Le confinement magnétique des plasmas thermonucléaires progresse pas à pas - L'EnerGeek

Le confinement magnétique des plasmas thermonucléaires progresse pas à pas

plasma thermonucleaire

Le 26 octobre dernier, lors d’une conférence internationale organisée par l’Ente Nazionale per le Nuove tecnologie (ENEA) à Rome, le directeur du Consorzio RFX (Padoue) a présenté un avant-projet de réacteur hybride à striction avec champ renversé ou « Reversed Field Pinch reactor » (RFP) qui pourrait bien constituer une étape décisive dans l’utilisation de la fusion thermonucléaire par confinement magnétique. Jusqu’à présent, bien que la révolution thermonucléaire soit en marche, les connaissances parcellaires sur la physique des plasmas ne permettaient pas l’exploitation industrielle de ce procédé. 

Retour sur la genèse du confinement magnétique pour la fusion nucléaire

En 2012, dans un rapport intitulé « La fusion nucléaire : de la recherche fondamentale à la production d’énergie ? », l’Académie des Sciences rappelait “que la mise au point d’un matériau est toujours une affaire longue (15 à 20 ans), a fortiori dans le cas de la fusion où on se trouve dans des conditions inédites”. Et pour cause, la maîtrise de cette technologie nécessite de pouvoir contenir un plasma porté  à quelques 150 millions de degrés Celsius.

Lire aussi : La révolution de la fusion thermonucléaire est en marche

Deux options ont pour l’instant été envisagées pour contenir le plasma : le confinement inertiel et le confinement magnétique. Le confinement inertiel a été imaginé dans les années 70 et le confinement magnétique dans les années 1950. Le confinement magnétique a depuis été à l’origine de l’élaboration de plusieurs modèles dont les réacteurs Tokamaks (TOroidal-naia KAmera MAgnitnaïa Katouchka), initialement conçus par les Russes Igor Tamm et Andreï Sakharov, sont aujourd’hui les plus répandus. C’est ce modèle qui a été retenu pour le projet ITER (qui rassemble les principales puissances nucléarisées du monde), mais aussi pour réaliser divers prototypes en France, en Angleterre ou au Japon. Le Stellarator quant à lui – son concurrent américain – a été quelque peu délaissé.

Du projet ITER au réacteur « Démo » : le chemin vers la fusion nucléaire

En février 2015, le Directeur de l’Agence ITER France, Jérôme Paméla, accordait une interview à ParisTech Review intitulée “Fusion nucléaire: qu’il est long le chemin du rêve à la réalité!”. On y apprenait que l’estimation initiale du coût du projet, réalisée en 2000 par l’Union Européenne, devrait être revue à la hausse. A en croire les premières estimations, le Tokamak nécessiterait déjà plusieurs dizaines de milliards d’investissement (montant à comparer au volume annuel d’environ 3500 milliards d’euros du marché de l’énergie). Au niveau du calendrier, Jérôme Paméla estimait que nous pourrions « disposer d’une installation de fusion nucléaire pré-industrielle ” en 2050.

Lors d’une audition à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques en 2011, le directeur adjoint pour la France du projet ITER, Pascal Garin, affirmait cependant que le cycle du combustible “que partiellement vérifié dans ITER”. Selon lui, c’est seulement le successeur d’ITER, surnommé « Démo » pour démonstrateur, qui serait “logiquement suivi d’une filière industrielle, avec des prototypes” pour produire de l’énergie. Rien d’étonnant dès lors dans les propos de Bernard Saoutic, ingénieur à l’Institut de Recherche sur la Fusion par confinement Magnétique (IRFM) du CEA, qui souligne qu’« à moins d’une percée scientifique imprévisible », il est illusoire de « compter sur l’énergie de la fusion pour nous sortir de la crise environnementale actuelle ».

Les réacteurs Tokamaks dans l’impasse de leur physique des plasmas ?

Mobilisatrice de très lourds financements, cette configuration magnétique doit encore faire la preuve de sa capacité à contenir le plasma dans un régime thermonucléaire. La thèse réalisée par Cédric Reux en collaboration avec l’Institut de Recherche sur la Fusion par confinement Magnétique, montre que les études sur la physique des plasmas se poursuivent. Avec l’Ecole Polytechnique et le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), le chercheur a pu accéder aux tokamaks JET (Grande-Bretagne) et Tore-Supra (France) pour tester une méthode d’amoindrissement des disruptions de leurs plasmas – « phénomènes menant à la perte totale du confinement du plasma en quelques millisecondes ». Après suivi de ces expériences en laboratoire, il constate « qu’aucune modélisation du comportement du plasma contenu dans ces machines n’est fiable et représentative ».

Lire aussi : La fusion nucléaire par confinement magnétique : enjeux et avancées

Une situation problématique pour l’ancien directeur de recherches au CNRS, Jean-Pierre Petit, qui considère que « le pilotage d’un tokamak relève de l’empirisme le plus complet ». En effet, du fait de nos connaissances insuffisantes sur les disruptions, même avec les supercalculateurs les plus puissants, ce dernier affirme qu’il est impossible de prévoir les interactions de l’ensemble des particules électriquement chargées dans le plasma généré par fusion atomique. Sur le site officiel d’ITER, on constate d’ailleurs qu’après l’actualisation du calendrier prévisionnel lors de la 18e session du Conseil ITER en juin 2016, la date d’obtention du premier plasma deutérium-tritium auto-entretenu reste « à confirmer ».

Le RFP une solution pour améliorer nos connaissances sur le confinement magnétique des plasmas thermonucléaires ?

Le 26 octobre dernier, lors d’une conférence organisée à Rome par l’Ente Nazionale per le Nuove tecnologie (ENEA), Roberto Piovan, directeur du Consorzio RFX à Padoue, a présenté ses travaux sur les réacteurs hybrides à striction renversée (Reversed Field Pinch, RFP). Parmi les autres personnalités intéressées par les solutions hybrides, l’ex-directeur d’International Thermonuclear Experimental Reactor (ITER), Paul Henri Rebut, fait figure de référence. Un expert qui en 1996 déjà alertait la communauté internationale du temps que pouvait demander la production d’énergie issue de la fusion des éléments légers (hydrogène, deutérium et tritium) à un niveau industriel.

En 2016, le RFP a déjà fait l’objet de plusieurs expérimentations aux Etats-Unis comme en Italie ou au Japon, avec des résultats encourageants. Si ce dernier ne peut être considéré comme une véritable percée scientifique, il a le mérite de ne pas engendrer de disruptions, à l’instar du Stellarator. En effet, le RFP présente l’avantage de ne pas nécessiter des chauffages additionnels, ni de bobines toroïdales supraconductrices, ni de présenter des contraintes magnétiques susceptibles de déformer l’infrastructure. Ce qui induit un coût de construction moindre. Aussi, les recherches sur un réacteur hybride fusion/fission, avec une configuration à striction renversée, pourraient servir d’étape intermédiaire visant à améliorer nos connaissances sur le confinement magnétique des plasmas thermonucléaires.

L’avis d’un expert, le Directeur de Recherche Émérite de l’Université Aix-Marseille, Dominique Escande 

Interrogé sur les travaux présentés par le Consorzio RFX, le Directeur de Recherche Émérite de l’Université Aix-Marseille, Dominique Escande, explique que « si le RFP ne peut pas disrupter, c’est à cause d’une auto-organisation magnétique, où la déformation hélicoïdale qui pourrait mener à une disruption se produit en début de décharge, mais s’auto-stabilise grâce au renversement du champ magnétique toroïdal au bord du plasma. Le RF de RFP n’est pas anecdotique » ! Pour autant, la qualité du confinement de cette configuration doit encore être améliorée par rapport à celle du Tokamak et du Stellarator pour réaliser un réacteur à fusion. En revanche, assure-t-il, une telle configuration est crédible pour un réacteur hybride fusion-fission, son confinement étant « suffisant pour réaliser la source à neutron située au cœur d’un réacteur hybride ».

Crédit Photo : @SputnikFrance

Rédigé par : La Rédaction

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COMMENTAIRES

  • Quel fantastique bras-de-fer l’Humanité donne au reste de la Cr… de l’Univers : allons-nous réussir finalement à accomplir le “Grand Oeuvre” du XX° siècle, la Pierre Philosophale du thermonucléaire, la transmutation des forces fondamentales de la Nature et le moyen de faire “comme les étoiles”, faire cracher de l’énergie à partir de “Rien” ?… Beaucoup d’errances, de mauvais chemins, d’ambitions injustifiées , de fortunes mal acquises, de services publics dévoyés…. Au bout du compte ( et du “tunnel” ) , les victimes elles-mêmes se sentiront victorieuses, et cela, personne ne pourra le leur retirer !…

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