En juillet dernier, deux figures du mouvement antinucléaire allemand, les scientifiques Anna Veronika Wendland et Rainer Moormann, ont publié une tribune dans Die Zeit, appelant à une sortie des énergies fossiles avant celle du nucléaire. Peu de temps avant, c’était la porte-parole d’Extinction Rébellion au Royaume-Uni, Zion Tree, qui quittait le mouvement pour rejoindre une association clairement pronucléaire.
Les justifications sont différentes, mais complémentaires. Les scientifiques allemands démontrent, par un simple calcul, que l’intermittence des énergies renouvelables conduit nécessairement à une augmentation des importations de gaz (pour le plus grand bénéfice de Poutine), et que mettre la priorité sur la fermeture de centrales au charbon permettrait de réduire de 10% les émissions de CO2 du pays.
Zion Tee explique pour sa part que beaucoup d’arguments contre l’énergie nucléaire n’ont pas de base scientifique sérieuse (que ce soit pour la dangerosité, les déchets, les alternatives…). Se référant aux derniers rapports du GIEC, elle dit sa conviction d’avoir été « dupée par un sentiment antiscience ». Elle appelle les autres écologistes à suivre sa voie.
Une crainte partagée, celle du réchauffement climatique
Le point commun, c’est l’inquiétude croissante vis-à-vis du réchauffement climatique, dont les conséquences catastrophiques sont de plus en plus visibles. Malgré les discours, l’augmentation de la concentration en gaz à effet de serre semble inexorable. Dans les pays développés, les émissions de CO2 devraient baisser dès aujourd’hui au rythme de 4 à 5% par an pour atteindre les engagements de stabiliser à +2°C maximum en 2050, mais on en est loin, très loin. Or il est impossible de nier que le nucléaire peut produire des quantités importantes d’énergie, indépendamment du vent et du soleil, et pratiquement sans émettre de CO2. Cette réalité amène de plus en plus de citoyens à reconsidérer leurs priorités et leurs croyances quant aux solutions pour laisser une planète habitable à nos enfants.
Ce mouvement est-il important ? C’est difficile à dire. Il l’est sans contexte en Grande-Bretagne, où beaucoup de figures écologistes britanniques ont déjà changé d’avis sur le nucléaire. Il y a eu James Lovelock (scientifique, auteur de l’Hypothèse Gaïa), Patrick Moore (cofondateur de Greenpeace), Hugh Montefiore (cofondateur Amis de la Terre GB), Chris Goodall (militant du Green Party), Mark Lynas (journaliste) et bien d’autres. Beaucoup de citoyens anglo-saxons ont été influencés par le physicien David McKay, conseiller scientifique auprès du Premier ministre, qui expliquait de manière lumineuse dans son best-seller « Energy Without the Hot Air » (disponible en Français) pourquoi on ne peut pas se passer du nucléaire. C’est très probablement une raison majeure des bonnes performances du Royaume-Uni en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Aux Etats-Unis, des figures écologistes militent pour le nucléaire
En Allemagne, c’est juste un frémissement. Bien que de plus en plus de journaux évoquent l’échec de la transition énergétique, et que de plus en plus de résistances apparaissent contre les éoliennes terrestres, la sortie du nucléaire fait encore largement consensus. Il sera intéressant de voir l’évolution, au fur et à mesure que les conséquences de l’emballement climatique et de la dépendance croissante au gaz russe seront perçues dans l’opinion publique.
Aux États-Unis aussi, des figures écologistes militent pour le nucléaire. Le plus connu est sans doute le scientifique James Hansen, l’un des premiers militants pour le climat. Un autre est Michael Shellenberger, fondateur de Environmental Progress. On voit aussi les soutiens au « Green New Deal », comme Alexandria Ocasio Cortez, ne pas refuser cette solution. Le mouvement antinucléaire est toutefois moins fort dans ce pays, et c’est surtout le développement du gaz de schiste, très peu cher, qui le concurrence. Les Américains ont aussi une vision très technologique dans la façon de résoudre les problèmes, qui se traduit notamment par des startups, bien financées, développant de nouvelles technologies de réacteurs.
Et en France ? À l’exception notable de l’ancien ministre de l’Environnement Brice Lalonde, très peu de figures écologistes font part de la nécessité de changer les priorités au vu de l’urgence climatique. Toutefois, l’audience d’experts comme Jean-Marc Jancovici augmente significativement, et l’association liée à son think tank « The Shift Project » compte parmi ses membres d’anciens antinucléaires. Celui-ci travaille sur un plan de transformation de l’économie française, axé sur les activités essentielles (se nourrir, se loger, se déplacer, se soigner, travailler, comprendre, échanger), permettant une baisse de 5% par an des émissions de CO2, en assurant le plein emploi, tout en tenant compte de l’inévitable décroissance économique. Les équations seront sur la table pour savoir si ces objectifs peuvent être atteints en ajoutant, en plus, la réduction du parc nucléaire.
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