L’arrêt brutal de Corri-Door a surpris le monde de l’électro-mobilité, qui s’attendait à une modernisation “douce” du service. Toutefois, à y regarder de plus près, le cumul des risques d’incidents industriels et d’une obsolescence progressive du service rendaient l’éventualité d’une modernisation peu crédible.
“Tout est dans les tuyaux pour qu’à moyen termes, l’offre de recharge en itinérance soit multiple, variée et à la hauteur des attentes en termes de puissance et de nombre de bornes.” expliquait Cécile Goubet, directrice général d’Avere France, au micro de Radio Classique. Au lendemain d’une des annonces les plus symboliques de ces dernières années pour la mobilité électrique, les experts du secteur semblent unanimes. Non, l’annonce d’Izivia du bridage sévère du réseau Corri-Door ne signe pas la fin du véhicule électrique. Certes, la disparition d’un maillage majeur des bornes de recharge rapide est un coup dur pour les usagers adeptes des longues distances.
Toutefois, le monde des batteries électriques est en branle depuis quelques années et de nouveaux acteurs émergent, à l’image de Ionity, consortium réunissant des constructeurs automobiles, ou encore Total, disposant d’une expertise reconnue dans le maillage territorial de stations essence (et donc dans la réplicabilité du modèle au niveau électrique). Face à la montée en puissance du véhicule électrique, l’arrêt du réseau Corri-Door a de quoi surprendre. Toutefois, à y regarder de plus près, elle est compréhensible.
Rappel des faits
Début février 2020, Izivia, la filiale d’EDF exploitant les bornes de recharge rapide fournies par la société EVBox, met en pause Corri-Door, son réseau autoroutier de bornes de recharge. La raison ? Des problèmes techniques qui font craindre un risque sécuritaire majeur. Si les causes du dysfonctionnement n’ont pas été révélés dans les détails à la presse, Izivia a toutefois rapporté la présence de “traces noires sur les bornes de recharge et de déchirures de plusieurs centimètres”. Dans la foulée, un audit est lancé afin de pouvoir déterminer si ces problèmes techniques étaient mineurs et isolés, ou si ces derniers devaient faire l’objet d’une “opération lourde”.
Fin février, le verdict tombe : la filiale d’EDF décide de retirer près de 90% des bornes de recharge que compose le réseau Corri-Door. Izivia, dont l’exploitation des bornes pour la charge rapide ne représente qu’une partie de l’activité économique (l’entreprise commercialise notamment des Pass permettant l’utilisation de bornes électriques), ne souhaite pas remettre en état un réseau, quitte à perdre plusieurs mois. Car à y regarder de plus près, de nombreux autres points noirs alourdissent le réseau Corri-Door.
Concordance fatale
Car il fallait bien avouer que le réseau pionnier des bornes de recharge commençait à accuser le poids des années. Lancé en 2014 à une époque où la mobilité électrique longue distance suscitait encore moqueries et quolibets, le service a créé un élan indiscutable auprès des consommateurs de véhicules électriques. Le maillage autoroutier a ainsi permis une redondance des stations qui envoyait un message psychologique positif aux éventuels acheteurs : “ne vous inquiétez pas, l’offre suivra”. Mais le temps a fait son œuvre. Cinq ans après leur déploiement, l’impact potentiel des incidents de sécurité sur Corri-Door est toutefois concomitant à l’âge du réseau. Interrogé par le site spécialisé Avem.fr, Michel Cozic, directeur développement et projets d’Izivia, explique ainsi qu’il faudrait “plusieurs mois” pour remettre en état le réseau. Concordance fatale : ce dysfonctionnement généralisé intervient en plein renouvellement des concessions autoroutières, qui arrivent à leur terme dans deux ans. “Nous ne pouvons engager des investissements lourds sans certitude de la pérennité des installations sur le réseau” explique M. Cozic. Au niveau technologique, aussi, l’autonomie des batteries de véhicules électriques, qui a déjà bien augmenté et devrait être multipliée par sept dans les prochaines années, a rendu caduque l’idée d’un maillage “tous les 80 km”, comme c’est le cas actuellement pour Corri-Door.
Nouvelle ère ?
D’autant qu’en parallèle, les usages ont radicalement changé. “L’arrêt d’une grande partie des bornes du réseau de bornes de recharge rapide opérées par Izivia va potentiellement pénaliser principalement les usagers de trajets longue distance à court terme.” décrypte Clément Leroy, senior consultant et spécialiste de la mobilité électrique chez Wavestone, pour l’Energeek. “Pour autant, cette réduction des bornes de recharge rapide ne devrait pas avoir d’impact sur la dynamique de montée en puissance de la mobilité électrique. Aujourd’hui les principaux déplacements se font sur des trajets de plutôt courte distance, qui ne nécessitent donc pas ce type de dispositifs”.
Plus que l’incident industriel, c’est donc l’accumulation d’événements imprévus, de changements d’usage, de percée technologique et de mauvais timing qui ont conduit à la situation actuelle. Le risque sécuritaire, bien réel, pour les usagers a mis un terme à l’hypothèse d’une modernisation douce des bornes du réseau Corri-Door, que certains usagers appelaient pourtant de leurs vœux.
Ce n’est pas pour autant la fin de la recharge rapide : un projet d’un second réseau de bornes de charge rapide, composé de 60 stations et environ 300 bornes, s’apprête à entrer en phase de déploiement, “en dehors des autoroutes et sous forme de stations” précise Izivia.
Laisser un commentaire