Dans le cadre du vaste plan de relance économique post-Covid, le gouvernement entend renforcer les aides financières et la lutte contre les arnaques pour atteindre ses objectifs en matière de rénovation énergétique. Mais ces intentions paraissent vaines sans une maîtrise totale de la chaîne, de la formation à la pose en passant par le choix des matériaux…
Présentée comme un enjeu majeur du plan de relance économique à 100 milliards d’euros, la rénovation énergétique des logements fait partie des principaux leviers de la France pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. À l’échelle du pays, le secteur du bâtiment compte en effet pour 44 % de l’énergie consommée et près d’un quart des émissions de CO2. Alors pour atteindre les objectifs environnementaux, l’ensemble des 35 millions d’habitations sur le territoire français doivent améliorer leur niveau de performance énergétique pour se situer au niveau des étiquettes A ou B. Pour y parvenir, le gouvernement veut en finir avec les passoires thermiques (F et G), qui représentent encore près de 5 à 7 millions de logements, selon les sources. Chaque année, plusieurs milliards d’euros d’aides sont alloués à la rénovation énergétique du parc résidentiel français. Mais les résultats sont insuffisants dans la plupart des cas, affirme l’Ademe.
En 2017, l’agence nationale pour la transition écologique a publié une enquête révélant que « seuls 5 % des travaux réalisés [avaient] un impact énergétique important (saut de deux classes énergétique type DPE) ». Et pour cause : la plupart des interventions portent sur des aspects isolés (ex. : remplacement de fenêtres, isolation des combles, etc.), alors qu’elles doivent prendre en compte la globalité du logement ou du bâtiment pour être efficaces. À cet écueil s’ajoute un rythme encore largement inférieur aux objectifs de la loi Énergie-Climat de 2015, qui prévoyait d’atteindre 500 000 chantiers par an, contre seulement 25 000 rénovations de bâtiments basse consommation (BBC), souligne Etienne Charbit du CLER-Réseau pour la transition énergétique. Quant aux passoires thermiques, seules 40 000 seraient rénovées chaque année, contre un objectif de 100 000…
Rénovation : les efforts incomplets du gouvernement pour atteindre ses objectifs environnementaux
Pour tenter de redresser la barre, le gouvernement a récemment adopté de nouvelles mesures. Il a, d’une part, élargi MaPrimeRénov, principale aide aux travaux d’isolation dans le privé suite à l’arrêt du CITE (crédit d’impôt pour la transition énergétique), à l’ensemble de la population, et plus seulement aux foyers les plus modestes. Ce coup de pouce, applicable au 1er janvier 2021 et d’un montant de 2 milliards d’euros annuels, sera financé par les 30 milliards d’euros du plan de relance dédié à la transition écologique. Pour compléter sa contre-offensive, l’exécutif s’est, d’autre part, décidé à renforcer la lutte contre les arnaques, qui sont légion dans le domaine de la rénovation énergétique. Selon l’Agence nationale de l’habitat (Anah), feu le CITE avait déjà entraîné « un début de dérive inflationniste » et des « pratiques commerciales agressives et frauduleuses », nécessitant un durcissement des contrôles. Mais les « éco-délinquants » s’enrichissent aussi et surtout sur le dos des certificats d’économie d’énergie (CEE) et des offres dites « à 1 euro », avec des travaux au rabais de la valeur facturée. Sur les 4 milliards d’euros de budget annuel, le montant de la fraude s’est élevé à 100 millions d’euros pour les 90 enquêtes menées par Tracfin, dont 30 ont été transmises à la justice. Sachant qu’il ne s’agit probablement que la partie émergée de l’iceberg… « Le dispositif de CEE s’apparente à un mécanisme par lequel les grands groupes de l’énergie français sont amenés à financer des réseaux criminels transnationaux », analyse l’organe ministériel de lutte contre les trafics financiers.
Malgré ses efforts pour rationaliser ses investissements, il semblerait toutefois que d’autres facteurs tout aussi déterminants en matière de rénovation des logements et de transition énergétique restent négligés par le gouvernement. À commencer par la qualité des matériaux utilisés. « Comme citoyen lambda j’ai été confronté à la rénovation de ma maison et j’ai été étonné de voir à quel point il allait de soi pour mes artisans que je devais utiliser la laine de verre, matériau énergivore et d’une efficacité douteuse autant dans l’intensité de sa mission que dans la durée de celle-ci. », fait remarquer Marc Dugain dans une chronique récente publiée dans les Échos. Les performances de la laine minérale, famille d’isolants à laquelle appartiennent les laines de verre, seraient de fait largement surestimées par leurs fabricants. C’est ce qui ressort de l’affaire dite de l’Isolgate, que beaucoup d’observateurs ont comparé au Dieselgate.
Décarbonation du bâtiment : le choix et l’usage des matériaux encore négligés
L’analyse factuelle et technique réalisée par la Cour d’appel de Versailles dans le cadre de cette affaire a en effet révélé que les performances réelles des laines minérales et en particulier celles des laines de verre, utilisées dans la plupart des chantiers d’isolation, sont inférieures (jusqu’à 75 %) aux promesses des fabricants, parmi lesquels le leader Isover (filiale de Saint-Gobain). C’est pourtant à Saint-Gobain que le gouvernement a récemment confié le leadership du chantier de l’efficacité énergétique, qui vise à mettre un terme aux passoires thermiques… « Comment l’État peut-il s’imaginer qu’un producteur de laine de verre, matériau énergivore, va naturellement recommander dans les constructions l’utilisation de produits biosourcés qui ont l’avantage de stocker du carbone pendant leur croissance ? », s’interroge à ce titre le chroniqueur Marc Dugain.
Le coût environnemental des matériaux employés serait-il totalement éludé dans la stratégie gouvernementale ? C’est ce qu’estime l’architecte Erik Mootz, pour qui il n’existerait à ce jour aucun moyen fiable d’évaluer « sérieusement » le bilan carbone des matériaux utilisés. « La traçabilité carbone des matériaux de construction est une science qui a moins de 20 ans, et la fiabilité des données disponibles pose question », argumente-t-il. « Si la filière industrielle du bâtiment représente entre 25 et 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ce n’est pas seulement en raison de la consommation énergétique des édifices ; c’est aussi parce que les matériaux utilisés dans la construction sont issus à 90 % des filières pétrolières ou minières et que leur transformation industrielle est incroyablement énergivore. » Et le spécialiste des constructions décarbonées de citer l’acier, l’aluminium et le polystyrène, utilisés dans les travaux d’isolation des passoires thermiques, qui émettent chacun plusieurs tonnes de CO2 par tonne produite, contre seulement 4 kg pour la pierre de carrière… « Élaborer une politique de relance économique est légitime. Soutenir une industrie utile à notre société est souhaitable. En revanche, dissimuler une pratique polluante derrière un affichage environnemental est condamnable. L’urgence climatique exige une réforme profonde de nos habitudes et de nos industries. »
Laisser un commentaire