Le 23 avril dernier, le gouvernement français a présenté la PPE 2020. ENR, maîtrise de la consommation, stockage de l’électricité… La PPE 2020 passe tous les sujets énergétiques en revue sauf un : la cogénération nucléaire. Grande absente du débat, elle n’est pas abordée dans le document. Pour l’AIEA et le CEA, il s’agit pourtant d’une solution efficace pour optimiser la production d’énergie du parc nucléaire.
Chauffer les maisons avec le nucléaire
En 2019, le parc nucléaire français a couvert 70,6% de la production électrique du pays. Une production électrique largement décarbonée, mais dont le bilan environnemental pourrait encore être meilleur. En effet, les deux tiers de la chaleur produite par les réacteurs nucléaires sont perdus. Cette chaleur supplémentaire, inutile, est simplement rejetée dans la nature.
La cogénération permet de récupérer la chaleur des turbines à vapeur des réacteurs. Cette chaleur, une fois captée, pourrait être redistribuée. Elle alimentera ensuite les réseaux de chaleur des collectivités ou des sites industriels. Grâce à ce système, une centrale nucléaire ne sert plus seulement à produite de l’énergie électrique. Elle produit en plus de l’énergie thermique.
L’AIEA et le CEA militent pour la cogénération nucléaire
Au sein de l’AIEA, la cogénération nucléaire est devenue une sorte de marotte. L’Agence consacre régulièrement des rapports au sujet. Au CEA aussi, la cogénération nucléaire est une idée qui séduit. En octobre 2013, Henri Safa, membre de la direction scientifique du CEA, déclarait au journal Le Monde : « On pourrait chauffer la France entière avec la chaleur nucléaire. Le gisement de chaleur produite dans les centrales est énorme. Au lieu d’en rejeter la plus grande partie en pure perte, on pourrait l’exploiter, en cogénération, pour le chauffage urbain et l’industrie. »
74 réacteurs nucléaires en cogénération dans le monde
En 2019, l’AEIA dénombrait 450 réacteurs nucléaires civils dans le monde. Parmi eux, elle compte pas moins de 74 réacteurs nucléaires qui fonctionnent en cogénération. On les trouve principalement en Europe de l’Est : Russie, Roumanie, République Tchèque, Ukraine, Bulgarie, Hongrie et Slovaquie. Dans ces pays froids, l’utilisation de la cogénération nucléaire pour répondre à la demande de chauffage est une évidence.
Ailleurs dans le monde, la cogénération est aussi utilisée, même si elle est surtout privilégiée pour des raisons industrielles. En Inde, des réacteurs nucléaires de cogénération ont vu le jour pour alimenter en chaleur des sites industriels. Au Japon, ils alimentent des usines de dessalement de l’eau de mer.
La cogénération nucléaire : une réalité avortée en France
En France, la cogénération a fait l’objet de plusieurs études et projets. Dans les années 1970, le CEA a tenté de développer un réacteur nucléaire de chauffage urbain. Le projet Thermos devait voir le jour à Grenoble. Il a finalement été abandonné. Et depuis, aucun projet de cogénération nucléaire n’a vu le jour dans l’Hexagone.
Pourtant, EDF a déjà lancé plusieurs projets pour valoriser les eaux tièdes rejetées par six de ses centrales nucléaires. Ces eaux entre 40°C et 45°C alimentent le circuit de chauffage de plusieurs bâtiments (salles de sport, piscine, maison de retraite) et des fermes horticoles. Une première étape vers la cogénération ? Pas exactement.
EDF et la cogénération : histoire d’un rendez-vous manqué
Du côté d’EDF, la cogénération nucléaire est loin d’être à l’ordre du jour. Interrogé en 2013, Dominique Minière, alors directeur délégué à la production, déclarait : « Développer la cogénération à partir des centrales existantes nécessite des études approfondies. Tant d’un point de vue technique […] que d’un point de vue économique, la rentabilité n’étant pas assurée. » Un argument pourtant balayé par le CEA, qui a déjà étudié la question.
Dans son article de 2017, Henri Safa précise : « Les réseaux de chauffages urbains se sont progressivement construits et l’amélioration de la technologie des lignes de chaleur permet aujourd’hui de transporter de l’eau chaude sur une distance de 100 km avec moins de 2% de perte de chaleur. Ces progrès ouvrent la voie au développement à grande échelle de la cogénération nucléaire. Cette technologie pourrait de façon réaliste subvenir à la moitié des besoins énergétiques de la France en chauffage et eau chaude sanitaire. »
L’expert du CEA estime qu’il faudrait investir dans les infrastructures de cogénération et de nouvelles lignes de chaleur. Mais la rentabilité serait assurée. Selon lui, la cogénération nucléaire permettrait d’économiser chaque année 7 milliards d’euros. Soit la moitié du budget d’achat d’hydrocarbures pour le chauffage résidentiel-tertiaire.
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