Dans son rapport « The cloud begins with coal« , réalisé par Digital Power Group, cabinet de conseil en énergie et technologie dont il est le PDG, Mark Mills affirme qu’un smartphone consomme plus d’énergie qu’un réfrigérateur classique. Une information choc, qui a attiré l’attention de Jon Koomey, spécialiste mondial de la consommation électrique des data-centers et professeur à l’université de Stanford. Dans son article « Does your iPhone use as much electricity as a new refrigerator? Not even close », Koomey pointe une multitude d’erreurs et d’approximations dans l’étude de Mills et affirme qu’un smartphone « est loin de consommer autant qu’un réfrigérateur ».
[stextbox id= »info »]Des sources inexistantes…[/stextbox]
Dans sa contre-enquête, Koomey dénonce le manque de clarté quant aux sources que Mills utilise lorsqu’il expose sa comparaison originale. En effet, à la page 44 de son rapport, le PDG de Digital Power Group affirme qu’un iPhone et une tablette « consomment plus d’électricité par an dans les réseaux que deux réfrigérateurs neufs » et indique en note de bas de page les données lui permettant d’en arriver à cette conclusion.
Pour Koomey, la supercherie repose sur l’impossibilité de vérifier ces données de bas de page. En effet le rapport ne contient aucun lien ni aucune référence permettant de confirmer qu’un « nouveau réfrigérateur consomment 350 kWh par an en moyenne ». Il s’agirait en fait, selon Koomey, d’un chiffre se référant au programme Energy Star, qui récompense l’efficacité énergétique des appareils électroménagers. Nous sommes donc loin de la consommation moyenne d’un « réfrigérateur classique », qui exige plutôt 500 kWh chaque année selon la contre-étude.
[stextbox id= »info »]… et des données surévaluées…[/stextbox]
En plus de sous-estimer l’électricité utilisée par les réfrigérateurs, Mills a également surévalué la consommation de données nécessaire au visionnage d’un film en streaming sur le réseau.
Dans un premier temps, l’évaluation de la consommation de données est erronée. Mills affirme qu’un film d’une heure nécessite la transit de 3 Giga-octets (Go) de données. Pour Koomey, estimations de l’AT&T (opérateur téléphonique américain) à l’appui, la quantité réelle est plus de l’ordre de 0,3 Go. Ainsi, l’assertion selon laquelle un mois de streaming sur un réseau 3 et 4G exigerait un total de 12 Go est fausse, Koomey estimant plutôt qu’il s’agit d’un volume de données de 1 Go.
Ensuite, Mills chiffre la consommation d’énergie d’un réseau 4G à quelques 2 kWh pour chaque Go qui y transite. Un chiffre à nouveau exagéré, l’Université de Melbourne l’évaluant dans une récente étude entre 0,4 et 0,8 kWh par Go (en fonction de l’intensité du téléphone). A ce titre, et pour confirmer l’étude australienne, Koomey rappelle que la technologie 4G est beaucoup moins énergivore que les plus anciennes technologies 2 et 3G.
[stextbox id= »info »]… pour une conclusion (encore) erronée[/stextbox]
Avec ses 12 Go mensuel et un réseau nécessitant 2kWh par Go, Mills avance donc une consommation moyenne annuelle de 300 Kwh pour un utilisateur de smartphone visionnant une vidéo en streaming. Une estimation que Koomey revoit fortement à la baisse avec ses 7,2 kWh par an (1 Go par mois à 0,6 kWh).
Tout au long de son contre-rapport, Koomey s’évertue ainsi à désigner les zones d’ombres, la méthodologie scabreuse et le manque de rigueur scientifique dont fait preuve son confrère pour en arriver à ses conclusions. Afin de démontrer qu’un téléphone utilise plus d’énergie qu’un réfrigérateur, Mills combine l’intensité électrique élevée d’un réseau 2/3G avec la plus grande quantité possible de données téléchargées sur un réseau 4G pour ensuite comparer ce résultat (largement surévalué) avec la consommation d’un réfrigérateur particulièrement éco-énergique (et donc largement sous-évalué).
Ce n’est pas la première fois que Koomey revisite une étude de Mills, lobbyiste du secteur du charbon et fervent défenseur de l’idée qu’Internet est massivement énergivore. En 2000, le premier avait déjà réfuté un rapport du second qui affirmait qu’un Palm Pilot (ordinateur de poche) consommait plus d’énergie qu’un réfrigérateur. Après avoir démontré une première fois comment Mills adaptait ses données à son discours, Koomey est surpris de le voir encore considéré comme une source fiable par les médias. « Ce triste épisode n’augure rien de bon pour notre capacité, en tant que société, à faire face à des questions complexes comme le changement climatique au 21ème siècle. Sauf si nous arrivons à modifier la façon dont les questions techniques sont rapportées par les médias ».
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