Fin août 2022, Jean-Bernard Lévy, patron d’EDF sur le départ, a imputé le manque de personnel qualifié pour assurer la maintenance des centrales nucléaires à un défaut de vision à long terme de l’État. Ce lundi 5 septembre 2022, le président de la République Emmanuel Macron est revenu sur ces propos, sans nommer le patron d’EDF, les jugeant « inacceptables » : une posture politique, assurément, car il ne répond absolument, sur le fond, à la critique, et fait mine de ne pas la comprendre.
Jean-Bernard Lévy, patron d’EDF, impute au manque de visibilité de l’État les difficultés de recrutement dans la filière nucléaire
Un départ en ligne de mire assure au dirigeant d’une entreprise d’État une certaine liberté de parole : alors qu’il s’apprête à passer la main à la tête d’EDF, pour laisser une nouvelle équipe dirigeante gérer la nationalisation d’EDF et la construction de 6 nouveaux EPR 2 minimum d’ici 2050, Jean-Bernard Lévy n’a pas mâché ses mots, dans une table ronde sur l’énergie lors des Rencontres des entrepreneurs de France du Medef, fin août 2022.
Critiqué pour les retards sur les travaux de maintenance des réacteurs nucléaires, il a rappelé, d’une part, que le soucis de corrosion sous contrainte leur « était tombé dessus » (et que la réactivité des équipes n’étaient pas à remettre en cause), et, d’autre part, que la principale cause de retard était le manque de main d’oeuvre sur les chantiers.
« On n’a pas de problèmes d’expertise, les compétences, les experts on les a (…) On a beaucoup de chantiers en parallèle et d’une certaine manière, on manque de bras, parce qu’on n’a pas assez d’équipes formées (…) Un soudeur, un tuyauteur, il faut deux-trois ans pour le former », avait-il précisé.
Mais c’est sa conclusion qui a profondément énervé le président de la République Emmanuel Macron : « Et pourquoi on n’a pas assez d’équipes formées? Parce que l’on nous a dit que le parc nucléaire va décliner, « Préparez-vous à fermer des centrales » », imputant ainsi une partie des difficultés à un manque de vision de l’État sur le long terme sur le nucléaire.
La position est difficilement contestable. Depuis les années 1980, les décisions politiques freinant le développement du nucléaire en France se multiplient, Tchernobyl et Fukushima ayant fortement écorné l’image de cette technologie dans l’opinion publique. La loi de 2015, actant la baisse de la part du nucléaire à 50 % du mix électrique ainsi que la fermeture de Fessenheim, est emblématique de cette tendance.
Une loi votée par un gouvernement dont Emmanuel Macron était membre, et dont il n’a jamais envisagé de remettre en cause le volet nucléaire. Certes, il a fini par décider d’investir de nouveau dans le nucléaire, mais à l’extrême fin de son premier mandat, et ces signaux en faveur de l’atome sont extrêmement récents.
« Ce que j’ai entendu est inacceptable parce que c’est faux et irresponsable », juge Emmanuel Macron
Dès lors, la réaction extrêmement vive du président de la République, interrogé sur cette question dans un point presse ce 5 septembre 2022, s’explique difficilement rationnellement. Estimant que la fermeture de Fessenheim n’était « pas un sujet », il a déclaré : « c’est absolument inacceptable que les gens qui ont eu la responsabilité des travaux de maintenance du parc (expliquent) aujourd’hui que nous n’avons pas pris nos responsabilités, parce que dès les premiers mois de mon premier mandat nous avons redonné de la visibilité à la filière ».
« Chacun doit prendre ses responsabilités; pour ma part, je les ai prises (…). Les travaux de maintenance du parc existant ne sont en rien conditionnés à la création, la décision de nouveaux réacteurs nucléaires que j’ai prise en fin de (premier) mandat (…) Ce que j’ai entendu dans le débat public ces dernières semaines est inacceptable parce que c’est faux et irresponsable », a poursuivi avec véhémence le président, sans toutefois nommer Jean-Bernard Lévy.
Or, difficile de donner tort au patron d’EDF quand il indique que la filière a été abandonné par l’État pendant des années, que les signaux envoyés ont été, très longtemps, négatifs, et que cela a pu indéniablement jouer sur son attractivité au niveau de l’emploi. La critique de Jean-Bernard Lévy ne visait d’ailleurs pas précisément Emmanuel Macron, mais le fait qu’il la prenne personnellement est soit une pure stratégie politique, soit une vraie réaction de vexation…
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