Chine : de l’aluminium bien trop polluant (Tribune)

Chine : de l’aluminium bien trop polluant (Tribune)

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La production d’électricité en Chine est la plus élevée au monde, bien supérieure à celle des Etats-Unis ou de l’Union Européenne. Une production qui continue d’augmenter, avec des taux variables qui seront probablement de l’ordre de 5 à 6%/an ces prochaines années. Ce qui signifie un apport supplémentaire supérieur à la consommation française en moins de deux ans. Pas vraiment une bonne nouvelle, quand on s’intéresse de près à la composition du mix électrique de l’Empire du Milieu… Une tribune de Lionel Taccoen

Le secteur électrique chinois se distingue, en effet, par deux caractéristiques principales. D’une part, il utilise principalement le charbon, qui a produit en 2018, 69% de l’électricité. Cette part diminue, mais lentement. En valeur absolue, l’utilisation du charbon continue d’augmenter. Une faible production se fait aussi à partir de gaz. La moitié du reste (30%) provient de l’hydraulique, ensuite, par ordre d’importance, viennent l’éolien, le nucléaire et le solaire

D’autre part, il alimente avant tout le secteur secondaire (industrie manufacturière et bâtiment) qui absorbe 69% de l’électricité. Le secteur résidentiel ne compte que pour 14,2%. La part du premier baisse et celle du second croît, mais fort lentement. A titre de comparaison, le secteur résidentiel en Allemagne, autre pays industriel, consomme 25% de l’ensemble et l’industrie 45%. L’industrie chinoise comporte en effet des activités électro-intensives, c’est-à-dire nécessitant beaucoup d’électricité. La fabrication de l’aluminium, dont la Chine est, de loin, le plus gros producteur mondial, en fournit une illustration notable.

Aluminium au charbon

En 2018, la Chine a produit 36,5 millions de tonnes d’aluminium sur un total mondial de 64,5 millions, soit 56,5% de ce total. Une “prouesse” que rendent possible les capacités énormes des centrales à charbon chinoises – d’ailleurs loin d’être encore exploitées à plein régime. Premier producteur mondial d’aluminium, la Chine est aussi le premier pays exportateur avec 5,6 millions de tonnes, en augmentation de plus de 20% par rapport à 2017. Ce bond des exportations en 2018 a largement été favorisé par les sanctions américaines à l’encontre de l’entreprise russe Rusal. Une domination inquiétante ? C’est en tout cas l’avis de l’Aluminium Association américaine, qui pointe en février 2019 une « surcapacité de production de 11 millions de tonnes équivalente à 40% du reste de la production mondiale ».

D’après l’Institut International de l’Aluminium, en 2017, la Chine a consommé 487,5 TWh pour sa production d’aluminium. Ce chiffre considérable est supérieur à la consommation totale française la même année (453 TWh). Il correspond à 8% de la production chinoise d’électricité. Surprise : alors que l’électricité chinoise ne provient que pour 70% du charbon, celle alimentant l’industrie de l’aluminium en dépend à 90%. L’aluminium constitue-t-il une réponse (partielle) à la surcapacité des centrales à charbon, c’est-à-dire une façon de mettre à profit l’énorme parc électrique chinois, largement sous-exploité ?

En 2017 a été en effet annoncé qu’EDF n’était plus la première entreprise mondiale d’électricité. China Energy Group, une entreprise chinoise, avait une capacité de production presque deux fois supérieure. L’importance d’une entreprise laitière ne se mesure cependant pas au nombre de vaches disponibles, mais aux litres de lait obtenus. En électricité, c’est aussi la production qui compte et non le parc de centrales. Or l’entreprise chinoise produit moins d’électricité qu’EDF. Pourquoi cette faible production ?

En Chine, les centrales à charbon n’ont fonctionné en moyenne, en 2018, que 4361 heures (Cf. Conseil de l’Electricité de la Chine). Une année comprend 8760 heures et une centrale à charbon devrait être capable, en soustrayant le temps de maintenance, de produire au moins durant 7000 heures/an. L’explication est simple : les Provinces, dont la population dépasse souvent celle de la France, disposent de pouvoirs étendus en économie, et en particulier pour l’électricité. Les centrales à charbon constituent d’importantes sources d’emplois et de revenus pour les administrations locales qui encouragent de diverses façons leur multiplication. On se partage ensuite le gâteau en se répartissant les heures de fonctionnement, inférieures aux disponibilités des trop nombreuses centrales.

Autrement dit, la surproduction d’aluminium est d’abord et avant tout la conséquence d’une volonté de mettre à profit la surcapacité de ces centrales à charbon, de les faire « tourner » un maximum. Avec pour effet d’inonder le marché d’un aluminium bon marché, responsable de la destruction progressive des filières de l’aluminium ailleurs dans le monde, y compris et surtout en Europe.

D’énormes émissions de gaz carbonique

Nocif pour l’industrie européenne, l’aluminium chinois l’est aussi pour l’environnement. Le recours massif au charbon dans sa fabrication se traduit par des émissions de gaz carbonique à l’avenant : massives. Une première estimation annuelle peut être obtenue en rappelant qu’un kWh provenant du charbon provoque une émission presque égale à un kg de CO2 (950g). En 2017, l’industrie chinoise a utilisé près de 440 TWh provenant du charbon. Les émissions seraient ainsi de 418 millions de tonnes de CO2. L’Institut International de l’Aluminium a fait une étude particulière (2017) en prenant en compte les caractéristiques des usines chinoises. Elle conduit à une fourchette assez large d’émissions allant de 11,7 à 18,2 kg de CO2 émis par kg d’aluminium, ce qui conduirait, pour la production de 2018, à des émissions annuelles comprises entre 427 millions et 664 millions de tonnes de gaz carbonique.

Ces chiffres sont catastrophiques pour la lutte contre le réchauffement climatique. Ils correspondent à 12% à 20% des émissions de CO2 de l’Union européenne, toutes sources confondues. Ils sont très largement supérieurs à ceux des émissions françaises liées à l’énergie. La même étude montre que le l’électricité issue du charbon est peu utilisée pour la fabrication de l’aluminium… sauf en Chine. En 2015, ce combustible brûlé dans ce but l’a été pour 82% en Chine. Ailleurs, l’électricité décarbonée (souvent l’hydraulique, en France le nucléaire) est largement utilisée.

On le voit, l’industrie de l’aluminium chinoise, de loin la première de la planète, pose des problèmes liés à l’opacité des coûts de l’électricité. Mais avant tout elle est délétère pour la lutte contre le réchauffement climatique. La communauté internationale devrait se mobiliser pour amener la Chine à modifier sa politique en conditionnant ses exportations liées à l’aluminium (métal ou objets) aux émissions de gaz carbonique provoquées par leur fabrication. Il faut pousser la Chine à privilégier son hydroélectricité, fort importante, pour alimenter l’industrie de l’aluminium.


Pour en savoir plus, étude à télécharger sur
: http://www.geopolitique-electricite.com/

 

Les avis d’expert sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et n’engagent en rien la rédaction de L’EnerGeek.

 

Rédigé par : Lionel Taccoen

Lionel Taccoen
Lionel Taccoen a été représentant d'EDF auprès des Institutions Européennes de 1987 à 2000. Président des Groupes de Travail d'Eurelectric (Association des compagnies d'électricité européennes) "Marché Intérieur de l'électricité" et "Relations Internationales" de 1989 à 2000. Président élu du Comité consultatif de l'énergie auprès de la Commission européenne (1998-2001). Professeur des Universités associé de 1998 à 2004. Fondateur de la Lettre "Géopolitique de l'Electricité".
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COMMENTAIRES

  • Le ministère des Affaires économiques chinois est responsable de la facturation du recyclage des systèmes solaires.

    Lorsque l’industrie PV demande l’installation ou le renouvellement d’une installation solaire, elle paie d’abord des frais de traitement de 1 000 yuans (133 euros) par tonne.

    A noter que la Chine réduit la progression de ses parcs solaires pour s’orienter vers l’intégration entre autres dans les bâtiments, entreprises, commerces etc au plus près des consommateurs.

    C’est une nouvelle phase de transition énergétique qui permet des bâtiments producteurs d’énergie (PV et thermique entre autres) et qui va donc considérablement changer l’approche de l’énergie et la conception des bâtiments. Ce secteur a donc un très important rôle à jouer dans la transition énergétique et c’est encore mal appréhendé en France où le système électrique s’était historiquement rapidement centralisé en suivant le tracé des trains puis avec le monopole nucléaire qui va devoir affronter une décentralisation de l’énergie comme ailleurs dans les pays les plus avancés.

    Selon les estimations de l’EPA chinoise (agence de protection de l’environnement), la quantité de déchets solaires photovoltaïques en 2017 en Chine était d’environ 3 000 tonnes et devrait atteindre 10.000 tonnes en 2023 puis 100.000 tonnes en 2035. C’est donc vers 2040 que les volumes à recycler en Chine deviendront conséquents.

    Afin d’éviter la mise au rebut arbitraire de panneaux photovoltaïques au détriment de l’environnement, le ministère des Affaires économiques, l’Agence de protection de l’environnement et les industries se sont mis d’accord pour la mise en place d’un système de recyclage dès 2018.

    Guo Xuanzhen, président de la Solar Photovoltaic Power Generation Association avait estimé que le recyclage devait être basé sur le poids pour encourager les utilisateurs à utiliser de nouveaux modules plus efficaces et plus légers. Il avait plaidé en faveur de la facturation à la source (fabricant, importateur) pour éviter les doubles impositions, les trop ou moins-payés.

    Guo Xuanyuan a précisé que les frais payés par l’industrie manufacturière seront transférés à l’entreprise installatrice de même qu’au fournisseur du système.

    A noter que :

    – dans l’industrie en Chine c’est la production de fer/acier la plus consommatrice d’énergie suivie par la production de produits chimiques

    – la part d’aluminium consacrée au solaire dans la production et l’exportation totale d’aluminium chinois est très faible. Dans le monde par exemple environ 25 % de l’aluminium produit annuellement est destiné au secteur du transport. Le bâtiment est également très consommateur d’aluminium.

    – contrairement aux autres applications de l’aluminium, un panneau solaire produit de l’énergie propre et il faut de l’ordre de seulement 2 ans à ce dernier pour récupérer l’énergie nécessaire à sa fabrication alors qu’en pratique il produit couramment plus de 40 ans (par exemple les premiers panneaux solaires de 1954 produisent toujours avec un rendement de plus de 70% de leur rendement initial et les marques de solaire PV chinoises sont bien classées en terme de durabilité par le certificateur norvégien DNV GL)

    – grâce à la baisse de prix favorisés notamment par la Chine et l’Allemagne le solaire PV est présent dans la plupart des pays et apporte des bénéfices importants aux populations. Il faut donc là aussi faire le bilan “net” entre les aspects recyclages à prendre en compte dans certains pays qui n’ont pas encore cette approche et les apports positifs.

    – il ne faut pas oublier le solaire thermique et hybride et leurs énormes apports énergétiques et potentiels encore à venir, y compris pour les réseaux de chaleur, de même que leurs multiples intégrations dans les bâtiments et formes de stockage, chaleur et froid, comme électrique etc

    – le taux de recyclage de l’aluminium (comme du fer/acier) est encore faible en Chine (moins de 20%) par rapport à d’autres pays comme les Etats-Unis, mais çà évolue positivement et ils y ont pleinement intérêt. Pour aller dans le sens de la Tribune de Lionel Taccoen que je partage, il faudrait aussi les pousser à aller beaucoup plus dans ce sens du recyclage des métaux ferreux et non ferreux notamment bien que ce soit “planifié”.

    – dans le monde l’aluminium se caractérise, en matière de produits usagés, par l’un des taux de recyclage les plus élevés : il avoisine 90 % dans le secteur des transports et de la construction.

    – ce recyclage d’aluminium (et de fer/acier) permettrait à la Chine de nettement réduire la consommation d’énergie : si l’on considère en effet l’ensemble du cycle de vie de l’aluminium, on constate que la quantité de combustible nécessaire pour transformer les rebuts en alliages d’aluminium représente seulement environ 5 % de celle qu’exige la production de lingots de première fusion. Il faut donc jusqu’à 95 % moins d’énergie pour le recycler que pour produire de l’aluminium de première fusion.

    – de plus en plus de producteurs de solaire chinois utilisent les énergies renouvelables pour la production de solaire qui est d’autant plus rentable qu’ils sont fabricants de ces panneaux, en plus de leur image.

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  • En outre il y a des approches matériaux différentes déjà appliquées dans l’éolien, les transports etc avec entre autres les thermoplastiques recyclables, légers et avec une consommation d’énergie de production hyper réduite.

    Il faut savoir recycler et tendre vers les 100% de recyclage mais aussi substituer :

    https://www.arkema.com/fr/webzine/story/Arkema-mise-sur-une-offre-unique-de-composites-itapes-i-thermoplastiques/#anch-les-composites-thermoplastiques-pekk-pour-les-avions-de-demain-avec-hexcel

    .

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  • De l’aluminium au charbon . Un comble pour un combustible ferreux a plus forte densité énergétique que le charbon et sans co2 en émission .

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  • La surpeche et la baisse des stocks de poissons entraînent le réchauffement climatique . Y a – de poisson donc – de bicarbonate de calcium

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