Les années se suivent et se ressemblent pour le médiateur national de l’énergie, chargé de régler les litiges entre les fournisseurs de gaz et d’électricité et les consommateurs. Cette année encore, le nombre de litiges lié au démarchage à domicile est en hausse selon le nouveau médiateur Olivier Challan Belval et ses équipes, qui viennent de publier leur rapport d’activité 2019. Décryptage.
Une nouvelle hausse des litiges
« La concurrence augmente, les pratiques de démarchage se développent, et j’ai constaté malheureusement que les démarchages agressifs ou abusifs se sont également multipliés », avance Olivier Challan Belval dans un communiqué de presse publié ce mercredi 17 juin. En effet, depuis plusieurs années, le nombre de fournisseurs sur un marché de la fourniture d’électricité ouvert à la concurrence pour les particuliers depuis 13 ans a fortement augmenté.
Ils sont, aujourd’hui, plus de 70 à se partager le secteur. Et, pour conquérir des parts de marché à l’opérateur historique EDF, tous les coups semblent permis : en parallèle de l’augmentation du démarchage, les litiges se sont eux aussi multipliés. En effet, 36 % des ménages avaient été sollicités pour changer d’offre de fourniture d’énergie en 2017. Ils étaient 56 % en 2018. Un ratio qui grimpe à 61 % pour l’année 2019, selon les données du dernier baromètre Energie-Info.
Quant aux litiges, les services du médiateur n’en avaient comptabilisé « que » 1 140 en 2016, 1 519 en 2017 et 1416 en 2018. En 2019, tous les records sont battus puisque pas moins de 1 883 litiges ont été traités, soit une augmentation de 35 % en un an. « En trois ans, c’est une hausse de 65 % », regrettent les services du médiateur.
Chaque année, les mêmes acteurs reviennent systématiquement dans les rapports du médiateur pour être au cœur de la grande majorité des litiges entre consommateurs et entreprises. 37 % des litiges pour les démarchages abusifs concernent ainsi Engie et 33 % ENI. À signaler, les mauvaises pratiquent gagnent aussi des opérateurs de plus petite taille, comme Total Direct Énergie, pour 12 %, ou encore Iberdrola pour 6 % des litiges, « alors même que ce dernier n’a commencé le démarchage qu’en milieu d’année » précise le rapport.
Pourtant, les opérateurs affirment avoir changé leurs pratiques commerciales pour mieux protéger les consommateurs des formes abusives de vente. L’année dernière, Engie a été en effet condamné par la DGCCRF à une amende de près de 900 000 euros. Puis, en début d’année, ce fut au tour d’ENI, avec une amende s’élevant à 315 000 euros, « pour non-respect du droit de rétractation des consommateurs ».
Mais ces récentes sanctions infligées par les services de l’État ne semblent pas avoir entamé la tendance des opérateurs aux mauvaises pratiques. Et ce même si les opérateurs avancent que les litiges demeurent très minoritaires, par rapport au volume global des ventes. Des estimations largement sous-estimées, selon le médiateur de l’énergie, qui affirme que les litiges remontés à ses équipes « ne sont que la partie émergée de l’iceberg ».
Le risque d’une perte de confiance des Français dans le secteur
Outre les atteintes faites aux droits des consommateurs, le démarchage semble entamer la confiance des Français dans le marché de l’électricité. « Un certain nombre de fournisseurs expliquent que le démarchage contribue à une meilleure information des consommateurs sur l’ouverture à la concurrence. Cet argument mérite d’être sérieusement relativisé, car il est trop fréquemment l’occasion de harceler les consommateurs et de leur faire souscrire des contrats en les trompant », explique ainsi le médiateur de l’énergie. En effet, les Français sont d’ores et déjà très acculturés à l’ouverture de la concurrence du secteur : 9 Français sur 10 savent que le marché est libéralisé et 87 % sont parfaitement au courant qu’ils sont en droit de changer de fournisseur.
En revanche, ils n’en saisissent pas toutes les nuances. Des failles dans lesquelles s’engouffrent bien souvent les démarcheurs en prétendant, par exemple, agir pour le compte d’EDF pour faire signer au consommateur des contrats qui, dans les faits, les engagent avec un autre opérateur. « Dans les litiges que nous recevons, on relève des pratiques étonnantes », affirme Catherine Lefrançois-Rivière, en charge du service médiation. « Ainsi, certains démarcheurs remplissent les contrats à la place des consommateurs, ou se font passer pour des techniciens venant poser le compteur LINKY », affirme-t-elle.
Parfois, les pratiques tournent même à l’absurde. « On a même vu un contrat signé par une personne mineure et un autre souscrit par une personne en vacances… », déplore Catherine Lefrançois-Rivière. Et ces pratiques semblent contribuer à amoindrir la confiance des Français dans le secteur. Alors qu’ils étaient 70 % en 2015, ils ne sont plus que 60 % à souhaiter un marché libéralisé. 81 % des consommateurs considèrent désormais que l’ouverture à la concurrence du secteur n’a pas entraîné de baisse des prix ou d’amélioration notable du service.
Interdiction du démarchage dans le secteur : le médiateur maintient ses positions
Olivier Challan Belval s’était fait remarquer par ses prises de position sur le sujet en annonçant, en février dernier, désirer l’interdiction pure et simple du démarchage à domicile. Une position réaffirmée dans son rapport 2019. Si l’interdiction totale ne semble pas à l’ordre du jour, Olivier Challan Belval milite pour un encadrement beaucoup plus strict, fondé sur quatre positions.
D’abord, l’interdiction d’une signature directement sur les lieux du démarchage, pour éviter les méthodes les plus agressives et laisser un nécessaire temps de réflexion au consommateur. Ensuite, l’interdiction de mise en œuvre d’un nouveau contrat sans un délai de 14 jours de rétractation. L’annulation du contrat si les règles de procédure ne sont pas respectées est aussi exigée. Enfin, le médiateur souhaite, en plus des amendes, une sanction administrative du retrait de l’autorisation de fourniture d’énergie pour les fournisseurs se livrant à des pratiques frauduleuses.
Mais, comme le rappelle Olivier Challan Belval dans des propos rapportés ce mercredi 17 juin par l’UFC – Que Choisir, la faute est d’abord celle des fournisseurs alternatifs, incapables de respecter les règles pourtant très claires déjà mises en œuvre. « Il n’est pas normal que je sois saisi d’autant de litiges qui auraient pu, et surtout dû, se régler sans mon intervention, si les opérateurs du secteur de l’énergie avaient appliqué strictement les règles et procédures qui s’imposent à eux », affirme ainsi le médiateur.
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