En l’espace de 8 ans, l’Egypte est parvenue à passer du statut d’importateur à de gaz à celui d’exportateur. La découverte de nouveaux gisements et son influence diplomatique devrait permettre au pays de devenir un hub énergétique régional, en coopération avec ses voisins.
« Nous avons touché au but. J’ai rêvé de cela pendant 4 ans: que nous devenions un hub régional de l’énergie ». Ces mots, prononcés le mois dernier par le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, résument l’optimisme qui prévaut actuellement dans le pays sur le plan énergétique.
En janvier 2019, l’Egypte est redevenue exportatrice net de gaz. Elle produit aujourd’hui un volume record de 6,6 milliards de mètres cubes de gaz par jour – en hausse de plus de 30 % depuis 2016 – ce qui en fait l’un des plus gros producteurs d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Manne énergétique
La manne énergétique égyptienne n’est pas près de s’épuiser. Le pays possède les sixièmes plus grandes réserves de pétrole d’Afrique et se situe dans le top 20 mondial des plus grandes réserves de gaz naturel.
Ces dernières années, la Méditerranée orientale est d’ailleurs devenue l’une des zones de forage en mer les plus prometteuses du monde. En 2015, c’est l’Égypte qui a remporté le jackpot avec la découverte par la compagnie pétrolière italienne ENI du gisement de gaz en eaux profondes de Zohr : avec 850 milliards de mètres cubes de gaz récupérable, il s’agit de la plus grande découverte d’hydrocarbures jamais réalisée dans cet espace maritime. Récemment, la compagnie Eni a annoncé la découverte d’un nouveau gisement de gaz naturel au large du pays, dans le puits Noor-1 de la zone d’exploration Noor. Des sources proches de la société estiment que le potentiel en présence pourrait être comparé au Zohr.
Un don du ciel que le pays, cette fois, entend exploiter intelligemment. Dans le passé, l’Egypte avait en effet tiré un bilan mitigé de son statut de puissance énergétique. Dans les années 2000, le président Hosni Moubarak a dilapidé en subventions les recettes d’un précédent boom gazier tout en octroyant des contrats lucratifs à ses amis. Une erreur que l’actuel président Abdel Fattah al-Sissi n’entend pas reproduire. Afin que ce nouvel afflux d’« or bleu » profite directement au plus grand nombre, le gouvernement entend profiter de cette chance pour assurer une transition énergétique toute en souplesse. Il incite ainsi financièrement les automobilistes à abandonner l’essence et le diesel au profit du gaz. A ce jour, 250 000 voitures sur les 10 millions de véhicules du pays ont effectué la transition, selon un article du New York Times.
« Une aube nouvelle »
Cette nouvelle donne attire également en Egypte les grandes entreprises pétrolières internationales telles que Shell, BP, Petronas et ENI.
Et pour cause : cette année 2019, les acteurs du secteur énergétique prévoient une augmentation de la production égyptienne de gaz de plus de 40%, appuyée sur 10 milliards de dollars d’investissements réalisés par les compagnies pétrolières étrangères. Le Britannique BP devrait ainsi injecter 1,8 milliards de dollars en Egypte en 2019, alors qu’il s’agit déjà du pays dans lequel il a investi le plus au cours des deux dernières années.
Le renouveau de l’intérêt pour l’Egypte des grandes compagnies pétrolières internationales montre surtout que le pays est en train de tourner la page de la brève présidence de Mohamed Morsi (2012-2013), marquée par un important ralentissement de la production dû à une attitude hostile envers ces compagnies (insécurité, menaces, retards de paiements…). Quant aux préoccupations concernant la sécurité dans le désert occidental d’Egypte (proche de la Libye) ou dans le Sinaï, la politique ferme du président Sissi et les résultats indéniables de cette dernière ont achevé de convaincre les investisseurs. Une situation résumée en une formule par Michael Stoppard, directeur de la stratégie pour les marchés mondiaux du gaz chez IHS Markit: « Nous voyons une aube nouvelle en Égypte (…) Nous ne voyons pas ça comme un feu de paille ».
Diplomatie du gaz
En janvier dernier, l’Egypte, l’Italie, Chypre, la Grèce, la Jordanie, Israël et la Palestine ont annoncé au Caire leur intention de créer un Forum du gaz de la Méditerranée orientale. L’objectif : créer un marché régional du gaz qui serve les intérêts des pays membres. Il s’agira de moderniser les infrastructures et de coordonner les réglementations sur les pipelines et le commerce, tout en visant à améliorer la compétitivité-prix. Une septuor qui siégera logiquement au Caire, car le gouvernement de la troisième puissance économique africaine promeut depuis l’arrivée au pouvoir d’Al-Sissi cette politique de développement et de stabilisation de la région par la coopération économique. Une véritable « diplomatie du gaz », qui permet au gouvernement égyptien de renforcer sa politique d’apaisement et de coopération avec ses voisins.
Dans ce Forum – qui se réunira à nouveau en avril – l’Egypte a beaucoup à gagner. Au niveau économique bien sûr: le gaz égyptien est depuis le mois dernier de nouveau livré à la Jordanie, après une suspension de près de 7 ans. Il s’agit d’une étape importante avant l’exportation vers le marché européen, friand du produit égyptien en raison de son coût et de la volonté de nombreux pays de mettre fin à leur dépendance à l’égard du gaz russe. Les premières livraisons en Europe devraient avoir lieu en 2020 et visent principalement la France, l’Italie et l’Espagne.
Une percée autant économique que géopolitique, donc. À ce sujet, Ossama Kamal, ancien ministre égyptien du Pétrole, estimait qu’« avec la création de ce forum, l’Egypte a barré la route aux pays qui désiraient diriger le dossier de l’exportation du gaz en Méditerranée ». Une remarque qui ciblait spécifiquement la Turquie, qui a un temps cherché à concurrencer l’Égypte dans sa posture de leader énergétique – sans succès.
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