Alors que tous les yeux étaient tournés vers la Chine, qui développe une flotte de réacteurs nucléaires embarqués sur des navires, c’est pourtant la Russie qui vient de mettre à l’eau son tout premier réacteur nucléaire flottant. Une avancée significative en ce qui concerne la technologie nucléaire. Avec ce nouveau projet énergétique, c’est également l’avenir de la filière nucléaire qui se dessine. Car pour rester une énergie compétitive, le nucléaire va devoir faire preuve de plus d’agilité, et répondre à des besoins énergétiques de plus en plus complexes.
Le projet de fabriquer un réacteur nucléaire flottant n’est pas une idée nouvelle en Russie. Dans le plus grand pays du monde, dont la superficie dépasse de peu les 17 millions de km2, la nécessité de déployer des sources d’énergie jusque dans les zones inaccessibles sert de moteur à l’innovation. Dès 2007, le gouvernement russe a présenté son projet de réacteur nucléaire flottant. Mais le développement technique a pris du temps : il a fallu mettre au point un réacteur nucléaire de puissance limitée et de taille restreinte pour être facilement embarqué sur un navire. Dans le même temps, les ingénieurs russes de la société nucléaire ROSATOM ont dû développer un modèle de navire capable d’accueillir une infrastructure nucléaire, tout en offrant de sérieuses garanties de sécurité pour affronter les tempêtes et autres incidents naturels auxquels un navire peut être confronté. “S’appuyant sur une expérience cumulée de 300 années-réacteurs d’opérations réussies pour les unités alimentant les brise-glaces, cette installation dispose des systèmes de sûreté et de sécurité les plus modernes, et devrait être l’une des installations nucléaires les plus sûres au monde” précise Vitaly Trutnev, responsable de la Direction de la construction et de l’exploitation des centrales thermiques nucléaires flottantes, filiale de ROSATOM.
Après dix ans de travail, la Russie a finalement mis au point son premier réacteur nucléaire flottant. Il a été baptisé Akademik Lomonosov, et le projet aurait coûté plus de 80 millions d’euros. Le navire en lui-même est doté d’une coque à fond plat, et il ne dispose d’aucun moyen de propulsion ; il devra être remorqué par un autre bâtiment. Il a été pensé pour être stationné dans des eaux peu profondes.
En ce qui concerne son équipement nucléaire, le navire embarque deux réacteurs nucléaires KLT 40C, qui disposent chacun d’une capacité de 35 MW et dont le cycle de vie devrait être de 40 ans. C’est une puissance très limitée par rapport à une centrale nucléaire terrestre, dont les réacteurs sont en moyenne vingt fois plus puissants.
La centrale a déjà appareillé : le 28 avril 2018, elle a quitté le port de Saint-Pétersbourg et se dirige actuellement vers Mourmansk. Là-bas, elle sera chargée en uranium, et elle subira les derniers travaux d’aménagements de son réacteur. A l’automne 2018, la centrale nucléaire flottante Akademik Lomonosov se soumettra à son premier test de criticité des réacteurs.
Une fois cette opération réalisée, la centrale nucléaire flottante devra prendre la direction de Pevek, le principal port russe en Sibérie, au printemps 2019. C’est au large de Pevek que la centrale nucléaire flottante entrera officiellement en activité. Elle remplacera l’ancienne centrale nucléaire de Bilibino ainsi que la centrale à charbon de Pevek à Chaunsk. Elle permettra d’économiser environ 50 000 tonnes de CO2 par an par rapport aux niveaux actuels et couvrira les besoins en électricité des habitants de la ville, soit près de 5 000 personnes. Sa mission prévoit aussi que la centrale assurera la couverture énergétique de plusieurs plateformes pétrolières situées dans la zone.
Le projet russe n’est pas un cas isolé. Depuis 2017, la Chine a également lancé son projet de centrales nucléaires flottantes. Même si le projet n’est pas encore entré en fonctionnement, les premières centrales nucléaires flottantes chinoises devraient larguer les amarres à l’horizon 2020. Deux entreprises ont été commissionnées pour développer des centrales nucléaires flottantes. La China General Nuclear travaille à la mise au point d’un réacteur ACPR 50S, d’une puissance de 100 MW, qui pourra équiper un navire spécialement conçu pour cet usage. De son côté, la China Nuclear Corporation voit plus grand en travaillant sur un réacteur nucléaire ACP 100S, d’une puissance de 450 MW. D’après les prévisions des deux entreprises, les centrales nucléaires flottantes pourront aller jusqu’à 1 500 miles de distance des côtes chinoises.