Crise énergétique : quelle stratégie pour l’industrie française ?

Quels sont les leviers pour maintenir l’attractivité industrielle française tout en s’alignant sur les objectifs climatiques ?

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La hausse spectaculaire des coûts de l’énergie depuis 2021 a bouleversé les équilibres économiques et industriels en Europe, exposant particulièrement la France. Avec une facture énergétique industrielle ayant doublé en trois ans, les entreprises, déjà confrontées à des enjeux de compétitivité, doivent désormais intégrer des impératifs écologiques dans leurs stratégies. Quels sont les leviers pour maintenir l’attractivité industrielle française tout en s’alignant sur les objectifs climatiques ?

Industrie : un choc énergétique aux conséquences structurelles

Entre 2019 et 2022, la facture énergétique des entreprises industrielles françaises a progressé de 100 %, tandis que les plus grands consommateurs ont vu leurs coûts quadrupler, notamment pour le gaz naturel. En 2022, les entreprises consommatrices de plus de 278 GWh/an ont payé en moyenne 90,2 €/MWh pour le gaz, contre 161,8 €/MWh pour les petits consommateurs, réduisant l’écart historique entre les grands et petits acteurs. Dans le secteur de la chimie, la production a reculé de 17 % au second semestre 2022, et celle de la sidérurgie de 28 % au premier semestre 2023. L’exposition des industries énergivores à des contrats indexés sur les prix de marché, qui représentent 37 % des contrats pour l’électricité et 51 % pour le gaz, a contraint les industriels à réduire la voilure.

Défis concurrentiels : l’Europe face aux États-Unis

Le coût de l’électricité, bien que relativement bas en France grâce au nucléaire, reste un sujet de préoccupation à moyen terme. La fin de l’Arenh (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) prévue après 2025 pourrait accentuer les tensions sur les prix, en l’absence de solutions de remplacement pour sécuriser l’approvisionnement des entreprises.

L’écart de compétitivité énergétique entre l’Europe et les États-Unis illustre une disparité structurelle. En 2023, le gaz naturel coûtait en moyenne 10 €/MWh aux États-Unis contre 40 €/MWh en Europe, principalement en raison des infrastructures de transport et de liquéfaction de gaz. Les États-Unis bénéficient également d’un marché domestique intégré et de surcapacités favorisées par leur commission fédérale de régulation de l’énergie (FERC).

Cet avantage se traduit par des coûts de production significativement plus bas dans les secteurs dépendants du gaz, comme la chimie ou la métallurgie, conférant aux entreprises américaines un atout décisif. Une étude de Compass Lexecon projette que le coût de l’électricité en Europe pourrait dépasser 110 €/MWh d’ici 2026, contre 40-50 €/MWh aux États-Unis, en Chine ou en Inde.

Des leviers pour sécuriser l’industrie française

Pour amortir la volatilité des prix, des contrats énergétiques à long terme doivent être privilégiés. Ces contrats, combinés à des mécanismes européens de découplage entre les prix de l’électricité et du gaz, pourraient limiter les hausses excessives. En France, la révision des politiques post-Arenh apparaît comme stratégique pour préserver l’avantage compétitif du nucléaire. La modernisation des infrastructures industrielles est également indispensable pour réduire la consommation d’énergie. Selon l’Insee, les industries françaises ont réduit leur consommation de gaz de 9 % en 2022, mais ces efforts doivent être renforcés par des subventions ciblées. Parallèlement, des investissements dans les énergies renouvelables doivent être intensifiés. Si la France dispose d’un mix électrique relativement décarboné grâce au nucléaire (70 % de la production), l’intégration de nouvelles capacités éoliennes et solaires est indispensable pour répondre à la demande croissante.

D’un autre côté, les hydrocarbures continuent de jouer un rôle majeur dans les approvisionnements énergétiques européens. Et, malgré les sanctions contre la Russie, le pétrole de Moscou continue d’alimenter l’industrie européenne. La « flotte fantôme », composée de pétroliers opérant hors des radars pour contourner ces restrictions, transporte chaque jour environ 3,5 millions de barils. Ce commerce parallèle entretient une offre mondiale de pétrole à bas coût, compliquant les efforts européens pour réduire leur dépendance énergétique, et présente des dangers écologiques majeurs. Pour contrer ce phénomène, l’Europe doit renforcer ses mécanismes de traçabilité et imposer des restrictions plus strictes aux ports accueillant ces navires. À long terme, la substitution du gaz russe par des sources locales comme le biogaz et l’hydrogène doit devenir une priorité stratégique.

Assurer la compétitivité et relocaliser l’industrie

La crise actuelle offre une opportunité de renforcer la souveraineté industrielle française. Les secteurs liés à la transition écologique, tels que les batteries, l’hydrogène et les matériaux décarbonés, doivent être prioritaires dans les projets de relocalisation. Des incitations fiscales spécifiques et un accès privilégié à des tarifs énergétiques compétitifs pourraient encourager ces investissements.

Pour protéger les industries européennes face à des importations à bas coût, une taxe carbone ajustée aux frontières est essentielle. Ce mécanisme permettrait d’aligner le coût des produits importés sur les standards environnementaux européens, tout en réduisant les distorsions de concurrence.

La France dispose de leviers puissants pour surmonter la crise énergétique, à condition d’agir rapidement et de manière coordonnée. Stabiliser les coûts énergétiques, accélérer la transition écologique et renforcer la souveraineté industrielle sont des axes incontournables. En investissant dans des infrastructures modernes et des technologies vertes, la France peut transformer cette crise en une opportunité pour construire une industrie compétitive, durable et alignée sur ses engagements climatiques.

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