La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) vise à lutter contre le dérèglement climatique en décarbonant la production d’énergie finale en France d’ici 2050. Pour y parvenir, plusieurs scenarios sont envisagés, qui accordent une place plus ou moins importante aux énergies renouvelables au sein du mix électrique. Selon la Revue Contexte, dans un rapport à paraître, le gestionnaire du Réseau de Transport de l’Electricité (RTE) arriverait à la conclusion selon laquelle un mix électrique décarboné reposant entièrement sur les énergies renouvelables serait techniquement possible en 2050. Alors qu’Emmanuel Macron vient de rappeler l’importance de l’énergie nucléaire dans notre stratégie écologique et énergétique et que le chef économiste de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) vient de préciser que cela comporterait des risques élevés de sécurité d’approvisionnement, ce scénario étonne et détonne par son caractère peu réaliste.
Des difficultés techniques non négligeables
Le rapport conduit par RTE rappelle que quatre ensembles de conditions doivent être remplis pour rendre techniquement possible l’existence d’un mix électrique reposant intégralement sur les énergies renouvelables : la stabilité du réseau, la sécurité d’alimentation, les réserves opérationnelles censées couvrir les aléas survenant dans la production ou la consommation, et enfin le développement des réseaux, qui devraient être renforcés et restructurés afin de gérer une part beaucoup plus importante d’énergies renouvelables.
Les contraintes techniques inhérentes aux énergies renouvelables laissent penser qu’il est très peu probable que cet alignement de conditions se produise. L’intermittence des énergies solaires et éoliennes, qui les rend inutiles en cas d’absence de soleil ou de vent, suppose le développement d’importantes capacités de stockage, solution très coûteuse, d’autant plus que le stockage « implique de considérables déperditions d’énergie », explique Philippe Hansen, auteur du blog Énergie-Crise.
Par ailleurs, le lourd bilan environnemental des millions de tonnes de batteries nécessaires à la réussite de ce scénario, batteries dont la durée de vie est limitée, viendrait écorner l’image d’un mix électrique « tout-vert ». Réagissant à une étude de 2015 de l’Ademe envisageant déjà un mix tricolore 100 % renouvelables, les ingénieurs et physiciens Dominique Grand, Christian Le Brun et Roland Vidil écrivaient ainsi que ce scénario « émet des gaz à effet de serre dans une proportion égale au mix actuel en première approximation ». Quant au stockage via « power to gas », technique permettant de transformer l’électricité en hydrogène ou en méthane, il est encore balbutiant et il apparait aventureux de se reposer sur lui. Difficile, dans ces conditions, d’envisager la constitution de « réserves opérationnelles censées couvrir les aléas survenant dans la production ou la consommation ».
Autre solution, stabiliser le réseau, afin de pouvoir exploiter le surplus de production renouvelable en le transférant là où des manques se font ressentir. Une solution « impossible à l’échelle de la France, et même de l’Europe, selon Philippe Hansen. Il n’y a pas assez de décalages horaires pour compter sur l’alternance des périodes d’ensoleillement et de vent. En outre, les réseaux n’existent même pas. » Enfin, notons que si le potentiel de production des EnR en métropole s’élève à 1 268 térawattheures (TWh) par an, toutes filières vertes confondues (éolien, solaire, biomasse, géothermie, hydraulique, énergies marines), c’est à dire trois fois la demande annuelle d’électricité prévue d’ici 2050 (422 TWh), les infrastructures nécessaires à la production de cette énergie verte manquent pour l’instant cruellement. Pour le seul éolien, il faudrait ainsi passer d’une puissance installée de 15 gigawatts (GW) en 2018 à 96 GW d’ici 2050. Or, rappelle Bertrand Cassoret, Maître de Conférences à l’Université d’Artois, « on a installé en France environ 1,5 GW par an ces dernières années et la durée de vie d’une éolienne est probablement inférieure à vingt-cinq ans. Il faudrait donc, en vitesse de croisière, tripler la cadence d’installation, donc disposer de trois fois plus de capacités de fabrication, de personnels qualifiés, de grues… » Là aussi, difficile de compter sur une véritable sécurité d’alimentation, qui apparait très hypothétique.
Ces difficultés seront-elles, à terme, surmontables ? Bien malin qui pourrait le dire. Il apparait cependant ambitieux de compter sur la probabilité que les quatre conditions énoncées dans le rapport conjoint de RTE et de l’AIE soient réunies d’ici 2050.
Une étude qui omet de poser la question des coûts financiers et sociaux
Le rapport étudie la possibilité technique de parvenir à un mix électrique composé en grande partie d’énergies renouvelables. Mais la réalisation effective d’un tel projet ne saurait avoir lieu sans une réflexion plus globale intégrant les coûts. Ceux-ci sont de plusieurs ordres. Économique d’abord : l’intermittence des énergies renouvelables et leur difficile pilotabilité entraînent un accroissement des coûts nécessaires à leur intégration au système électrique, mais suppose aussi l’installation, nous l’avons dit, d’innombrables unités de production supplémentaires, ceci afin de parvenir, toutes sources d’énergies vertes confondues, à une capacité installée de 196 GW. De quoi gonfler de 30 % le prix de l’électricité, qui passerait de 91 euros le mégawattheure (MWh) à 119 euros. Le déploiement des énergies renouvelables repose aujourd’hui sur des mécanismes de soutien publics, nécessaires à leur développement. Mais dès 2018, dans un rapport intitulé Le soutien aux énergies renouvelables, la Cour des comptes dénonçait la faible efficacité des énergies renouvelables au regard des subventions qui les soutiennent. Il est donc à craindre que ce rapport coût/efficacité demeure défavorable dans un contexte de plus large développement des énergies renouvelables.
Les coûts sociaux d’un tel déploiement des énergies renouvelables au sein du mix électrique français ne doivent pas non plus être négligés. Le facteur de charge des énergies éolienne ou solaire, c’est-à-dire le rapport entre l’énergie qu’elles produisent sur une période donnée et celle qu’elles auraient produite durant cette période en fonctionnant au maximum de leur capacité, demeure faible en comparaison d’autres énergies non intermittentes. Celui-ci leur impose ainsi de disposer d’immenses surfaces pour bénéficier d’une puissance suffisante. Philippe Hansen estime que pour atteindre 100% d’énergies renouvelables au sein de notre mix électrique, il faudrait installer en France un parc éolien tous les 6 km. Alors qu’Élisabeth Borne, alors Ministre de la Transition écologique et solidaire, a annoncé fin 2019 des mesures pour renforcer l’acceptabilité de l’énergie éolienne, un tel développement pourrait susciter des difficultés déjà ressenties aujourd’hui : nuisances lumineuses ou sonores, modification des paysages, artificialisation des sols … comme le montre le projet géant de panneaux solaires près de Bordeaux qui se traduit par la destruction de … 1000 hectares de forêt.
Enfin, il faut mentionner le coût écologique d’un mix électrique reposant entièrement sur les énergies renouvelables. L’exploitation des terres rares, sur laquelle repose le développement des éoliennes, ou l’extraction du silicium nécessaire aux panneaux photovoltaïques ne sont pas sans effet sur l’environnement. Dans un article paru en septembre 2020 dans la revue Nature, un collectif de chercheurs a démontré le risque que fait peser sur la biodiversité l’extraction minière nécessaire à la production d’énergie renouvelable. Ce sont ainsi 50 millions de kilomètres carrés qui sont touchés par l’extraction minière dans le monde, dont 8% coïncident avec des zones protégées. Parmi ces zones minières, 82% concernent des matériaux nécessaires à la production d’énergie renouvelable : aluminium, chrome, cuivre, fer… Un rapport de l’ONG Sherpa a récemment mis en lumière les conséquences de l’augmentation de l’exploitation de matières premières dans le cadre du développement des énergies renouvelables. Dans cette étude, l’ONG rappelle que le Business and Human Rights Resource Centre a dénombré « plus de 160 cas d’atteinte aux droits humains et à l’environnement pour les 37 plus grandes entreprises impliquées dans l’extraction et l’utilisation de minerais dans le cadre de la transition écologique ».
Un déploiement raisonné des énergies renouvelables en réponse à l’impératif de décarbonation
Face à ces contraintes techniques et à ces coûts importants, l’idée d’un mix électrique intégralement composé d’énergies renouvelables paraît chimérique. Elle reviendrait à se priver d’une énergie décarbonée, le nucléaire, à l’origine de plus de 70 % de l’électricité produite en France en 2019 et émettant 6 grammes de CO2 par KWh (comme l’hydraulique et un peu moins que l’éolien), pour la remplacer par des énergies renouvelables au caractère écologique et à l’efficacité discutables.
Il ne s’agit pas pour autant de condamner le développement des énergies renouvelables. Favoriser leur déploiement vers le transport ou le bâtiment, qui demeurent les principaux consommateurs d’énergies fossiles, pourrait permettre de lutter plus efficacement contre les émissions de gaz à effet de serre. Une note de France Stratégie évoquait en 2018 la nécessité de miser « sur d’autres énergies décarbonées, électricité et biomasse en tête », pour cesser de recourir au gaz d’origine fossile. Celui-ci, responsable de 20% des émissions de gaz à effet de serre, est particulièrement utilisé pour chauffer les locaux résidentiels et tertiaires. Développer les énergies renouvelables comme la biomasse, le solaire thermique ou l’électricité sous forme de pompe à chaleur permettrait de lutter efficacement contre les émissions de CO2 dans ce secteur et contribuerait à nous rapprocher d’un objectif de neutralité carbone en 2050.
Face à l’urgence climatique, et à la nécessité de limiter la hausse des températures, la politique énergétique française doit continuer à s’appuyer sur un mix électrique diversifié, comprenant une part de renouvelable soutenue par l’énergie nucléaire, et favoriser la décarbonation des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre.
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