Stanislas Pottier : « il y a un ostracisme de l’électricité dans le bâtiment » (interview)

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Stanislas Pottier

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Le secteur du bâtiment est, avec les transports, l’un des principaux pollueurs de France représentant 25% des émissions de gaz ...

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Le secteur du bâtiment est, avec les transports, l’un des principaux pollueurs de France représentant 25% des émissions de gaz à effet de serre. Il constitue donc un champ d’actions prioritaires au regard des potentiels d’économies d’énergie qu’ils représentent. Un enjeu de taille confirmé par les acteurs de la profession qui désignent à 83% l’efficacité énergétique comme étant la thématique phare et primordiale pour viser la neutralité carbone en 2050. Alors que la future Réglementation environnementale (RE 2020) de la construction neuve intégrant le label E+C- viendra remplacer en 2020 l’actuelle Règlementation thermique 2012 (RT 2012), rencontre avec Stanislas Pottier, président de l’Association pour le développement du Bâtiment Bas Carbone (BBCA).

  • Dans un rapport du 25 juin 2019, le haut conseil pour le climat souligne que les émissions liées au secteur du bâtiment ont baissé trois fois moins vite que prévu en dépit des investissements lourds. Où est le problème selon vous ?

Je ne suis pas du tout surpris qu’on ne soit pas au rendez-vous du chiffre annoncé surtout quand on voit le système un peu baroque qui a été mis en place avec les certifications d’économie d’énergie. En effet, elles créent des effets d’aubaine et pas beaucoup d’efficacité. On continue d’avoir une vision totalement biaisée du gisement carbone dans les bâtiments en se concentrant sur l’efficacité énergétique de la maison. J’estime qu’on s’est donné les mauvaises priorités en pensant qu’on allait mettre l’effort sur l’isolation de l’habitat diffus, ce qui est le plus compliqué à faire. Donc même si on sait bien qu’il y a des économies à faire, c’est à mon avis plus compliqué que si l’on se concentre sur les producteurs d’énergie, les grandes sociétés de transports ou les modes constructifs du bâtiment.

On voit aussi que dans le bâtiment, il y a toute une chaîne d’acteurs qui n’est pas forcément bien formée aux enjeux du carbone. Dans une rénovation thermique, les propriétaires sont moyennement motivés car l’amélioration se traduit plus par une augmentation du confort thermique que par des économies budgétaires et que pour rentrer dans son investissement, le propriétaire devra attendre une période assez longue.

  • Etes-vous d’accord avec Brice Lalonde (lettre ouverte du 7 juin adressée à Thierry Repentin, président du CSCEE) pour dire qu’il existe à ce jour, dans le domaine de la construction, aucune disposition législative ou réglementaire faisant de la réduction des émissions de CO2 une obligation ?

Je comprends que nous sommes en train de nous diriger vers davantage de réglementations à l’occasion de mutations immobilières notamment avec la série de contrôles techniques obligatoires pour vendre un bien. Mais encore une fois cela dépend de quoi on parle : si l’on parle du carbone dans son ensemble, c’est assez compliqué d’imposer à un propriétaire particulier de s’engager dans des travaux de rénovation lourde. Et si on ne parle que d’isolation ou de changer les fenêtres, cela ne va pas vraiment changer la donne.

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C’est vrai que si l’on veut faire avancer les choses sur le carbone, il est impératif de forcer un peu la main, et le fait d’avoir des échéances légales et réglementaires ainsi que des objectifs à atteindre peut permettre de mettre un coup d’accélérateur. Après je crois qu’il y a aussi une vertu dans la mesure et la transparence.

Pour moi, il faudrait qualifier le caractère général de l’obligation dans le domaine de la construction. Je pense qu’il y a des cas pour lesquels il serait assez facile de la mettre en place et d’autres un peu plus compliqué. Mais j’ai tout à fait confiance en Brice Lalonde qui est quelqu’un de très pragmatique et concret et qui connaît parfaitement les enjeux carbone !

  • Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, doit-on mettre fin à la politique du bâtiment actuellement menée, favorisant les énergies fossiles ?

Là oui, il y a un parti pris pour lequel je n’ai pas d’explication. En effet, je ne comprends pas pourquoi l’alimentation électrique a été sous représentée par rapport au fioul et au gaz. Il y a un ostracisme de l’électricité dans le bâtiment qui m’étonnes toujours au vu du poids d’EDF dans le paysage institutionnel et politique français. Cela remonte aux années 70 et aux chocs pétroliers avec un chauffage électrique qui n’était pas performant et des grille-pains potentiellement dangereux. Mais ce n’est pas vraiment compréhensible de continuer à avoir des alimentations fossiles privilégiées dans le bâtiment au détriment de l’électricité.

Aujourd’hui, tout a considérablement changé. Il y a des choses plus intéressantes et respectueuses de l’environnement comme les réseaux de chaleur ou de froid, les pompes à chaleur par exemple surtout dans un pays comme la France à l’électricité décarbonée.

  • Souhaitez-vous que la RE2020 favorise une baisse du coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire comme le propose l’Union Européenne ?

Le coefficient actuel pénalise l’électricité, il est donc tout à fait logique que la question se pose et que dans la RE 2020 l’électricité soit bel et bien valorisée au regard du défi bas carbone.

Difficile de m’engager sur un taux précis, c’est un débat d’expert et l’objet d’un arbitrage politique. L’enjeu de la RE 2020, c’est aussi la prise en compte de l’énergie grise, celle qui provient des matériaux de construction représentant plus de la moitié des émissions et qui était jusqu’alors totalement ignorée. Dans ce débat RE2020, l’association BBCA s’est beaucoup concentrée sur ce qu’on voulait particulièrement faire avancer à savoir le cycle de vie et le carbone, ou l’économie matière et le recyclage, la séquestration carbone dans le bâtiment..

  • Pourquoi vous ne souhaitez pas le report de la RE2020 comme le préconise le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) ?

Je pense tout simplement qu’il n’y a aucune raison. On a suffisamment attendu. Ce ne sont pas des sujets neufs, on en parle avec l’administration depuis maintenant près de  3 ans. Cette réglementation arrive, on le sait et elle a déjà pris du retard par rapport à la date de son entrée en vigueur initialement prévue. Il y a même eu une expérimentation avec le label de préfiguration E+C- (Bâtiment à Énergie Positive et Réduction Carbone) qui a eu l’intérêt d’engager toute la profession dans une démarche collective. Donc, honnêtement, il n’y a pas de raison d’attendre. C’est en prenant date avec des objectifs (même s’ils sont révisés) que nous pourrons massifier. Je pense de façon générale que la France est clairement identifiée comme un pays en pointe sur le climat, ses secteurs économiques sont assez avancés. Sur le bâtiment, on voit que les différents acteurs comme les constructeurs, les promoteurs, les architectes et les bureaux d’étude ont un coup d’avance par rapport aux acteurs étrangers. Il y a donc une carte à jouer en France pour faire d’une contrainte réglementaire un atout concurrentiel au plan européen et mondial. Allons-y !

  • Quelles sont les prochaines échéances, discussions pour arriver à mettre en place la RE2020 ?

L’entrée en vigueur était annoncée courant 2020, le CSCEE demandant une publication des textes en 2020 sans mentionner de date effective de mise en vigueur. C’est ce dernier point qui nous dérange d’ailleurs. Honnêtement beaucoup de travaux ont déjà été faits. Les autorités sont assez compétentes pour caler une montée en puissance progressive et raisonnable de la règlementation mais nous demandons que ceux qui s’engagent dans l’exemplarité bas carbone et agissent sur le climat soient encouragés.

Face au climat, nous ne devons plus attendre, les grandes orientations doivent être prises dès aujourd’hui. Ensuite, il faut que l’échelon politique accepte de confirmer cet engagement et résiste aux forces plus conservatrices qui essayent de se faire entendre.

  • Sur près de 100 demandes enregistrées, 40 bâtiments ont reçu le label BBCA récompensant une empreinte carbone faible. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce label bas carbone ?

L’association BBCA est assez récente puisque nous sommes nés en 2015 avant la COP21. Notre but a été d’arriver à un référentiel sur ce que veut dire un bâtiment neuf bas carbone et grâce au label BBCA bas carbone, nous avons été en mesure de labelliser des bâtiments neufs bas carbone dès 2016. C’est vraiment un outil concret en constante évolution pour guider la profession et pour valoriser ce qui se fait de mieux dans la construction.

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Ensuite, nous avons mis en place un label rénovation. Il permet de définir ce qu’est une rénovation bas carbone et d’attester de la mise en œuvre de bonnes pratiques bas carbone en ne se limitant pas à l’approche énergétique mais en intégrant une démarche vertueuse sur les matériaux (conservation, économie circulaire…). Nous avons également ouvert la réflexion sur le quartier bas carbone. Qu’est-ce qu’un quartier bas carbone ? Nous comptons pas mal d’éco quartiers en France mais les exigences de chacun restent assez variables. Nous souhaitons vraiment nous poser la question de savoir si on peut parler de quartiers bas carbone. Dans les labels rénovation et neuf, vous avez une approche au m². Dans le label BBCA quartier nous sommes sur une approche usager. Ce qui est important c’est de prendre en compte le comportement de l’usager : où vit-il ? où travaille-t-il ? Comment se déplace-t-il ? Que mange-t-il ?… Toutes ces questions rentrent en ligne de compte pour définir l’empreinte carbone d’un quartier. L’Association oeuvre à réduire l’empreinte carbone du bâtiment et les chantiers ne manquent pas ; plus de 25 sociétés, membres de l’Association travaillent actuellement à produire les outils de demain.

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Stanislas Pottier
Président de l'Association pour le développement du Bâtiment Bas Carbone (BBCA), Stanislas Pottier est également Directeur de l’investissement responsable chez Amundi.

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