Au moment où François de Rugy, le nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire évoque un calendrier pour la fermeture des réacteurs nucléaires, L’Energeek est allé à la rencontre du Député de la circonscription de Fessenheim, Raphaël Schellenberger. L’élu du Haut-Rhin nous confie ses craintes pour une reconversion industrielle dont on distingue encore mal les contours…
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Avec l’arrivée de François de Rugy, pensez-vous que la centrale de Fessenheim sera fermée d’ici la fin de l’année ? Selon vous, doit-on s’attendre à un infléchissement de sa part sur la question du nucléaire ?
Je souhaite une prise de conscience sur l’apport du nucléaire à la politique énergétique de la France. Je ne veux pas entretenir de faux espoirs mais je me battrai toujours contre l’invraisemblable gâchis économique que constitue la fermeture de cette centrale.
Un choix écologique et énergétique fort serait d’inscrire Fessenheim dans un nouveau calendrier qui soit celui de la baisse des émissions de carbone plutôt que l’idéologie de la sortie du nucléaire qui est, pour le moment, un non-sens.
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Que pensez-vous du projet de reconversion du site de Fessenheim présenté par Sébastien Lecornu le 13 avril 2018 ?
Mais quel est ce projet au juste ? En réalité, depuis le début du processus, nous les élus du territoire, nous avons posé plusieurs questions. D’abord une série de questions sur les conséquences fiscales de la fermeture de cette unité de production, ensuite sur les conséquences énergétiques et enfin sur les conséquences économiques et sociales. En attendant un vrai plan de reconversion pour relancer le dynamisme industriel du Haut-Rhin, on attend au moins du gouvernement qu’il assume ses choix politiques, car la fermeture de Fessenheim est évidemment une décision politique ! Sébastien Lecornu n’a formalisé aucun projet de reconversion pour le site de Fessenheim.
Les collectivités territoriales ont pourtant formulé une liste de propositions pour la reconversion. L’exécutif balbutie un dispositif fiscal pour gérer la disparition d’une activité, sans perspectives ni vision stratégique pour le territoire.
A mon sens, il aurait été préférable de commencer par se fixer un objectif de reconversion du territoire. L’objectif ne peut se limiter à la gestion de l’arrêt des réacteurs, il faut avoir davantage d’ambition et redonner au territoire la capacité de générer de la richesse fiscale et économique, avec de la création de valeur ajoutée. J’estime qu’il faut au moins 10 ans pour parvenir à ce résultat. C’est donc évidemment sur l’ensemble de cette période qu’il faudrait prévoir des outils de compensation financière ! Ce que je propose, c’est qu’on se dote de mécanismes qui permettent de lisser les ressources des collectivités. Aussi, les compensations pourraient être variables ; de telle sorte que si la première année aucune activité n’apporte des ressources aux administrations décentralisées, une fois les reconversions engagées l’aide pourrait être modulée en fonction des performances obtenues.
Concernant les conséquences énergétiques, l’exécutif a plus ou moins récupéré certaines des propositions des collectivités territoriales. Toutefois, cela reste insuffisant pour constituer un véritable projet de reconversion. Actuellement, nous savons qu’une usine disposant d’une capacité de production de 1800 MW d’électricité bas carbone va quitter le territoire. Or, se priver de 1800 MW (deux réacteurs de 900 MW) posera forcément des problèmes pour l’équilibre du réseau électrique. Qui plus est, cela impactera nécessairement les échanges transfrontaliers avec l’Allemagne et la Suisse, et fragilisera inévitablement l’approvisionnement des industries électro-intensives. Pour toutes ces raisons, il faut un projet de reconversion qui permette d’atteindre au moins le même niveau de production qu’aujourd’hui. Et ce projet il existe : c’est celui qui a été présenté par le conseil départemental du Haut-Rhin lors du comité de pilotage organisé en janvier dernier. Avec ce projet, nous serions capables d’atteindre un niveau de production à peu près équivalent, en remplaçant à 2/3 par des énergies renouvelables, car le territoire dispose notamment d’usines hydroélectriques, et un tiers de la production d’énergie centrale, c’est-à-dire une unité de gaz de 600 MW. En l’occurrence, il pourrait s’agir d’un système de gaz vert en circuit court, par la récupération d’hydrogène ultime, qui est disponible en quantité importante via les déchets d’une industrie des environs.
Face à cette réalité, quelle a été la réponse de Sébastien Lecornu pour le moment ? Pour résumer : « Ne vous en faites pas, nous allons lancer un appel à projet pour 300 MW de puissance installée de photovoltaïque, avec 100 MW en toiture et 200 MW en ferme solaire ». Autant dire qu’avec un taux de disponibilité de l’énergie solaire en Alsace de 15 à 18%, il ne s’agit absolument pas d’un plan de reconversion qui soit proportionné aux besoins.
Sur le plan social, nous avons là aussi, avec les élus du territoire et après avoir mené une large consultation, proposé des solutions concrètes, à l’image de l’aménagement de la zone de NHD sur le port de Colmar, ou encore de la construction d’une usine européenne du démantèlement nucléaire. Pour l’heure, seule la constitution d’une hypothétique zone franche franco-allemande ainsi que la pré-étude expectative d’une ligne ferroviaire entre Colmar et Fribourg sont envisagées.
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Selon vous, l’Etat a-t-il bien mesuré la dimension du chantier à mettre en oeuvre ?
Sur ce sujet, comme sur tant d’autres, je pense qu’il y a une question d’échelle. Pour la réindustrialisation de Fessenheim, l’échelle est triple : c’est d’abord le territoire de Fessenheim qui est le premier impacté, le département du Haut-Rhin car il y a aussi des enjeux de filière, et l’Alsace dans la stratégie globale qui concerne aussi bien l’industrie que la formation, ou l’emploi. Et même si Jean Rottner organisait dernièrement un Comité de supervision du projet d’innovation et d’industrialisation du post Fessenheim, le Grand Est n’est pas pertinent en la matière. Que le Grand Est cherche à faire de l’attention gouvernementale portée à Fessenheim, une opportunité cela s’entend, mais ce n’est pas l’échelle pertinente pour la reconversion du territoire.
Ce qu’il faut comprendre c’est que l’Alsace, le Haut-Rhin et Fessenheim bénéficient d’une tradition industrielle, avec des infrastructures de qualité et un écosystème de TPE/PME qui n’attend qu’une impulsion de l’Etat pour attester de son dynamisme au coeur de l’Europe… Pour opérer ce rebond industriel, je considère que le travail des collectivités n’est pas loin d’être abouti, seulement il manque encore les éléments de déclenchement. L’Etat donne l’impression d’être frileux pour suivre le projet des collectivités. C’est le cas si on prend l’exemple de la zone NHD qui dispose d’une maîtrise foncière de 200 hectares et pour laquelle nous proposons un réaménagement de 100 hectares. Or nous avons besoin de l’autorité gouvernementale pour la distribution des autorisations nécessaires, et elle semble vouloir pour l’instant se limiter à une zone de 60 hectares. Évidemment, avec 40% de moins, le projet ne tient plus !
Pour installer des activités dans cette zone, il y a par ailleurs la question de l’Allemagne qui n’est manifestement pas neutre dans le choix de fermer Fessenheim. Et une fois encore, pour ces enjeux transfrontaliers l’Etat est incontournable. L’Etat doit s’engager avec détermination pour que des projets industriels ambitieux fassent demain le choix d’installer leur activité autour de Fessenheim. Cet engagement fort nous ne l’avons pas encore ! Pire, l’approche de Sébastien Lecornu est à l’heure actuelle complètement différente [NDLR : « Il ne faut pas compter sur moi pour annoncer l’arrivée d’une usine. Le développement économique ne se décrète pas » – Les Echos 19/01/18]. Selon lui, il revient aux collectivités territoriales de se battre pour créer des entreprises sur leur territoire. Pour ma part, j’estime qu’à un moment donné, l’Etat, le gouvernement, ne sont pas complètement irresponsables dans la nécessité d’implanter des entreprises dans les territoires.
Autre exemple sur lequel l’Etat doit avoir son mot à dire : l’industrialisation de l’activité de démantèlement des installations nucléaires. C’est typiquement un projet qui pourrait être porté par EDF, mais qui nécessite un point d’équilibre économique et un minimum d’organisation pour les différentes étapes du démantèlement, et j’entends par là, se mettre d’accord sur la création d’une usine européenne du démantèlement. Car la fermeture de Fessenheim ne suffira pas à justifier la création d’une usine dédiée au démantèlement, et pour que le projet soit viable il faut notamment que les Allemands acceptent de sous-traiter à EDF une partie du démantèlement qu’ils engagent avec l’arrêt de leur parc. Et cela relève évidemment des négociations inter-gouvernementales !
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Croyez-vous vraiment que le calendrier sera cette fois respecté ? Craignez-vous des débordements avec la contestation sociale ?
Ce que l’on peut d’ores et déjà affirmer c’est que si le calendrier n’est pas respecté cela ne sera pas du fait de la contestation sociale… Pour moi c’est une certitude ; l’autre certitude c’est que depuis environ 7 ans, les habitants vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Revenons un peu sur l’histoire de cette fermeture. En réalité il s’agit plutôt de l’histoire d’une non décision. Qui plus est, lier la fermeture d’une centrale à l’ouverture d’une autre est une aberration, le principe même est incohérent. On dirait qu’on corrèle intentionnellement la fermeture à des critères absurdes afin d’éviter d’avoir à prendre cette décision. C’est simplement stupide, si la centrale est sûre et que l’on n’a pas l’intention de sortir du nucléaire – puisqu’on ouvre parallèlement une autre unité – pourquoi renoncer à exploiter cette installation ? Donc comme la décision est stupide, personne n’assume ; la logique aurait été de dire qu’on ne réalisera pas les travaux de carénage au moment de la cinquième visite décennale, que l’on poursuit l’exploitation jusqu’à la fin de l’autorisation délivrée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Une telle initiative aurait été comprise par l’ensemble de la population. Même si au regard des éléments qui sont à ma disposition, il me semble également tout à fait possible de prolonger son exploitation jusqu’à 60 ans.
Du fait de sa localisation sur la frontière franco-allemande, la contestation du nucléaire en France s’est cristallisée sur la centrale de Fessenheim. Or, si dans notre pays, le nucléaire est assez majoritairement défendu par la population, la situation n’est pas la même en Allemagne. Donc au lieu de contester le nucléaire, les opposants à l’atome s’appuient sur les forces allemandes en ciblant la centrale de Fessenheim.
Et début 2011, lorsqu’intervient la catastrophe de Fukushima, les Allemands décident de sortir du nucléaire parce qu’ils ont peur, non plus comme c’était le cas à l’origine de la contestation du nucléaire de la question des déchets, mais parce qu’on effraye l’opinion publique allemande en faisant croire à un risque d’explosion. A ce moment, la pression qui était déjà exercée sur Fessenheim augmente. Puis, arrivent les primaires socialistes et l’accord politique PS-Verts, le deal préparé par le négociateur Jacques Archimbaud, est finalement conclu à la condition de fermer Fessenheim. Au moment où François Hollande gagne l’élection présidentielle, le sort de Fessenheim est plié. Sauf que lorsque les socialistes arrivent au pouvoir, ils se rendent compte que leur idéologie est loin de la réalité. Finalement, les 5 années de gestion socialiste se solderont par une non-décision, incarnée par la loi de transition énergétique. Emmanuel Macron, en arrivant à l’Elysée, affirme qu’on ne reviendra pas sur ce texte, admettant du même coup que sa position sur le nucléaire reste floue. D’ailleurs, aujourd’hui on parle plus de la limitation à 50% du mix électrique que du plafond technique à 63,2 GW. Pourtant, ce n’est pas du tout la même chose, surtout si comme moi, on est convaincu que nous assisterons dans les prochaines années à un transfert d’usages des énergies fossiles vers l’électrique. Pour toutes ces raisons, le gouvernement d’Edouard Philippe ne décide pas, il refuse d’afficher sa propre vision de la stratégie énergétique, au nom d’un deal politicien passé par l’équipe précédente.
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Suite au débat sur la PPE, la fourchette retenue pour le nombre de réacteurs à fermer (de 9 à 16 réacteurs) vous semble-t-elle logique ?
Plus je m’y intéresse, moins je comprends ce à quoi a servi ce débat public sur la révision de la PPE. Théoriquement, on est sensé avoir sensibilisé les Français aux grands enjeux énergétiques. Mais dans le même temps, on répète que la loi de transition énergétique a déjà été votée et que le cap est déjà fixé. Finalement, ce débat public sera surtout la continuation de la loi de transition énergétique. Est-ce que ça valait vraiment le coup de faire un grand débat public ?
Notre problème c’est qu’on ne parvient pas à hiérarchiser les objectifs qu’on poursuit. Le premier objectif poursuivi est-il oui ou non la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Il faut qu’on nous le dise, car sans avoir tranché cette question, nous serons forcément dans un entre-deux. Si tel est le cas, il devient urgent se mettre en ordre de marche.
Faisons un parallèle, quand on parle du nucléaire, on nous demande de prendre en compte le cycle global. A l’inverse, on n’a pas le droit de demander la même chose pour les énergies renouvelables, il y a un grand déséquilibre du débat public sur ces sujets. En Allemagne, le système de production d’électricité émet 10 fois plus de CO2 qu’en France.
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Plus largement, quel regard portez-vous sur l’avenir de la filière nucléaire française ; les parlementaires des Républicains sont-ils mobilisés pour défendre les crédits initialement prévus pour Astrid ?
De mon point de vue, il faut qu’on obtienne un débat qui porte prioritairement sur le choix du mix énergétique global. Car ces questions ne sont pas d’ordre technique mais bien politique. Or si on souhaite réduire largement les émissions de gaz à effet de serre, la solution la plus simple et la plus efficace pour que cette transition bénéficie à l’industrie française, c’est d’effectuer des transferts d’usage vers l’énergie électrique.
Seulement à l’heure actuelle, on ne parvient que difficilement à stocker proprement de l’électricité. Les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), doivent être développées mais elles ne suffiront pas. C’est pourquoi on s’aperçoit que finalement, le plus efficace pour stocker l’électricité c’est de faire ce que nous faisons jusqu’à présent, c’est-à-dire de stocker l’énergie primaire nécessaire à la production d’électricité. Cela serait aussi la solution la moins polluante, car avec des batteries au lithium, si on tente de faire l’analyse du cycle global carbone, je pense qu’on obtiendrait quelques surprises.
Sauf qu’on ne peut pas stocker le vent, ni le soleil, on peut en revanche un peu stocker l’eau, et surtout on peut stocker le combustible nucléaire. D’autant que le nucléaire est une énergie qui est largement modulable, ce n’est pas forcément le cas de Fessenheim, mais les dernières centrales peuvent faire varier de 20 à 100% leur niveau de production. C’est pourquoi, sincèrement, je suis convaincu que le nucléaire a encore un bel avenir. Personnellement, je crois beaucoup aux nouvelles générations de centrales sans déchets, et avec le groupe Les Républicains nous défendrons cette technologie.
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