« Interdire le démarchage à domicile pour la fourniture de gaz et d’électricité ». La récente prise de position du nouveau médiateur national de l’énergie, Olivier Challan Belval, a fait l’effet d’une petite bombe. Même son prédécesseur, Jean Gaubert, n’était pas allé si loin dans ses recommandations. En effet, du côté des consommateurs, la défiance vis-à-vis des pratiques de vente abusives dans le domaine du gaz et de l’électricité semble atteindre des sommets et les litiges se multiplient. A l’Assemblée nationale, des députés de la majorité et de l’opposition s’engagent aussi plus fermement pour exiger un renforcement réglementaire de la vente directe et les associations de consommateurs interpellent les pouvoirs publics.
Guerre commerciale sur fond d’ouverture à la concurrence
Ouvert à la concurrence depuis 2007, le secteur de la fourniture d’électricité aux particuliers fait l’objet d’une guerre commerciale entre les dizaines d’opérateurs qui se partagent le marché. L’objectif demeure de gagner, à tout prix, de nouveaux clients. Si EDF reste le premier choix des consommateurs, 73 % des sites résidents et non-résidents étant encore assujettis au tarif réglementé de l’acteur historique, ses concurrents restent à l’affût pour séduire les consommateurs. Le recours aux canaux de vente directe, notamment le démarchage à domicile ou téléphonique, est le vecteur commercial privilégié par les opérateurs alternatifs. Dans son rapport annuel d’activité 2018, le médiateur soulignait ainsi que plus d’un Français sur deux (56 %) avait été démarché pour une offre d’électricité ou de gaz, contre seulement 36 % en 2017. Cette tendance croissante a logiquement entraîné une augmentation des litiges, concentrés en 2018 autour des deux principaux concurrents d’EDF, Engie et ENI qui s’illustrent avec respectivement 44 %, avec 28 % des litiges traités par les services du médiateur. En 2019, les services du médiateur avaient été saisis de 1 883 litiges contre 1 416 en 2018. À signaler, le démarchage à domicile génère beaucoup plus de litiges que la vente par téléphone, qui concentre pourtant 70 % des approches commerciales. En effet, selon le médiateur de l’énergie, dans le cas du démarchage téléphonique, « les consommateurs peuvent se soustraire à la pression commerciale simplement en raccrochant et s’ils concèdent un accord verbal, celui-ci ne les engage pas ».
UFC-Que Choisir monte au front
Pétitions, témoignages, prises de position publiques : UFC-Que Choisir est aux premières loges de la lutte contre les pratiques abusives de vente. L’association a lancé une pétition réclamant l’interdiction pure et simple du « fléau » du démarchage téléphonique en déplorant, entre autres, l’inefficacité du dispositif Bloctel et le « consentement par défaut du consommateur ». À ce jour, la pétition, lancée avec une dizaine d’autres associations de consommateurs et familiales, réunit presque 415 000 signataires. Sur la question du démarchage à domicile, UFC – Que Choisir s’est logiquement rangé du côté du médiateur de l’énergie en réclamant aussi l’interdiction.
Le 9 mars, UFC-Que Choisir a publié les « confidences d’un commercial », recueillies auprès d’un vendeur à domicile travaillant pour un sous-traitant d’Engie et Iberdrola. Les méthodes déployées rivalisent d’ingéniosité et dépassent, bien souvent, les cadres légaux établis pour protéger le consommateur. « Pour connaître le nom du fournisseur actuel, on appelle Enedis en se faisant passer pour la personne et en inventant un problème insoluble. Une fois qu’on l’a, on n’a plus qu’à signer, c’est un nouveau contrat » explique Sylvain à l’UFC-Que Choisir. Pour le gaz, c’est encore plus simple. La visite du démarcheur se transforme en un relevage classique de compteur. Pendant l’opération, une « anomalie » — évidemment inexistante — est identifiée. Le démarcheur fait ensuite signer un avis de passage, qui n’est autre qu’un nouveau… contrat. Les rémunérations sont très attractives et peuvent, « sans forcer », s’élever à 4 000 à 5 000 euros par mois. Les employeurs, des prestataires des fournisseurs quant à eux, ne sont guère regardants sur les méthodes de leurs commerciaux. Un témoignage qui, malheureusement, tranche avec les préconisations de l’ancien médiateur de l’énergie, qui estimait que le mode de rémunération à la commission des prestataires était un facteur de mauvaise pratique commerciale et plébiscitait l’introduction d’un salaire minimum pour les démarcheurs afin de protéger les consommateurs des mauvaises pratiques.
À l’Assemblée nationale, le ton monte aussi
La dernière prise de position en date a été portée par André Chassaigne, député communiste de la 5e circonscription du Puy-de-Dôme le 21 février dernier, et une quinzaine de députés du groupe Gauche démocrate et républicaine. Sa « proposition de loi visant à protéger les abonnés des démarchages téléphoniques non désirés » réclame une augmentation des sanctions financières « dès lors qu’une société de démarchage aurait été signalée trois fois pour des appels non désirés ». Là encore, les députés déplorent l’inefficacité supposée du dispositif Bloctel. Une proposition de loi qui fait aussi écho à celle, portée en 2019 par Marc Le Fur, député Les Républicains des Côtes-d’Armor, qui souligne, là encore, un dispositif Bloctel qui « ne sert à rien » et est à l’origine d’« une proposition de loi visant à faire interdire purement et simplement le démarchage téléphonique ». Encore chez Les Républicain, Philippe Gosselin, engagé de longue date sur le sujet, s’est prononcé en faveur d’une augmentation des amendes.
Sur le démarchage téléphonique abusif, l’Assemblée nationale a cependant durci les règles. Interdiction dans le secteur de la rénovation énergétique, reconduction tacite de l’inscription sur la liste Bloctel, multiplication des sanctions à l’encontre des professionnels ne respectant les réglementations en vigueur sont au rendez-vous de cette loi votée le 30 janvier 2020. Encore insuffisant pour une partie des élus. Les Républicains souhaitaient en effet renverser la logique d’opt-out actuellement en vigueur, qui suppose que toute personne ne refusant pas expressément le démarchage y consent, par une logique d’opt-in qui prévaut dans beaucoup de pays européens et repose sur le consentement signifié en amont des consommateurs. Pour le démarchage à domicile, aucune loi ne semble se dessiner à l’horizon. Mais, la mobilisation des associations de consommateur et d’une partie des députés pourraient mettre ce sujet sur la table et venir ainsi compléter le nouveau cadre législatif en vigueur pour le démarchage téléphonique.
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