COP24 : les (très) mauvais chiffres de la politique climatique française

COP24 : les (très) mauvais chiffres de la politique climatique française (Tribune)

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Peut-on exorciser un présent funeste en se projetant dans un avenir idéal mais lointain ? C’est ce que tentent actuellement à Katowice (Pologne), l’Union Européenne (et la France), lors de la COP24. Une tribune de Lionel Taccoen.

En mars 2015, l’Union Européenne s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40% en 2030 par rapport à 1990. Les Européens n’y parviendront pas. Qu’importe, en 2050, c’est promis, leurs émissions seront nulles !

L’Union Européenne : le surplace

L’engagement de réduction de 40% avait été pris à partir d’un raisonnement imparable. De 1990 à 2014, les émissions avaient baissé, en moyenne, de 1% par an. Il était logique d’escompter une réduction de 40% en quarante ans de 1990 à 2030. Ce serait facile : l’Union Européenne avait enclenché de vastes programmes d’efficacité énergétique et de promotion des énergies renouvelables qui accéléreraient le mouvement. Patatras, le 20 octobre 2015, quelques semaines avant la Conférence de Paris, la Commission Européenne, se basant sur les observations de l’Agence Européenne de l’Environnement, avertit que l’Union Européenne, sauf « modification fondamentale » de la politique de l’énergie, ne remplirait pas son engagement. Ces prévisions pessimistes ont été largement confortées. Depuis 2014, les émissions européennes ne baissent plus. Les premières indications pour 2017 laissent prévoir une augmentation. Ce qui rend invraisemblable que l’objectif annoncé pour 2030 soit atteint.

La France : la marche arrière

La France, par la Loi de Transition Energétique, s’est aussi engagée à réduire ses émissions de 40% de 1990 à 2030. Le coeur de sa politique climatique concerne l’énergie, dont les émissions de gaz carbonique forment 70% des émissions totales. En France la situation se révèle plus grave que pour l’Union Européenne. Voici les émissions totales par année de 2014 à 2017, ainsi que celles du gaz carbonique (CO2) liées à l’énergie (en millions de tonnes) comparées à celles de 1990[1] :

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En 2014, les émissions totales avaient baissé de 18% par rapport à 1990. En 2017, le gain n’est plus que de 16%. La reculade est spectaculaire pour les émissions de CO2 liées à l’énergie, le gain, 15% en 2014, a littéralement fondu à 11% en 2017. La cause principale de cette marche arrière est à rechercher dans l’énergie. Désormais, pour obtenir une réduction des émissions de 40% en 2030, il faudrait que la France réalise une baisse de 24% en treize ans (2017-2030). A comparer aux 16% obtenus en dix-sept ans (1990-2017).

Politique Energie-Climat : une répartition aberrante des aides publiques

Le financement de la politique climatique française est important : environ 10 milliards d’euros par an, soit plus que le budget du ministère de la Justice (pensions comprises). Plus de la moitié (60% en 2016) va au secteur de l’électricité qui n’émet que 6% des gaz à effet de serre français (RTE).  Il se dirige essentiellement vers le « développement des énergies renouvelables [électriques], axe majeur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ». Vraiment ? M. de la Palice objecterait que la baisse des émissions à espérer des aides au secteur électrique est au plus de… 6%.  Et encore, rien n’est moins sûr. Ces renouvelables, solaire et l’éolien, ont une production intermittente. La littérature correspondante regorge de méthodes de stockage de l’électricité. La réalité est autre. Les gouvernements européens, celui de Berlin en tête, le champion des renouvelables, a demandé, et obtenu des autorités de concurrence européennes l’autorisation de fournir des aides pour la construction et/ou la maintenance de centrales électriques « pilotables », essentiellement des centrales à gaz. Ceci pour éviter les coupures dues à l’intermittence du solaire et de l’éolien[2]. Cela s’appelle créer un « mécanisme de capacité ». On retrouve, en France le coût pour le consommateur au verso des factures dans le pavé « consommation », à la ligne « mécanisme de capacité »[3].

Solaire et éolien « axe majeur de la réduction des émissions » ? S’ils remplacent le nucléaire, le gain sera nul, les émissions du nucléaire étant inexistantes. Ils peuvent remplacer le charbon et le fuel, ceux-ci n’ont produit que 2,5% de l’électricité en 2017 (RTE). Diminution correspondante des émissions : 40% de celles de l’électricité, soit 2,5% des émissions françaises…Mais solaire et éolien entraîneront, lors de leurs périodes de faiblesse, des productions de centrales à gaz. Celles-ci, en France sont en pleine expansion. Leur part dans la production d’électricité a triplé de 2014 à 2017, de 2,7 à 7,7%. Désormais, l’usage du gaz est la première cause des émissions du secteur électrique.

Compte tenu du « mécanisme de capacité » dont l’importance s’accroît avec la part des renouvelables intermittents, il est possible que les émissions de gaz à effet de serre dues aux centrales à gaz augmentent et annulent les baisses dues à la disparition des centrales à charbon et au fuel.  

En conclusion, en France, et le défaut est identique en Europe, il manque une méthodologie qui permette de classer les mesures destinées à lutter contre le réchauffement climatique suivant leur efficacité. Leur accumulation est un inventaire à la Prévert : du développement du solaire au remplacement des vieilles chaudières en passant par le renforcement de l’isolation des immeubles, les eco-quartiers, l’économie circulaire… Sans oublier les taxes sur l’essence ! Force est de constater que le résultat global est fort mauvais.

Le cas français est caricatural. Le pays s’acharne, à coup de milliards d’euros chaque année à décarboner un secteur qui l’est déjà : l’électricité. Les fonds manquent pour les transports et les bâtiments dont les émissions, suivant un tableau de bord officiel (le Suivi de la Stratégie Nationale Bas-Carbone) augmentent largement hors de la trajectoire souhaitée. Les émissions liées aux transports et aux bâtiments représentent la moitié des émissions du pays.

Il n’existe donc pas de stratégie basée sur l’efficacité des aides publiques. Pourtant, toutes les données pour la bâtir existent, en particulier au CITEPA (Centre interprofessionnel Technique d’Etudes de la Pollution Atmosphérique). Or dès à présent, les financements publics destinés à lutter contre le réchauffement climatique sont importants, et il est prévu de les accroître. Pour que les Français comprennent les efforts demandés, encore faut-il des résultats.

 

 

[1] Sources, CITEPA pour les émissions totales. Eurostat pour les émissions CO2

[2] Cf. Les Echos du 19/12/2016 –« Electricité : hausse de la facture pour éviter des coupures ».

[3] Cf.« Mécanisme de capacité, cela veut dire quoi ? » Enercoop.

 

Rédigé par : Lionel Taccoen

Lionel Taccoen
Lionel Taccoen a été représentant d'EDF auprès des Institutions Européennes de 1987 à 2000. Président des Groupes de Travail d'Eurelectric (Association des compagnies d'électricité européennes) "Marché Intérieur de l'électricité" et "Relations Internationales" de 1989 à 2000. Président élu du Comité consultatif de l'énergie auprès de la Commission européenne (1998-2001). Professeur des Universités associé de 1998 à 2004. Fondateur de la Lettre "Géopolitique de l'Electricité".
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COMMENTAIRES

  • C’est plus compliqué car il n’y a pas que le “paramètre carbone” dans l’évolution énergétique, il y a des aspects de compétitivité, innovation, concurrence, politiques, relations bilatérales etc.

    Et chaque pays à ses problématiques. Le transport devient le thème important à traiter dans plusieurs pays (en particulier Etats-Unis, Allemagne etc) alors que çà peut être l’énergie dans un autre, ou la forêt dans encore un autre etc.

    On doit également anticiper le vieillissement de notre parc. Nos émissions importées sont aussi à prendre en compte.

    On voit également les relations particulières et historiques qu’entretiennent les pays entre eux.

    Par exemple la Russie essaie de vendre son nucléaire et gaz à des pays d’Europe de l’Est notamment.

    Le Citepa ne traite pas toutes ces approches.

    Il est certain que c’est plus efficace au moins au plan européen mais difficile d’aboutir au scénario idéal vus les différents enjeux.

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  • La Tribune a demandé à 12 chefs d’entreprise et 12 experts de formuler une solution pour sauver la planète.

    Parmi les très bonnes approches :

    Elle est la grande oubliée de la lutte contre le changement climatique. L’efficacité énergétique est moins souvent citée, et pourtant, elle a contribué plus que toutes les énergies renouvelables à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par Isabelle Kocher, Directrice générale d’Engie.

    Si les émissions de CO2 n’ont pas augmenté entre 2014 et 2016 malgré la croissance du PIB, cela en revient d’abord aux mesures d’efficacité énergétique. L’Agence internationale de l’énergie a calculé que ces mesures avaient contribué à hauteur de 77 % à la stabilisation des émissions de CO2, devant les changements du mix énergétique, avec le développement du gaz et des renouvelables, à hauteur de 23 %.

    Pourtant, l’efficacité énergétique ne fait pas rêver. Moins visible que des installations solaires ou éoliennes, elle reste largement inconnue du grand public et peine à s’imposer en haut de l’agenda politique. Dans l’imaginaire collectif, la lutte contre le réchauffement climatique se mesure avant tout à l’aune du développement des énergies renouvelables.

    Ces dernières sont bien évidemment essentielles. Nous devons absolument verdir le mix énergétique, accélérer le déploiement des énergies renouvelables les plus matures (solaire, éolien) et améliorer la compétitivité des énergies renouvelables émergentes (biométhane, hydrogène renouvelable).

    Cependant, ces actions ne font sens qu’en complément du développement volontariste de l’efficacité énergétique. Ce n’est pas un hasard si tous les scénarios de développement des énergies renouvelables, comme le scénario 100 % renouvelables de l’Ademe, prévoient des baisses importantes de la consommation d’énergie. Face à l’urgence climatique, l’escalade énergétique, même verte, ne peut pas être la solution.

    D’autant que les gisements sont nombreux : bâtiments, villes, industries, transports. Nous pouvons déployer une multitude de solutions pour améliorer l’efficacité de nos consommations : isolation des bâtiments, réseaux de chaleur et de froid dans les villes, conversion des chaudières au fioul, solutions de stockage… Surtout, le digital nous ouvre de nouveaux horizons puisque nous sommes à présent capables d’optimiser en continu la performance énergétique des bâtiments, des réseaux électriques ou de la circulation urbaine grâce à des objets connectés, au big data et l’intelligence artificielle.

    Au-delà d’une consommation au plus juste, nous devons adapter nos comportements dans une véritable démarche de sobriété énergétique. Certains outils peuvent nous y aider, comme l’application « We Act for Good » développée par WWF, qui invite les utilisateurs à choisir un défi écologique comme « optimiser l’énergie » ou « vers le zéro déchet ».

    Dans un monde qui n’a pas de « planète B », cette stratégie de l’efficacité énergétique doit devenir la première des priorités, comme le rappelle Franck Bruel dans son ouvrage L’énergie efficace, quand moins et mieux font plus. Source d’énergie universelle, elle est la seule qui nous dispense d’une incessante escalade énergétique, qui soit accessible à tous les pays de la planète, qui ménage les ressources et rend enfin possible un progrès harmonieux.

    https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/privilegier-l-efficacite-energetique-isabelle-kocher-engie-800300.html

    .

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  • De l’intérêt de savoir manipuler les chiffres.
    Déjà, si les gens de la Commission savaient compter (les évolutions en % ne s’ajoutent pas pour des longues périodes) ils sauraient que -1% par an pendant 40 ans, cela fait -33% en tout, et non -40% !
    Pour la France, la baisse de 16% est constatée au bout de 27 ans (et non 17), et c’est une baisse de 28,6% en 13 ans qu’il faudrait réaliser: encore plus difficile !
    Cordialement.

    Répondre
  • Vos remarques arithmétiques sont judicieuses. J’ai péché par souci de simplification. La réalité est que de 1990 à 2014, soit en 24 ans, les émissions de gaz à effet de serre européennes avaient baissé de 23% . Les chefs d’état et de gouvernements (ou plutôt leurs conseillers) ont estimé qu’en quarante ans , l’UE pouvait viser 40%. L’arithmétique est déjà plus favorable.
    Mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel est qu’en 2015, la Commission Européenne, en s’appuyant sur les observations a constaté qu’une chute du rythme de baisse des émissions allait se produire. Les chiffres avancés, que vous pouvez retrouver dans le communiqué du 20/10/2015 sont déjà alarmants. La réalité ensuite a été bien pire, puisque c’est une lègère augmentation qui est apparue. Il s’agit audelà des chiffres, d’une inversion de tendance.
    L’essentiel est donc l’arrêt des baisses d’émissions, totalement contraire à ce que l’on pouvait escompter compte tenu des progarmmes d’efficacité énergétique et de d’EnR. Phénomène dont à ma connaissance aucune explication n’a été fournie ni au niveau français ni au niveau européen.
    Cordialement,
    Lionel Taccoen

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