Relancer la souveraineté énergétique : le défi stratégique du nucléaire français

La France, pourtant pionnière dans la gestion des déchets nucléaires, se retrouve dans une situation de dépendance vis-à-vis de la Russie.

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Relancer la souveraineté énergétique : le défi stratégique du nucléaire français | L'EnerGeek

Au printemps 2023, la Commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale a levé le voile sur une problématique majeure : la dépendance énergétique de la France, notamment dans le domaine du nucléaire, autrefois considéré comme une pierre angulaire de son indépendance.

Après six mois d’investigations et l’audition de 88 experts, scientifiques et responsables politiques, les conclusions sont sans appel : il est impératif de redonner au nucléaire sa place de « grande force française ». Les enjeux ne se limitent pas à une production stable d’électricité, mais englobent également un défi technologique et industriel : celui de sécuriser le cycle du combustible nucléaire.

Le cycle du combustible : pourquoi est-il vital pour la souveraineté énergétique de la France ?

Le cycle du combustible nucléaire, comme le définit le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), regroupe les étapes de traitement de l’uranium, de sa transformation en combustible, et de son recyclage après usage. La France adopte une stratégie de cycle fermé, permettant de valoriser 96 % des matières issues des combustibles usés, notamment via la production de MOX, un combustible mixte à base de plutonium également utilisé pour la production d’électricité en France. Ce cycle vise trois objectifs : économiser les ressources en uranium, réduire les déchets radioactifs et limiter leur toxicité.

Le processus repose en partie sur des infrastructures étrangères. Par exemple, l’uranium de retraitement (URT) est enrichi dans l’usine sibérienne de Seversk, en Russie, avant d’être réutilisé en France. Cette coopération est rendue essentielle par l’absence d’installations adaptées sur le sol français.

Une dépendance à la Russie qui affaiblit la France et l’Europe

La France, pourtant pionnière dans la gestion des déchets nucléaires, se retrouve dans une situation de dépendance vis-à-vis de la Russie, notamment à travers des partenariats avec Rosatom, leader mondial de l’enrichissement d’uranium. Ce choix stratégique, qui permet aujourd’hui de recycler et d’utiliser l’URT, est un facteur d’incertitudes dans le contexte géopolitique actuel. Bien que le nucléaire civil ait été jusqu’à présent exclu des sanctions, rien ne garantit que cela durera toujours…

Insuffisances structurelles françaises

Le constat est clair : les capacités françaises de retraitement et d’enrichissement sont insuffisantes pour assurer l’autonomie complète de son cycle nucléaire. Malgré l’existence de l’usine Georges-Besse II exploitée par Orano à Tricastin, les infrastructures ne disposent pas des équipements nécessaires pour une étape clé : la conversion de l’uranium. Par ailleurs, la France ne possède plus de réacteurs à neutrons rapides capables de multi-recycler l’uranium appauvri, une technologie pourtant indispensable pour valoriser totalement cette ressource. Les réacteurs expérimentaux, tels que Superphénix ou Astrid, ont été abandonnés faute de soutien politique.

Investir dans l’avenir : des solutions industrielles et technologiques

La reconquête de la souveraineté énergétique passe par des investissements stratégiques. Parmi les initiatives notables, Orano prévoit d’investir 1,7 milliard d’euros dans l’extension des capacités d’enrichissement de Tricastin, avec une mise en service prévue en 2028. Mais cet effort ne suffit pas.

La relance d’un prototype de réacteur à neutrons rapides, comme recommandé par la Commission d’enquête, est essentielle. Ces réacteurs permettraient de fermer complètement le cycle du combustible en valorisant l’ensemble des résidus d’uranium. Cette technologie, déjà maîtrisée par la Russie avec le réacteur BN-800, offre la perspective de plusieurs millénaires d’autonomie énergétique.

La menace des sanctions internationales

Les incertitudes liées aux sanctions internationales sur la Russie accentuent les vulnérabilités françaises. Bien que le nucléaire civil soit actuellement épargné, les pressions diplomatiques, notamment des États-Unis, pourraient compromettre la chaîne logistique. Le transport maritime, essentiel pour l’envoi et le retour de l’URT, est tributaire de navires russes spécialisés et leurs assureurs russes eux-aussi, désormais sous le coup de restrictions internationales. Ces assureurs qui sont déjà dans le collimateur de Bruxelles pourraient à tout moment être sanctionnés sans une évaluation suffisante des conséquences pour la France.

De fait, le scénario d’une rupture brutale de ces partenariats expose la France à des problèmes importants : accumulation de stocks d’URT, rupture d’approvisionnement en combustible et hausse des coûts de production.

Reprendre le contrôle du cycle nucléaire français

La souveraineté énergétique française repose sur un impératif industriel : garantir l’autonomie complète de son cycle nucléaire. Pour ce faire, il faut renforcer les capacités nationales d’enrichissement et de retraitement, et investir dans des technologies de rupture, telles que les réacteurs de 4ᵉ génération.

Les décisions à court terme, comme l’accélération des investissements à Tricastin, doivent être accompagnées d’une vision à long terme, intégrant innovation technologique, résilience logistique et indépendance géopolitique. La France, forte de son expertise historique, peut redevenir un acteur majeur d’un nucléaire à la fois durable, innovant et souverain.

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