Alors que les factures énergétiques explosent et que les Français se ruent sur les poêles à bois, les députés européens veulent exclure une partie du bois-énergie de la liste des énergies renouvelables. Une décision incompréhensible pour la filière, qui fait valoir les atouts du bois-énergie pour décarboner la production de chaleur, contribuer à entretenir les forêts et maintenir l’emploi dans les territoires.
C’est un signal clair envoyé du plus haut sommet de l’Etat : la France veut accroître, dans des proportions significatives, ses efforts en matière de production de chaleur renouvelable. A l’approche d’un hiver à haut risque, l’impératif est double : d’une part, surmonter la crise énergétique due à la guerre en Ukraine et, de l’autre, continuer d’inscrire l’Hexagone dans sa trajectoire de réduction des gaz à effets de serre (GES). Or le chauffage demeure, en France, l’un des secteurs les plus émetteurs de carbone (CO2), notamment en raison des systèmes de chauffage au fioul et au gaz – et, dans une moindre mesure, des systèmes électriques. En 2019, les émissions de CO2 dues, en France métropolitaine, au chauffage résidentiel, s’élevaient ainsi à 55,3 millions de tonnes, soit 78% des émissions de GES des logements français.
Un potentiel de décarbonation de chaleur encore « immense »
Décarboner la chaleur s’impose donc comme une priorité absolue si la France veut tenir ses engagements environnementaux. À ce titre, « le potentiel de décarbonation de notre production de chaleur est immense », rappelle Bénédicte Genthon, directrice adjointe Bioéconomie et énergies renouvelables à l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Si la part de chaleur renouvelable est ainsi passée de 15% à 23% en 2020, la France est encore loin de ses propres objectifs, fixés à 38% en 2030 – et encore plus loin des ambitions de Bruxelles, le Parlement européen ayant voté, en septembre dernier, l’augmentation de la part des énergies renouvelables (EnR) à 45% de la consommation globale d’énergie de l’Union européenne (UE) d’ici à 2030.
Tout espoir n’est pas perdu, cependant. En France, les émissions de CO2 causées par le chauffage résidentiel ont ainsi baissé de 33% depuis 1990, avec une chute moyenne de 3,2% par an depuis 2005. Cette lente décrue est principalement due au déclin du fioul domestique et au développement parallèle des pompes à chaleur – mais, aussi, au regain du bois-énergie. En 2019, le bois-énergie représentait ainsi 67 % de la chaleur renouvelable, selon un rapport de l’ADEME, et 36% de la production nationale d’EnR. Une prépondérance du bois dans les EnR qui pourrait, paradoxalement, être menacée par une récente décision européenne : le 14 septembre, les députés européens ont en effet adopté des amendements qui, s’ils étaient définitivement appliqués, excluraient une partie du bois – la « biomasse ligneuse primaire » – de la liste officielle des énergies renouvelables, donc de celle des énergies susceptibles de bénéficier d’aides publiques.
Le bois-énergie exclu des EnR : quelles conséquences ?
Autant dire que la décision des parlementaires européens n’a pas été bien accueillie par les acteurs de la filière bois-énergie, qui ont unanimement dénoncé ce qu’ils perçoivent comme une attaque contre un pilier de la transition énergétique et un frein à la décarbonation du chauffage. Dans un communiqué commun publié le 28 septembre, les principaux représentants de la filière bois-forêt et des collectivités locales alertent ainsi « sur les conséquences graves qu’aurait pour l’ensemble de l’économie française cette position radicale ». Parmi les raisons invoquées par les acteurs, « le bois-énergie est indispensable à une gestion forestière durable (…), le bois-énergie est essentiel à notre indépendance énergétique dans un contexte de fortes instabilités géopolitiques (…) et le bois-énergie protège le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises grâce à ses prix relativement stables et bas en comparaison aux énergies fossiles importées ».
« La définition de la biomasse forestière primaire adoptée par le Parlement européen est »hors sol » », estime pour sa part Jean-Michel Servant, président de France Bois Forêt, selon qui cette vision technocratique « est déconnectée des réalités du terrain. En France, le bois-énergie, co-produit de l’exploitation forestière, est indispensable à la bonne gestion de nos forêts. Si on ne soutient plus cette énergie renouvelable, on va pénaliser l’entretien de nos forêts et la décarbonation de notre économie ». Réaffirmant que « le bois-énergie (est) la première énergie renouvelable de France », le Syndicat des Energies renouvelables (SER) juge quant à lui qu’il est « impératif que l’Etat (…) défende la contribution réelle et indispensable du bois-énergie à l’économie forestière et à une sylviculture durable, et ne laisse pas condamner nos ambitions énergétiques et climatiques ainsi que les milliers d’emplois que représentent nos filières dans les territoires ».
En 2017 déjà, une étude de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) confirmait le « rôle très important de la filière forêt-bois dans la stratégie de limitation des émissions de gaz à effet de serre et d’atténuation du changement climatique » : d’après Philippe Maugin, le PDG de l’INRAE, « 28% (…) de nos émissions de gaz à effet de serre sont neutralisées par la filière et (c’est) une augmentation [possible] (…) entre 33% et 35% d’émissions de gaz à effet de serre que notre filière forêt-bois pourrait permettre de compenser d’ici à 2050 ». Sans oublier qu’avec près de 53 000 emplois directs ou indirects, la filière bois-énergie génère, en France, de trois à quatre fois plus d’emplois que les énergies fossiles. Autant d’arguments qui pourraient faire réfléchir les pouvoirs publics – les ménages, qui se ruent en ce moment sur les poêles à pellets, dont les ventes ont bondi de 40% l’année dernière, sont quant à eux déjà convaincus.
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