Désormais, EDF perd cent mille clients par mois. En effet, les fournisseurs alternatifs sont de plus en plus nombreux, Total, Direct Energie, Butagaz, Casino, Edouard Leclerc etc… auxquels s’ajoutent une poignée d’électriciens étrangers comme l’Espagnol Iberdrola, le Suisse Alpiq, le Suédois Vattenfall… Une tribune de Lionel Taccoen.
Le marché de l’électricité est organisé et contrôlé par la Commission de Régulation de l’Energie qui fournit chaque trimestre des indications très précises de la situation. Son Président Jean-François Carenco, s’est confié récemment au quotidien Le Monde (26/10). Il rappelle que 65% des factures d’électricité relèvent de taxes et de l’acheminement de l’électricité, qui sont payés quel que soit le fournisseur. La concurrence ne peut porter que sur les 35% restant, qui représentent les coûts de production, les frais de commercialisation et la marge bénéficiaire. Jean-François Carenco conclut : « pour faire reculer la facture de 10%, il faut [que le fournisseur alternatif] » baisse « ses coûts propres de 30% », ce qui n’est pas une mince affaire. Il ajoute « cela conduit certains à vendre à perte ». On imagine effectivement qu’un fournisseur, qui commercialise beaucoup d’autres produits et services que l’électricité, considère celle-ci comme un produit d’appel, et se rattrape ailleurs. Mettons-nous en dehors de ce cas. Parmi les 35% des factures relevant du fournisseur d’électricité, comptons 2 à 3% de marge bénéficiaire. Les frais de commercialisation peuvent être réduits en plaçant des centres d’appels dans des pays au soleil plus généreux, mais au code du travail qui l’est moins. Mais tout cela ne donne pas grand ‘chose : les ¾ des coûts propres de n’importe quel fournisseur sont les coûts de production. La concurrence significative en électricité est celle entre producteurs.
Le Gouvernement français, pour amorcer la pompe, et inciter les concurrents d’EDF à produire a mis en place en 2010 un dispositif répondant au nom barbare d’ « Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique » (ARENH). En bref, il s’agit de mettre à la disposition des nouveaux fournisseurs de l’électricité issue du parc nucléaire à un prix leur permettant de développer leur clientèle. Un peu comme si l’on obligeait Total à fournir à un prix « étudié » son pétrole pour susciter des concurrents. De nouvelles entreprises ouvriraient probablement des stations services, mais peu iraient gratter l’écorce terrestre pour extraire de l’or noir. C’est exactement ce qui s’est passé pour l’électricité. Dix ans après le début du dispositif, la Commission de Régulation de l’Energie constate que l’ARENH « ne semble pas en mesure… de développer la concurrence en amont [pour la production]… cette situation ne semble pas devoir évoluer ». Bref, les concurrents d’EDF ne souhaitent pas engager le fer avec l’opérateur historique sur le terrain de la production d’électricité.
Le prix de l’électricité nucléaire que se procurent les concurrents d’EDF était sensé ne pas pénaliser cette entreprise tout en permettant la croissance des autres fournisseurs. La balance penchait-elle d’un côté ? Le comportement de ces nouveaux vendeurs répond à cette question : ils sont de plus en plus nombreux et se ruent sur le courant nucléaire d’EDF, saturant les quantités offertes par la loi. Et ils en demandent plus.
Au premier semestre 2018, les 2/3 du courant vendu par les fournisseurs alternatifs provenait du parc nucléaire d’EDF. Il leur a été fourni en dessous des prix du marché, situation qui apparaît durable. Ainsi EDF est amenée à aider ses concurrents, dont Total, Solvay, Direct Energie et des électriciens étrangers à lui prendre des clients ! Une piste pour expliquer ses déboires. Réformer le dispositif ARENH ? C’est bien ce qui est envisagé, d’où des protestations des fournisseurs alternatifs, qui ne peuvent plus se passer du courant nucléaire d’EDF. En attendant, la France attend toujours la concurrence entre producteurs, seule capable d’instaurer un véritable marché de l’électricité. Il est vrai qu’attaquer EDF sur ce terrain exige l’implication de véritables professionnels de l’électricité. Produire de l’électricité est un métier.
Les avis d’expert sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et n’engagent en rien la rédaction de L’EnerGeek.
COMMENTAIRES
Cela traduit une vérité simple : Pour produire de l’électricité, toutes les technologies ne se valent pas.
Et le nucléaire est actuellement celle qui permet (avec l’hydraulique) à un énergéticien de gagner de l’argent hors subventions.
Une vision correcte de la situation mais assez peu prospective. ENGIE comme Direct Energie viennent coup sur coup de racheter des entreprises pour se développer précisément dans le domaine de la production. Il s’agit en revanche de faire de la production décentralisée sur site client et non plus de la production à partie de centrales et de transport d’électricité. Un nouveau monde en quelque sorte.
produire de l’électricité est un metiers (meme Engie à du mal, cf la Belgique) , alors que n’importe quell marchand de tapis peut en commercialiser !
Ce qui est assez amusant c’est que personne ne comprend que la perte de client sera bien probablement une remarquable affaire pour EDF (excepté sur le bas de portefeuille – mais sur lequel les parts de marché d’EDF ne diminue pas tant ).
En effet au guichet de novembre la souscription de l’arenh dépassera les 100Twh (le plafond) et EDF vendra environ 50 à 60TWh à un prix 10 à 15€:mwh plus élevé que le 42€/mwh régulé de L’arenh.
Personne n’en parle encore vraiment mais EDF devrait arriver à faire une belle opération de 0,5 à 1 Mds d’euros.
Et vu la remontée de cours récente il y a un bon nombre de trader qui ont déjà bien compris cette juteuse affaire- en plus de la PPE qui sera inévitablement favorable à EDF.