Alors que l’Europe en est à l’heure de la sortie du nucléaire, l’Afrique entame à peine sa route vers la création de son parc. Avec plusieurs projets en cours dans différents pays et des besoins énergétiques importants, l’Afrique semble bien partie pour devenir la future terre d’élection de l’industrie nucléaire. Si bien que plusieurs pays comme la France, la Russie et la Chine y voient une opportunité commerciale pour de futurs partenariats stratégiques. Pour les pays africains, entrer dans le nucléaire ne signifie par seulement couvrir des besoins énergétiques, c’est également le symbole d’une importance croissante sur la scène internationale. Et si pour l’instant le continent ne compte qu’une seule centrale en activité, le coup d’envoi a bel et bien été lancé pour faire de l’Afrique le nouvel el dorado du nucléaire.
Le nucléaire et l’Afrique : une histoire ancienne
On ne s’en souvient guère, mais le Congo a été le premier pays africain à se doter d’un réacteur nucléaire : c’était en 1950, et le réacteur a été arrêté dans les années 1970. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’Afrique entretient une longue histoire avec le nucléaire et plusieurs pays ont annoncé, au fil des décennies, leur volonté de se lancer dans des programmes de développement de l’énergie atomique. Si certains, comme l’Algérie, avaient tout d’abord affiché une ambition d’armement nucléaire, les projets ont beaucoup évolué au fil du temps et sont devenus des projets nucléaires civils pour assurer l’indépendance énergétique de l’Afrique.
Le lien le plus tangible que l’Afrique entretient avec l’industrie nucléaire, c’est bien sûr l’uranium. Le continent africain représente à lui seul près de 20% des ressources mondiales en uranium, matériau indispensable à l’exploitation nucléaire. La ressource est répartie sur une grande partie du continent : 34 pays possèdent des mines d’uranium (le Niger, la Namibie et surtout l’Afrique du Sud). Pour les pays importateurs, il s’agit d’une source d’approvisionnement importante qu’il s’agit de conserver. Pour les pays africains, c’est une monnaie d’échange et une opportunité de voir enfin des projets nucléaires aboutir sur leur continent.
Parmi les pays désireux de déployer leur propre parc nucléaire, le Maroc (qui développe aussi en parallèle d’importantes installations d’énergies renouvelables), l’Algérie, le Niger, le Ghana, la Tunisie, l’Ouganda, et bien sûr, l’Egypte. Certains d’entre eux disposent déjà de réacteurs de recherche, mais ce qu’ils souhaitent c’est construire leurs propres centrales nucléaires. Dans cette optique, depuis 2015, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) envoie régulièrement ses équipes au Nigéria, au Maroc ou au Kenya afin d’accompagner ces pays dans leurs projets nucléaires.
Aujourd’hui, l’Afrique du Sud est le seul pays du continent africain à être doté d’une centrale nucléaire en activité, la centrale de Koeberg, dotée de deux réacteurs. Mais la production de cette centrale est limitée et elle ne permet de couvrir que 6,6% des besoins en électricité du pays. De plus cette centrale est vieillissante : elle date déjà des années 1980.
Pourquoi l’urgence actuelle ?
Le développement énergétique est un enjeu crucial pour les pays africains. Avec une population grandissante, les pays du continent ont des besoins importants en électricité. Mais ces pays sont également motivés par un facteur économique : pour développer l’industrie, il faut des infrastructures, donc de l’énergie. Et comment réussir à séduire les grands groupes internationaux pour s’implanter sur des territoires africains source d’énergie disponible ?
Plus que jamais, l’Afrique relève bien des défis pour assurer son développement économique et humain. Investir dans l’énergie est un moyen de sécuriser de futurs investissements et de développer une stratégie de développement plus large et plus efficace. Et même si plusieurs pays s’intéressent beaucoup aux énergies renouvelables, le nucléaire reste le choix le plus séduisant pour deux raisons. D’abord, un parc de nucléaire peut assurer couvrir rapidement les besoins énergétiques d’un pays. La mise en place d’une centrale nucléaire de deux réacteurs peut rapidement offrir 2 000 à 3 000 MW. Ensuite, posséder une centrale nucléaire, c’est se hisser au rang des pays développés. Comme le charbon à une autre époque, le nucléaire est un symbole de vitalité économique et de puissance. Le signe qu’un pays est en bonne santé et assez stable pour financer un programme nucléaire civile coûteux. On peut aussi remarquer que plusieurs pays africains, comme le Nigeria, possèdent un sol riche en hydrocarbures. Mais l’exploitation de ces ressources s’est montrée peu sécurisante, notamment ces dernières années avec la baisse du prix du baril de pétrole. Pour des pays en pleine croissance cherchant à faire preuve de leur stabilité économique, le nucléaire semble être un meilleur argument.
Qui pour accompagner ce développement nucléaire en Afrique ?
A l’heure actuelle, de nombreux experts pensent que le développement africain dans les vingt prochaines années risque de connaître une forte accélération. Pour les pays occidentaux, le continent africain représente une réelle opportunité commerciale, et le secteur de l’énergie va vraisemblablement être le premier à connaitre une importante montée en puissance. C’est pourquoi l’Afrique est devenue une zone d’influence cruciale pour le développement du nucléaire. Le français EDF souhaiterait s’implanter en Afrique. En tant que premier exploitant de centrales nucléaires au monde, l’électricien tricolore a des arguments à faire valoir. Même chose pour Areva : l’entreprise française avait participé à la construction de la centrale nucléaire de Koeberg, en Afrique du Sud, dans les années 1980. Elle est encore très présente en Afrique, notamment via des accords d’accès aux mines d’uranium. Mais aujourd’hui, la France est en retard par rapport à deux concurrents sérieux : la Chine et la Russie.
Depuis une dizaine d’année, les tractations entre l’Afrique d’une part, et la Russie et la Chine d’autre part, ont débouché sur plusieurs accords significatifs. Ce mois-ci, la China General Nuclear Power Corporation commence l’exploitation de la mine d’uranium de Husab, en Namibie. C’est également la Chine qui va construire la première centrale nucléaire du Kenya, dont une mise en service prévue pour 2025. Et les relations entre la Chine et les pays d’Afrique pourraient encore déboucher sur de nouveaux contrats pour la construction d’autres centrales nucléaires dans le courant de l’année.
La Russie de son côté est également très efficace sur le continent africain. Elle entretient des relations diplomatiques et économiques avec le continent depuis le début de son programme nucléaire. Des liens se sont consolidés au point que la Russie fait figure de conseiller technique attitré pour ce qui a trait au nucléaire africain. En 2015, l’Egypte a officiellement annoncé que la Russie serait chargée de construire la première centrale nucléaire du pays, à El-Dabaa, dans le désert Libyque. D’une puissance de 1 000 MW, cette future centrale devrait coûter 4 milliards de dollars au gouvernement égyptien. Le projet, lancé dès 1981 par le président Moubarak, n’avait abouti faute de soutien technologique et de financement. L’ouverture de la centrale était au départ prévue pour 2019, mais elle ne pourrait finalement entrer en fonctionnement qu’à l’horizon 2020-2025… soit à peu près en même temps que la première centrale nucléaire du Nigeria, également construite par les russes.
Dans moins de dix ans, le parc nucléaire africain devrait émerger et changer radicalement la donne économique sur le continent. Pour les pays occidentaux, l’enjeu est double. Il faut d’une part qu’ils s’assurent une place centrale dans la construction et l’exploitation des futures centrales. Il est nécessaire, d’autre part, qu’ils s’assurent un accès à l’uranium africain dans les années à venir. Car à mesure que les besoins en uranium des pays d’Afrique vont croître, de moins de ressource sera disponible à l’export. Et même en comptant avec la sortie du nucléaire de plusieurs pays européens, l’uranium restera encore longtemps une ressource de première nécessité pour faire vivre les centrales nucléaires occidentales.