Le « syndrome hollandais » autrement appelé « malédiction des matières premières » est un phénomène économique qui relie l’exploitation de ressources naturelles au déclin de l’industrie manufacturière locale. Cette notion, utilisée pour la première fois par Richard Auty en 1993, est-elle encore d’actualité ? Concerne-t-elle aussi bien les hydrocarbures que les métaux rares ? Peut-elle notamment être utilisée pour décrire la situation qui frappe les pays d’Amérique Latine fortement dotés en terres rares ?
Les stigmates de la malédiction des matières premières : inflation, dette, déficit…
Pour comprendre le phénomène de malédiction des matières premières, il faut envisager les effets d’éviction engendrés par toute sorte de rentes. Ainsi, dans La malédiction des ressources naturelles et ses antidotes, Gilles Carbonnier indique que paradoxalement, les pays producteurs de matières premières font souvent face à une dette extérieure, ainsi qu’à un déficit budgétaire important. Concrètement, les revenus générés par la production d’hydrocarbures freinent le développement de l’économie locale, avec notamment de l’inflation importée.
Russie : une industrie pétro-gazière encore prédominante ?
Qu’en est-il de l’exemple russe ? Aujourd’hui, le pays de Vladimir Poutine dispose des 7èmes plus grandes réserves d’or noir de la planète. Or, dans une étude publiée le 17 décembre 2019 par Chatham House, on apprend que les efforts du Kremlin pour stabiliser la situation macroéconomique ont permis de juguler l’inflation.
Toutefois, dans l’étude réalisée par l’Institut français de relations internationales sur la politique énergétique russe, on constate que les revenus de l’industrie pétro-gazière représentent toujours une part très importante du budget de l’Etat. En effet, malgré quelques succès industriels – comme par exemple celui de la Lada Niva – la rente pétro-gazière reste la première contributrice au budget du gouvernement. D’après les chiffres du ministère des Finances russe, et cités par Tatiana Mitrova et Vitaly Yermakov, les revenus du pétrole et du gaz représentaient près de 50% des recettes fiscales de l’Etat en 2018.
La Bolivie et le Chili, victimes de leurs réserves en lithium ?
Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l’Amérique du sud dispose d’importantes réserves de lithium. Pourtant, des troubles sociaux ont récemment entraîné la chute du pouvoir bolivien, ainsi que l’annulation de la COP25 au Chili. Serait-ce l’effet de cette malédiction des matières premières ?
Interviewé par Thinkerview, l’auteur de La guerre des métaux rares, Guillaume Pitron, rappelle qu’avec la transition énergétique, nous sommes en train de passer d’un âge thermo-industriel à un monde vert. Tout comme nous avons assisté à un basculement avec la substitution du charbon par le pétrole, les nouvelles technologies vertes imposent un recours intensif aux métaux. En prenant l’exemple du Chili, il souligne cependant les limites de cette approche. En effet, le pays continue de recourir au charbon pour développer l’industrie extractive. De plus, ces nouvelles technologies seraient selon lui à l’origine « d’un nouvel ordre énergétique »…
Tandis que le charbon a largement profité au Royaume-Uni, l’utilisation du pétrole a coïncidé avec l’émergence des États-Unis. Désormais, c’est au tour de la Chine de revenir au premier plan. En effet, elle dispose d’une longueur d’avance pour son approvisionnement, notamment en Bolivie, où Evo Morales vient justement d’être chassé du pouvoir. Et à en croire le site d’information Bella ciao, cette révolte politique serait effectivement liée aux matières premières. Avant la chute d’Evo Morales, et notamment grâce à un accord passé avec la Chine, la Bolivie était « un pays latino-américain [qui] contrôlait ses ressources naturelles et les exploitait selon ses besoins ». Désormais, rien n’assure que le pays continuera à produire des batteries pour des voitures électriques, mais ne se contentera pas d’exporter le minerai à bas prix, pour le plus grand profit de l’entreprise étasunienne Tesla.
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