Ce 16 décembre 2021, Anastasiya Shapochkina, maître de conférences en géopolitique à Sciences Po Paris, évoque, dans une tribune, l’avenir énergétique de l’Ukraine, en particulier son choix de miser sur une énergie nucléaire affranchie de la Russie et de renforcer ses liens énergétiques avec l’Union Européenne. Un choix stratégique dans la crise actuelle.
Crise Russie-Ukraine : le gaz naturel au coeur des enjeux
En pleine crise géopolitique entre Ukraine et Russie (Kiev accuse Vladimir Poutine d’avoir massé des troupes à la frontière ukrainienne, dans le but d’envahir le pays au début de l’année 2022), la question des liens de dépendances énergétiques et économiques entre les deux pays se pose à nouveau avec force.
Et si le gaz naturel occupe forcément l’essentiel de l’espace médiatique, le nucléaire participe de la volonté ukrainienne de se libérer de sa dépendance à l’égard de la Russie, comme l’expliquent, ce 16 décembre 2021, dans une tribune pour L’Express, Anastasiya Shapochkina, maître de conférences en géopolitique à Sciences Po Paris, et Gabrielle Valli, du Club de réflexion géopolitique Eastern Circles.
Depuis la crise entamée par l’invasion de la Crimée en 2014, l’Ukraine a cessé de s’approvisionner en gaz naturel russe, mais le pays reste au coeur du transit du gaz naturel de la Russie vers l’Europe, via les trois gazoducs (Soyouz, Bratstvo et Yamal-Europe) qui traversent le pays.
Les gazoducs Nord Stream, puis Nord Stream 2 (qui pourraient rentrer en service au second semestre 2022), permettent à la Russie de contourner l’Ukraine pour fournir du gaz à l’Union Européenne. A terme, l’objectif de Moscou semble bien d’éviter tout transit de gaz naturel par l’Ukraine. L’Allemagne a d’ailleurs menacé la Russie de bloquer l’ouverture de Nord Stream 2 en cas d’escalade avec l’Ukraine.
L’Ukraine a donc dû se détourner de son « grand frère » russe, et se fournit aujourd’hui exclusivement en gaz naturel venu d’Europe.
Nucléaire : l’Ukraine tourne le dos à la Russie et regarde vers l’Occident
Cette dépendance énergétique se retrouvait dans les centrales nucléaires ukrainiennes, toutes construites sur un modèle soviétique, et qui dépendaient, historiquement, d’un approvisionnement en combustible russe.
Mais, avec la montée des tensions avec la Russie, l’Ukraine a entamé, au début des années 2010, une diversification de son approvisionnement, et a notamment réussi à convertir 7 de ses 15 réacteurs russes au combustible fourni par le groupe américain Westinghouse.
« Aujourd’hui, l’Ukraine ne peut plus se reposer sur un engagement russe. Et même si elle dépend encore pour moitié de la Russie pour se fournir en combustible, sa stratégie de diversification se poursuivra ces prochaines années », exposait ainsi Petro Kotin, le PDG d’Energoatom, l’exploitant nucléaire ukrainien, à Anastasiya Shapochkina durant le WNE 2021.
Certains analystes estiment d’ailleurs que cet exemple pourraient inciter d’autres clients de Rosatom, comme la Tchéquie ou la Bulgarie, à se fournir auprès d’autres concurrents étrangers.
Par ailleurs, le partenariat entre Energoatom et Westinghouse dépasse désormais le cadre du combustible, puisque les deux groupes ont signé un accord, ce 22 novembre 2021, pour la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires AP 1000, financés par la banque américaine Exim, avec une mise en service prévue pour 2028.
Le groupe Energoatom devrait par ailleurs construire un troisième réacteur, sur ses fonds propres, qui pourrait être livré dès 2025. En parallèle, le pays finalise une chaîne d’approvisionnement nucléaire locale complète, pour se libérer totalement de la tutelle russe.
A terme, l’Ukraine envisage d’exporter de l’électricité en Europe occidentale, renforçant encore ses liens avec l’Union Européenne, une nécessité politique et économique pour Kiev.
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