"Le digital a fait entrer l'industrie du nucléaire dans une nouvelle ère"

“Le digital a fait entrer l’industrie du nucléaire dans une nouvelle ère”

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Au cours de la 3ème édition du salon Word Nuclear Exhibition, tous les acteurs du nucléaire ont pu présenter leurs dernières innovations à près de 10 000 visiteurs. A l’heure de l’usine 4.0, de nombreux exposants ont logiquement insisté sur la digitalisation de leur activité. Pendant que Framatome et IBM rationalisent les coûts des unités nucléaires grâce au bigdata, le CEA mise sur EVOC, la 1ère plateforme multimodale d’enseignement, afin de réussir la rentrée 2018 et former une nouvelle génération d’ingénieurs du nucléaire… Mais au-delà de ces mastodontes, de nombreuses PME étaient également présentes pour promouvoir leur savoir-faire. L’Energeek a pu discuter avec quelques-unes de ces sociétés qui contribuent à l’excellence de la 3ème filière industrielle française : Audace Digital Learning, ESI Group et Oreka Ingénierie. 

Audace Digital Learning utilise les nouvelles technologies pour « mettre au point des apprentissages efficaces qui améliorent véritablement l’employabilité » des salariés. De son côté, ESI Group est considéré comme « le principal créateur mondial de logiciels et services de Prototypage Virtuel, spécialiste en physique des matériaux ». Enfin, Oreka est une société qui emploie 19 personnes capables d’associer « la simulation dynamique 3D à tous les stades de la conception, définition, présentation et validation d’un projet » industriel.

  • Quelle est la principale opportunité induite par la digitalisation du secteur nucléaire selon vous ?

Audace Digital Learning – Justin Le Guennec : Nous sommes rentrés dans le secteur du nucléaire il y a 3 ans, depuis nous avons travaillé avec EDF et Orano. Pour ce dernier, nous réalisons en ce moment des seriousgame dans le cade de nouveaux programmes de formation. Parallèlement, nous faciliterons bientôt les interventions de maintenance. Avec un hololens (paire de lunettes de réalité augmentée permettant de simuler des hologrammes qui s’intègrent dans le champ de vision de l’utilisateur), notre mission servira aux agents qui interviennent dans les installations d’Orano d’éviter les points chauds. Avec les nouvelles technologies, de multiples bénéfices peuvent donc être attendus par la filière.

ESI Group : Nous collaborons depuis une vingtaine d’année avec les plus grands acteurs du nucléaire. C’est un secteur qui évolue et que nous avons vu évoluer. Certains de ses enjeux traversent le temps, en particulier ceux de la sûreté, du démantèlement ou de l’allongement de la durée de vie des installations. L’industrie du futur apporte avec elle ses évolutions et révolutions technologiques. Le digital, ses outils et méthodologies a fait entrer l’industrie du nucléaire dans une nouvelle ère, celle de l’accélération et de la performance.

Il est néanmoins important de noter que le digital n’est pas nouveau dans l’industrie. L’industrie du futur et les nouvelles technologies donnent davantage de clés, de moyens.

Nous sommes en mesure d’aller plus vite, de contrôler via les datas l’état des installations, d’analyser son évolution et grâce à du Big data ou du process mining, d’en prédire l’évolution. Nos solutions de prototypage virtuel sont utilisées par nombre d’acteurs du nucléaire. Elles les aident à atteindre leurs objectifs d’efficience, de productivité et de performance, le tout sans perdre de vue un enjeu primordial : celui de la sûreté.

Oreka – Didier Duffuler : Nous tenons à avoir une vision très large des enjeux de la digitalisation. Mais en l’occurrence, quand on parle de nucléaire, il s’agit d’intervenir sur des technologies déjà très sophistiquées, avec de fortes contraintes. Quand on a commencé il y a 20 ans, nous étions un peu les précurseurs du numérique dans le nucléaire : les premières animations permettaient tout juste de visualiser les installations. Cet outil était toutefois particulièrement efficace lorsque nous étions en réunion avec nos collaborateurs pour permettre à chacun de bien comprendre les opérations qu’il était nécessaire d’effectuer ou les problèmes rencontrés par les agents de terrain : cela permettait des gains de temps évidents ! Aujourd’hui, nous sommes capables d’aller bien plus loin ; et c’est d’ailleurs un argument que nous mettons en avant pour attirer les plus jeunes vers nos métiers…

  • A l’inverse, quel serait le principal risque généré par la digitalisation sur votre activité ?

Audace Digital Learning : Notre principal problème reste la protection de nos technologies. Naturellement, nous sommes particulièrement attentifs aux sujets d’innovation et de propriété intellectuelle. Par exemple, avec l’apparition des hololens nous avons eu l’idée de calibrer le casque en fonction des nuages de points que nous étions en mesure de produire, permettant du même coup à la personne réalisant son intervention de savoir en temps réel où se trouvent les points chauds dans leur environnement. Et en même temps, paradoxalement, il est parfois difficile d’avoir accès à toutes les données nécessaires pour paramétrer les outils le plus finement possible…

ESI Group : Dans un certain sens, les datas et leur multiplication peuvent être considérés comme un risque pour notre activité. Leur utilisation et valorisation incitent nombre d’entreprises à lancer leurs offres de Digital Twin.

Au-delà des Digital Twins proposés sur le marché, nous nous avons été plus loin grâce à nos expertises et à la complémentarité de toutes nos offres et solutions, et avons lancé le concept de l’Hybrid Twin™. Ce jumeau hybride va plus loin que le numérique qui  ne permet que l’établissement d’un modèle issu des données apportant des informations sur le comportement passé du produit. Le jumeau hybride couple ce modèle issu des données avec un prototype virtuel intégral du produit comprenant tout notre savoir-faire en physique des matériaux. Ce couplage entre les données réelles et le modèle logique fait émerger des données utiles pour permettre une réactivité immédiate avec un algorithme nous permettant de proposer à nos clients une solution de maintenance prédictive en quasi temps réel.

L’Hybrid Twin™ fait entrer les données dans un nouveau paradigme – du Big Data aux Smart Data. Il s’agit de pouvoir choisir les données les plus pertinentes (à l’endroit où il faut et au moment où il le faut). Cela permet de rationaliser les données et donc génère une économie considérable de temps et financière pour les industriels.

Oreka : De notre point de vue, il importe d’avoir toujours conscience des limites techniques du numérique. Aussi, il faut savoir que pour être le plus proche possible d’une situation réelle, il nous manque encore le « retour d’effort ». A l’exception d’un bras haptique imaginé par des anciens du CEA «  HAPTION » et qui intègre un retour d’effort ciblé, tous les outils numériques sont confrontés à la limite du retour d’effort ; c’est-à-dire qu’au cours d’une prestation virtuelle, celui qui réalise la manipulation ne sent pas les poids. Si lorsque vous effectuez une simulation de manutention, et que vous ne disposez pas de la valeur des poids des objets soulevés, ou de la chaleur des objets qui vous entourent, cela occasionne un vrai risque. Pour préparer les opérations de soudage par exemple, il nous manque des données physiques comme la chaleur et le ressentie du bain de fusion, qui sont pourtant décisives afin d’effectuer des interventions de haute précision. A cause de cela, nous pensons que le numérique ne doit être envisagé que comme un complément au réel, avec l’appropriation au préalable des compétences métiers.

  • Que pensez-vous des digital twins pour le nucléaire ?

Audace Digital Learning : Évidemment, disposer d’un digital twin qui permettrait de suivre ne temps réel l’état des centrales, en fonction de l’activité des réacteurs, de leur ancienneté, ou d’une multitudes d’autres paramètres serait idéal ! Mais d’un point de vue pratique, cela nécessiterait une architecture très complexe à mettre en place, et probablement irréaliste étant donné les difficultés qu’on a pour obtenir certaines informations sur les centrales nucléaires. A l’avenir, la question de l’open data se posera sans doute avec une acuité nouvelle pour les métiers du nucléaire.

ESI Group : Chez ESI nous allons plus loin que le Digital Twin, nous avons créé l’Hybrid Twin™. Pour vous expliquer ce que c’est le plus simple est de vous donner un exemple basé sur le démonstrateur d’Hybrid Twin™ d’intervention en milieu hostile que nous avons présenté pendant le salon. Nous parlions tout à l’heure de l’enjeu du démantèlement nucléaire. Ces projets, comme vous le savez, sont très longs et complexes. Ils le sont d’autant plus qu’ils sont fréquemment confrontés à des aléas (problèmes météorologiques, technologiques, défaillances humaines, etc. ). Ces aléas rallongent considérablement les durées et les coûts de ces programmes car à chaque fois, les scénarios de démantèlement, orchestrant les opérations, doivent être mis à jour et les cartographies des lieux refaites pour permettre une intervention des opérateurs en toute sécurité. En permettant la détection et la prédiction d’aléas tout en mettant à jour en temps réel la cartographie radioactive des lieux dans un prototype virtuel intégral de la zone à démanteler, l’Hybrid Twin™ d’ESI devient l’allié essentiel. Cette solution est d’autant plus intéressante que les résultats sont visualisables sur différents supports (tablettes, ordinateur) mais aussi modulables dans une plateforme immersive grâce à l’utilisation de la réalité virtuelle. Grâce à cette application de l’Hybrid Twin™, les scénarios de démantèlement s’ajustent en temps réel et veillent à la protection maximale des opérateurs, réduisant ainsi la durée globale des chantiers et leurs surcoûts associés.

Oreka : Il nous semble que le jumeau numérique est désormais indispensable pour toutes les infrastructures industrielles. C’est la raison pour laquelle, il y a 5 ans, nous avons développé une application qui s’appelle 3D GED (pour Gestion Documentaire). Notre objectif était de mettre un environnement en 3D interactive et de pouvoir travailler à l’intérieur : un digital twin. Un jumeau numérique peut servir à toute la valorisation de l’existant, on peut aussi bien faire de la gestion de flux en temps réel, que réaliser toute la gestion documentaire d’un site, ce qui permet notamment de prévoir les interventions.

Tous les principaux acteurs de l’énergie électronucléaire se sont lancés dans la maquettisation de leurs installations, et en France on dispose désormais d’un jumeau numérique pour nos EPR, permettant de simuler le démantèlement des réacteurs dans les moindres détails.

© Photo : EDF – CORNUT CYRUS

Rédigé par : Audace Digital Learning / ESI-group / Oreka

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PME spécialisées dans des process de digitalisation de la filière nucléaire : Audace Digital Learning utilise les nouvelles technologies pour "mettre au point des apprentissages efficaces qui améliorent véritablement l’employabilité" des salariés. De son côté, ESI Group est considéré comme "le principal créateur mondial de logiciels et services de Prototypage Virtuel, spécialiste en physique des matériaux". Enfin, Oreka est une société qui emploie 19 personnes capables d’associer "la simulation dynamique 3D à tous les stades de la conception, définition, présentation et validation d’un projet" industriel.
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COMMENTAIRES

  • Créée en 2015, la Commission nationale des infrastructures du Royaume-Uni est un organe indépendant chargé de fournir des conseils clairs au gouvernement sur la meilleure façon de répondre aux besoins d’infrastructure à long terme du pays.

    Actuellement, environ 30 % de l’électricité du Royaume-Uni provient de sources renouvelables comme l’énergie éolienne et solaire, contre 12 % il y a seulement cinq ans. L’évaluation nationale des infrastructures d’aujourd’hui recommande que le gouvernement prenne des mesures pour aller encore plus loin et s’assurer qu’un minimum de 50 % de l’électricité provienne d’énergies renouvelables en 2030.

    A plus long terme, un système énergétique basé sur les énergies renouvelables à faible coût et les technologies nécessaires pour les équilibrer peut s’avérer moins cher que la construction d’autres centrales nucléaires, car le coût de ces technologies est beaucoup plus susceptible de baisser, et à un rythme plus rapide.

    L’évaluation nationale des infrastructures met donc en garde contre une ruée vers un soutien gouvernemental pour de multiples nouvelles centrales nucléaires, et propose qu’après Hinkley Point C à Somerset, le gouvernement ne soutienne qu’une seule autre centrale nucléaire avant 2025. Cela donnerait la flexibilité nécessaire pour s’orienter vers de nouvelles sources d’énergie à faible émission de carbone à l’avenir, tout en maintenant la chaîne d’approvisionnement et la base de compétences du Royaume-Uni dans le domaine nucléaire.

    https://www.nic.org.uk/news/ministers-must-seize-the-golden-opportunity-to-switch-to-low-cost-energy/

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