Le 26 juin, l’Agence internationale de l’énergie, qui rassemble une trentaine de pays membres de l’OCDE, a rendu publiques les conclusions de son rapport sur les politiques énergétiques au sein de l’Union. L’AIE s’inquiète très fermement de la stratégie plébiscitée par l’Union européenne quant au futur mix énergétique du continent, craignant ainsi un abandon progressif du nucléaire. « L’Europe n’a pas le luxe d’exclure une technologie bas carbone » affirme Fatih Birol, directeur de l’AIE.
L’AIE s’inquiète d’un abandon précoce du nucléaire
La part du nucléaire dans le mix électrique européen s’élevait, en 2017, à 25 %. Elle est, actuellement, à l’origine de 50 % de la production d’électricité à faible teneur en carbone. Un taux qui pourrait descendre à 5 % du mix électrique global d’ici 2040 sans une action très volontariste des États membres. « La plus forte diminution du parc nucléaire » des pays développés explique l’AIE.
De quoi réjouir les plus fervents antinucléaires ? Peut-être. Mais, selon l’AIE, il est délicat de se féliciter d’une telle évolution. En effet, face à une demande toujours croissante, les alternatives actuelles au nucléaire, comme les renouvelables ou le gaz naturel, ne pourront pas se substituer à l’atome. Les 123 réacteurs actuellement en service dans 14 des États membres de l’UE permettent en revanche une relative bonne sécurité énergétique pour certains pays européens, comme la France. Et surtout, l’AIE affirme que le recours au nucléaire, en termes de coûts et d’émissions de CO2, demeure la solution la plus avantageuse de tous les modes de production. Une prise de position qui fait écho à l’arrêt du réacteur de Fessenheim le 29 juin. « Nous mettons au rébus des installations amorties qui ne produisent pas de CO2 pour les remplacer par des installations qui, si elles n’en produisent pas non plus, présentent de très nombreux inconvénients et augmentent la facture électrique des citoyens » déplore, par exemple, Samuel Furfari, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles.
C’est ainsi que l’AIE appelle à conserver ouverte l’option nucléaire « pour 2030 et au-delà ». Et, pour ce faire, l’« UE doit soutenir la prolongation de la durée de vie et la construction de nouvelles centrales », à travers un soutien financier assumé. En effet, avec une durée de vie par réacteur de 40 ans en moyenne, le parc européen vieillit. Aux États-Unis, la durée d’activité des réacteurs nucléaires est de 60 ans. Dans le scénario 2050 de la Commission européenne, l’épine dorsale de la production d’électricité décarbonée sera fondée sur les renouvelables à 80 % et le nucléaire à 15 %. Ces 15 % correspondent à des niveaux de production équivalents à ceux en vigueur aujourd’hui. Quotas qui seront néanmoins impossible à tenir, selon l’IAE, sauf à maintenir en activité certains réacteurs, voire à en construire d’autres.
Certes, le facteur prix pourrait refroidir la Commission européenne. Mais, l’organisation supragouvernementale estime que les capacités de financement existent. L’un des mécanismes plébiscités par l’AIE est le classement de l’énergie nucléaire en tant que « technologie de transition » lui permettant, ainsi, d’être éligible à la taxonomie verte aspirant à orienter les financements publics et privés vers des activités climato-compatibles dans le cadre du Green Deal européen. « Pour tirer parti de l’énergie nucléaire en tant que source d’électricité à faible émission de carbone, il est important que le nucléaire soit traité sur un pied d’égalité avec d’autres technologies à faible émission de carbone, et qu’il y ait une cohérence entre les politiques basées sur des scénarios de l’UE » explique-t-on du côté de l’AIE. Au total, ce mécanisme de transition prévoit tout de même la mobilisation de 1 000 milliards d’investissements publics et privés. Une somme initiale qui pourrait d’ailleurs être impacté par la crise sanitaire, dont les conséquences budgétaires initiales sur les États sont d’ores et déjà colossales.
Une approche partagée par le GIEC
Sur ce point, l’AIE n’est pas seule et d’autres études prospectives jugent le recours au nucléaire comme une nécessité impérieuse pour répondre aux exigences climatiques. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), à l’origine des études de référence sur le sujet, estime, par exemple, qu’une augmentation des capacités de production nucléaire à l’échelle internationale est nécessaire d’un facteur 2 à 5 dans les différents scenarii de décarbonation de la production d’énergie. En effet, en France, les études s’accordent à considérer que le nucléaire émet 6 grammes de CO2 par kWh produit, ce qui équivaut peu ou prou à l’hydraulique ou l’éolien et demeure plus faible que le photovoltaïque et, dans une très large mesure, le gaz ou le charbon. Ce choix du nucléaire explique le fait que la France est, pour le moment, l’un des pays d’Europe dont l’énergie est la moins carbonée du continent.
D’autant que le principal facteur d’inquiétude, à savoir le traitement des déchets, s’engage dans des perspectives très rassurantes, selon l’AIE. Le stockage géologique profond est aujourd’hui la solution la plus communément admise pour les combustibles nucléaires usés et les déchets radioactifs de haut niveau. En Finlande, le projet d’infrastructure dédiée devrait être mis en service en 2025. La France et la Suisse sont aussi très avancées dans le processus. Au niveau de la sécurité des installations, autre facteur hautement sensible, l’Europe s’en remet à la directive sur la sécurité qui, dans sa version de 2014, révisée après l’accident de Fukushima, demeure le texte de référence. En effet, selon l’AIE, le nucléaire s’inscrit « dans le plein respect du principe d’innocuité » et peut à ce titre, être classé parmi les technologies de transition de la Commission européenne car il dispose d’un niveau de sûreté suffisant pour y prétendre.
Si l’intérêt du nucléaire comme source de production bas-carbone pleinement intégrée dans la transition énergétique est partagée par le GIEC et l’AIE, il se heurte toujours au plafond de verre de l’acceptabilité sociale et politique. La prise de position de l’AIE, après celles du GIEC, pourrait inviter la Commission européenne à repenser la place de l’atome dans la transition énergétique.
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