Gaz : l’Europe face au piège de la surcapacité GNL

L’Europe a bâti en trois ans une impressionnante infrastructure de gaz naturel liquéfié (GNL). Pourtant, selon l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), la demande de gaz recule et les terminaux se multiplient au-delà du nécessaire.

Publié le
Lecture : 3 min
explosion usine gnl us danger approvisionnement europe gaz - L'Energeek
Gaz : l’Europe face au piège de la surcapacité GNL | L'EnerGeek

Le 30 octobre 2025, l’IEEFA a publié une étude détaillée sur l’évolution du marché européen du gaz. Le rapport conclut à un ralentissement net de la construction de terminaux GNL et à un risque d’« overbuild », c’est-à-dire de suréquipement. Dans un contexte où la consommation diminue, l’Europe pourrait bientôt disposer de capacités de regazéification trois fois supérieures à ses besoins.

Des capacités GNL en forte hausse malgré une demande en déclin

Depuis 2022, l’Europe a multiplié les investissements dans les terminaux de gaz. Ces infrastructures, destinées à regazéifier le GNL importé par méthaniers, ont permis de sécuriser les approvisionnements après l’effondrement des livraisons russes. Cependant, la logique d’urgence s’est muée en inertie. D’après l’IEEFA, la consommation européenne de gaz devrait reculer de 15 % entre 2025 et 2030, tandis que les importations de GNL chuteraient d’environ 20 %. La sobriété et l’électrification réduisent la demande globale d’énergie fossile.

Malgré ce repli, la capacité totale de regazéification continue de croître. Selon l’IEEFA, elle a augmenté de 13 % en 2023, de 8 % en 2024, et n’augmenterait « que » de 2 % en 2025. Cette décélération masque toutefois un excès cumulé : à l’horizon 2030, la capacité disponible pourrait dépasser plus de trois fois la demande réelle de GNL. Plus la demande s’effrite, plus les coûts fixes de ces installations pèsent sur les tarifs d’accès et, in fine, sur les consommateurs. L’analyste Ana Maria Jaller-Makarewicz, de l’IEEFA, avertit : « Les pays européens qui continuent à construire ou à agrandir des terminaux GNL risquent d’investir dans des infrastructures inutiles à mesure que la transition énergétique s’accélère ».

Par ailleurs, les flux évoluent rapidement. Les importations de GNL en provenance des États-Unis ont bondi de 46 % au premier semestre 2025 et représentent désormais 57 % des importations européennes de GNL. Cette montée en puissance américaine compense la baisse du gaz russe, mais renforce aussi la volatilité logistique : les terminaux européens tournent désormais à un taux moyen d’utilisation de 52 %.

France : entre héritage logistique et surcapacité latente

La France, dotée d’un mix électrique faiblement carboné, consomme moins de gaz que la moyenne européenne. Pourtant, elle demeure une porte d’entrée majeure du GNL. Selon les données de l’IEEFA, 41 % du GNL russe importé par l’Europe au premier semestre 2025 ont transité par ses terminaux, devant la Belgique (28 %) et l’Espagne (20 %). La facture reste lourde : entre 2022 et juin 2025, les États membres de l’Union européenne ont dépensé environ 120 milliards d’euros pour importer du gaz et du GNL russes, malgré les sanctions.

Mais cette fonction logistique soulève désormais des interrogations. Le tribunal administratif de Rouen a ordonné, le 16 octobre 2025, le retrait du terminal flottant de regazéification (FSRU) du Havre, jugé « peu utilisé » depuis 2024.

Dans les faits, les terminaux hexagonaux fonctionnent à un rythme modéré. Les volumes de gaz regazéifiés ont diminué depuis 2024, conséquence directe de la baisse de la demande industrielle et du redémarrage complet du parc nucléaire. En parallèle, les flux russes restent tolérés mais menacés : la 19ᵉ série de sanctions européennes, adoptée le 23 octobre 2025, interdit les contrats à court terme sur le GNL russe dès avril 2026 et ceux à long terme à partir du 1ᵉʳ janvier 2027. Ces échéances réduiront les importations via les ports français, qui servaient jusqu’ici de relais de stockage ou de rechargement.

La question économique devient donc centrale : maintenir des terminaux sous-utilisés reviendrait à socialiser leurs coûts d’exploitation sans garantie de service utile. À l’inverse, fermer trop tôt certaines unités compromettrait la flexibilité d’approvisionnement lors des pics hivernaux.

Un risque de suréquipement européen assumé, mais difficilement soutenable

Sur le plan continental, le phénomène dépasse la seule France. En 2025, l’Europe a mis en service deux nouveaux terminaux et agrandi deux sites existants, tandis qu’un terminal flottant allemand a été déplacé vers un autre port, faute d’activité suffisante. Ces mouvements confirment que le système arrive à saturation. Selon l’IEEFA, la capacité européenne totale de regazéification atteindra environ 5,7 milliards de mètres cubes supplémentaires en 2025, alors que la demande effective se contracte.

Ce désalignement met en lumière un risque d’allocation inefficace du capital. Construire ou maintenir des terminaux de gaz suppose des investissements lourds : chaque unité nécessite des centaines de millions d’euros et un taux d’utilisation stable pour rester rentable. En deçà de 60 %, les coûts unitaires explosent, entraînant des pertes ou une hausse des tarifs de réseau. Or, les projections IEEFA montrent qu’en 2030, la capacité excédentaire européenne représentera l’équivalent de trois années de demande actuelle.

Face à ce constat, Bruxelles tente d’adapter sa régulation. Le commissaire européen à l’énergie, Dan Jørgensen, a annoncé : « Nous allons lancer un mécanisme d’agrégation de la demande pour aider les entreprises à acheter davantage de gaz non russe, à des conditions compétitives », selon Reuters. Ce dispositif vise à mutualiser la demande plutôt qu’à multiplier les infrastructures. La logique s’inverse : sécuriser les volumes grâce à la coordination commerciale plutôt que par la duplication physique. L’enjeu technique est clair : un réseau saturé de terminaux n’augmente pas la disponibilité du gaz. Il améliore seulement la redondance, au prix d’une rentabilité amoindrie.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.