Dans un entretien à Marianne, le 28 juillet 2023, Alexandre Torre, chercheur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) est revenu sur les spectaculaires annonces du directeur de la start-up Commonwealth Fusion Systems (CFS), spécialiste de la fusion nucléaire : il a en effet prétendu, mi-juillet 2023, pouvoir proposer un tokamak produisant plus d’énergie qu’il n’en consomme dès 2026. La perspective semble peu réaliste, et compter sur la fusion pour résoudre la crise climatique n’aurait rien de raisonnable.
CFS prétend pouvoir atteindre une fusion nucléaire qui produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme avant 2026
La course à la fusion nucléaire produit régulièrement son lot d’annonces choc, relançant les débats dans les médias grand public sur cette technologie de rêve, qui pourrait, si elle était maîtrisé, produire une énergie quasi-infinie.
Dans un entretien à Marianne, le 28 juillet 2023, le chercheur au CEA Alexandre Torre est venu (grandement) tempérer l’optimisme de Brandon Sorbom, directeur scientifique de la start-up américaine Commonwealth Fusion Systems (CFS). Cette dernière a annoncé, mi-juillet, avoir mis au point un ruban supraconducteur à haute température pour produire un nouveau type de tokamak, en collaboration avec le MIT.
Jusqu’ici, tous les projets expérimentant la fusion nucléaire se heurtent à l’impossibilité de produire plus d’énergie que la création et le maintient de la réaction de fusion n’en nécessite. Fin 2022, le Lawrence Livermore Laboratory a atteint une première étape, en réussisant à produire plus d’énergie par la réaction de fusion que nécessaire pour la maintenir – mais sans compter l’électricité nécessaire à lancer la réaction. Brandon Sorbom, lui, affirme toucher ce Graal absolu « au plus tard début 2026 ».
Sans doute pris par son enthousiasme, il a ajouté qu’il existait peut-être « vraiment un avenir où nous mettrons des milliers de ces centrales à la disposition du monde d’ici à 2050, et où nous résoudrons la crise climatique ».
Une annonce très peu réaliste
Alexandre Torre reconnaît que les avancées de CFS sont intéressantes, et pavent peut-être la voie à une révolution dans la façon d’aborder la fusion. Le ruban supraconducteur de nouvelle génération à haute température critique pourrait effectivement permettre de réelles avancées : il n’est pas une invention nouvelle, mais CFS est la première à l’appliquer à la fusion.
« Dans le monde de la fusion, la performance des machines de fusion, leur capacité à créer de l’énergie, est liée à l’intensité du champ magnétique qu’on crée. Et cette intensité est liée au courant qui passe dans les câbles ou les rubans qui forment les électroaimants. Donc si les rubans permettent de faire transporter plus de courant sous plus fort champs, cela permet d’améliorer, à la fin, le rendement de la machine », détaille-t-il.
Il admet également qu’utiliser des rubans supraconducteurs peut permettre de créer des champs plus puissants sans avoir à augmenter la taille de machine. Mais « démarrer la machine en 2026 semble vraiment difficile car ils n’ont pas à ma connaissance commencé l’assemblage de ce qui va constituer le cœur du réacteur de fusion. (…) Ils font les bons pas technologiques, mais le planning me paraît très optimiste », indique le chercheur.
Alexandre Torre estime enfin que prétendre que la fusion résoudra l’urgence climatique est chimérique. « Il me semble qu’il ne faut pas compter sur la fusion nucléaire pour résoudre la crise climatique et viser le zéro carbone d’ici 2050, même si on peut espérer qu’elle fasse partie des solutions à plus long terme », indique le chercheur. Il reconnaît toutefois que le CEA suit avec attention les progrès de CFS, et que leurs choix technologiques sont prometteurs.
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