La France et l’Allemagne se disputent de manière feutrée au sujet du projet de gazoduc Nord Stream 2. Paris voit d’un mauvais œil la construction d’un tube gazier reliant directement la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique. La France craint une dépendance européenne trop forte au gaz russe et se positionne aujourd’hui au niveau européen pour rendre le projet plus difficile. En effet, l’exécutif français soutient la révision d’une directive portant sur le gaz et qui empêcherait le russe Gazprom d’être à la fois le producteur et le propriétaire du gaz exporté en Allemagne.
L’Allemagne au cœur du système gazier européen ?
Les relations entre l’Union européenne et la Russie sont très difficiles depuis plusieurs années. Les deux entités jouent au jeu des sanctions et contre-sanctions, mais les intérêts énergétiques ne sont pas (encore ?) remis en cause. La Russie livre toujours gaz et pétrole à des pays européens plus ou moins dépendants du grand voisin russe. Berlin et Moscou se sont même engagés dans une intensification de leur partenariat avec le projet de gazoduc Nord Stream 2. Ce dernier doit permettre de livrer pas moins de 55 milliards de m3 de gaz chaque année à compter de 2020, soit 11 % de la consommation annuelle européenne.
L’enjeu est énorme – le projet est estimé à 9,5 milliards d’euros – et dépasse même le simple cadre d’un partenariat énergétique. En effet, le Nord Stream 2 viendrait doubler les capacités du gazoduc Nord Stream 1. Ce gazoduc représente lui aussi 11 % de la consommation européenne. Par ailleurs, il viendrait concurrencer les autres infrastructures sur le continent, un coup dure donc pour l’Ukraine qui engrange 3 milliards d’euros par an grâce aux redevances. Le contrat avec l’Ukraine se termine en 2019, et celui avec la Pologne en 2022. C’est d’ailleurs parce que le gazoduc Nord Stream 2 ne transite par aucun pays que Paris et d’autres pays européens se montrent réticents au projet. Il renforcerait trop la place de l’Allemagne – déjà première économie du continent – et en ferait le cœur du système gazier européen.
Des intérêts divergents au-delà de l’UE
Afin de contrer ce projet déjà en cours de réalisation (400 kilomètres de gazoduc sont d’ores et déjà installés), la France va soutenir la révision de la directive gaz qui interdit au producteur de gaz d’être également le propriétaire du gazoduc par lequel il transite. Une interdiction qui s’applique aux gazoducs internes à l’UE et qui vaudrait également pour ceux de pays tiers si la révision de la directive était adoptée. Un coup dur en perspective pour Gazprom qui possède 50 % du gazoduc. Le gazier russe est en partenariat avec cinq compagnies européennes qui détiennent chacune 10 % : les Allemands Uniper et Wintershall, l’Autrichien OMV, l’anglo-néerlandais Shell et le Français Engie.
Paris craint d’ailleurs pour Engie dans la mesure où le porte-parole de l’ambassade américaine à Berlin a affirmé que « toutes les entreprises impliquées dans le secteur des gazoducs d’exportation de l’énergie russe s’exposent à des sanctions » dans le cadre d’une loi américaine (CAATSA, The Countering America’s Adversaries Through Sanctions) qui vise notamment la Russie. La position américaine n’est pas que politique, car Washington entend barrer la route européenne au gaz russe pour mieux exporter son gaz de schiste. L’Allemagne a d’ailleurs récemment annoncé son intention de construire un nouveau terminal méthanier pour l’importation du GNL. Le gazoduc Nord Stream 2 reste donc incertain et ce sont les jeux de pressions et d’influences qui dessineront la carte gazière de l’Europe de demain.
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