunion espère bien devenir dans les prochaines années un territoire complètement autonome en ce qui concerne ses besoins en énergie. Dans le cadre de la loi de transition énergétique, l’île doit même relever un défi de taille : atteindre l’autonomie énergétique à l’horizon 2030. Pour cela, l’île doit non seulement limiter sa dépendance aux énergies fossiles et développer les énergies renouvelables, mais elle doit aussi trouver des solutions originales pour tirer le meilleur parti de ses ressources locales. Afin de gagner son pari, l’île a lancé de nombreux chantiers et elle est devenue un véritable territoire d’innovations dont d’autres « Systèmes électriques insulaires » (SEI) n’hésitent pas à s’inspirer.
Un territoire propice à l’autonomie énergétique
Pour atteindre son objectif d’autonomie énergétique en 2030, l’île de La Réunion n’a pas eu d’autre choix que de développer les énergies renouvelables. Pour cela, elle peut compter sur ses ressources naturelles et son positionnement géographique, deux éléments qui rendent le développement des énergies renouvelables particulièrement propice. Grâce à sa géographie, l’île bénéficie d’un grand taux d’ensoleillement, d’une forte intensité pluviométrique dans certaines zones et de reliefs. Trois éléments qui ont permis de mettre en place des solutions énergétiques comme le photovoltaïque, l’hydroélectricité ainsi que l’éolien. Grâce à la forte activité agricole du territoire, l’île a aussi pu développer des solutions d’agri-énergie. Elles permettent de greffer des installations de production énergétique sur des installations agricoles pour faire travailler les deux en symbiose. La méthanisation s’est ainsi développée sur de nombreuses exploitations afin d’apporter de l’électricité dans des zones où les besoins sont grands et où les ressources locales peuvent être valorisées en énergie. Des panneaux photovoltaïques ont été déployés sur les toitures de plusieurs types d’exploitations : cultures fruitières, cultures maraîchères, élevage de poules… Et les résultats sont là : en 2015, les énergies renouvelables représentaient 36% de l’électricité produite à La Réunion.
Mais pour les responsables politiques de l’île, la transition énergétique ne passe pas seulement par de grands chantiers : c’est aussi l’affaire des habitants, et la rénovation énergétique est devenue l’un des axes de la transition énergétique du territoire. Ces cinq dernières années, de nombreuses campagnes de sensibilisation ont été lancées pour promouvoir les énergies renouvelables auprès de la population. Ces campagnes se sont accompagnées de plusieurs initiatives comme le grand projet des chauffe-eaux solaires : 100 000 de ces modèles nouvelle génération ont déjà été installés chez des particuliers afin de faire des économies d’énergie. Et pour renforcer encore le maillage énergétique de l’ensemble du territoire, plusieurs villes se sont lancées dans leurs propres projets en vue d’une autonomie énergétique. La ville de Sainte-Suzanne est par exemple devenue la première ville à énergie positive de l’île.
L’exemple de la bagasse
Ce qui permet aussi à l’île de progresser efficacement vers son autonomie énergétique, ce sont les expérimentations menées dans le développement de ressources énergétiques locales. Depuis 2011, la bagasse est ainsi devenue le jocker énergétique de l’île de la Réunion. Les responsables de l’Agence Régionale de l’énergie de La Réunion ont décidé de s’inspirer des principes de l’agri-énergie, et la première piste de travail s’est rapidement imposée : valoriser la culture de la canne à sucre, majoritaire sur l’île, en valorisant le principal déchet de cette culture, à savoir la bagasse. C’est avec ce nom que les cultivateurs désignent les fibres de la canne à sucre qui ne sont pas exploitées. Auparavant, la bagasse était considérée comme un déchet organique qu’il fallait détruire. Mais tout a changé avec le développement de la biomasse : ces déchets de la culture de canne à sucre pouvaient désormais être broyés puis utilisés dans des centrales combinées biomasse-charbon. En brûlant la bagasse, la combustion créée de la vapeur qui actionne un alternateur et une turbine, ce qui permet de produire de l’électricité.
A l’heure actuelle, la bagasse est au coeur d’un circuit court très efficace. Elle sert de complément au charbon pour alimenter deux centrales thermiques, la centrale de Bois Rouge et la centrale du Gol, toutes deux exploitées par la société Albioma. En une année, ce sont environ 530 000 tonnes de bagasse qui sont ainsi valorisées pour créer de l’énergie. Pour les centrales, cette source d’approvisionnement locale permet de réduire les importations de charbon entre les mois de juin et décembre (période d’exploitation de la canne à sucre), ce qui entraîne des économies importantes. Et les producteurs de canne à sucre y trouvent aussi leurs comptes puisque la vente de la bagasse aux centrales thermiques leur offre un revenu supplémentaire. A elle seule, la bagasse fournit actuellement 9,3% de l’électricité de La Réunion. Le système donne pleinement satisfaction aux autorités, et il a même déjà été mis en application en Martinique et en Guadeloupe.
Le paradoxe énergétique de La Réunion
Avec ses 2 512 km2 de superficie, l’île de La Réunion a su tirer parti de ses ressources pour négocier au mieux son virage énergétique. A l’heure actuelle, elle représente l’une des régions françaises qui compte le plus fort taux d’énergies renouvelables. Mais cela est-il suffisant pour atteindre l’objectif de l’autonomie énergétique en 2030 ? Non, car le mix énergétique de l’île repose sur un paradoxe : si La Réunion est un territoire très bien doté en électricité verte, sa production d’énergie reste nettement carbonée. Les centrales thermiques qui assurent l’essentiel de la production d’électricité de l’île fonctionnent au charbon, ce qui implique des importations annuelles de combustibles fossiles. Et même si la bagasse représente un complément écologique et économique, elle ne peut pas suffire à couvrir les besoins énergétiques de l’île. Pour améliorer ce système, EDF SEI s’est d’ailleurs lancé dans un plan de rénovation des centrales thermiques de La Réunion : la centrale de Port-Ouest, vieille de quarante ans, a été fermée et remplacée en 2013 par la centrale de Port-Est qui fonctionne grâce à douze moteurs diesel. Au global, ce sont six des sept centrales diesels de l’île qui ont fait l’objet de travaux de modernisation afin d’augmenter leur rendement.
En plus du charbon, La Réunion est aussi obligée d’importer beaucoup de pétrole pour alimenter une partie de son industrie, son parc automobile et son réseau de transports en commun. Outre le budget considérable que les importations fossiles représentent (environ 600 millions d’euros par an), ces sources d’énergie non propres pèsent aussi lourdement sur la qualité du mix énergétique de l’île. Et La Réunion a bien du mal à trouver un équilibre car les besoins en énergie connaissent une croissance relativement stable. Pour couvrir les besoins, il a ainsi fallu augmenter l’approvisionnement en combustibles fossiles de 39,7% entre 2000 et 2015. En l’état actuel des choses, l’objectif d’autonomie énergétique pour 2030 semble donc difficilement atteignable. Pourtant, à terme, La Réunion est bien partie pour réussir son pari : l’électricité verte progresse régulièrement, de nouvelles solutions énergétiques sont constamment développées, et il ne reste désormais que la question des transports à résoudre. Un ultime effort avant d’atteindre le bilan tant convoité du 100% vert.
Laisser un commentaire