Christian Simon – « L’effort doit être orienté vers la sortie des fossiles. Sortir le chauffage du gaz et du fioul et sortir le transport du pétrole »

Christian Simon – « L’effort doit être orienté vers la sortie des fossiles. Sortir le chauffage du gaz et du fioul et sortir le transport du pétrole »

Quelle place pour l'énergie nucléaire en France ?

Pour l’Energeek, Christian Simon, universitaire, a analysé les grands enjeux liés au secteur nucléaire en France, notamment la gestion des déchets, la perception des populations ou encore la place des renouvelables dans la transition énergétique.

Enseignant-chercheur, Christian Simon est maître de conférences HDR à Sorbonne Université. Il a conduit des recherches en modélisation moléculaire des liquides ioniques pour des applications à la chimie du combustible nucléaire. Il a été directeur adjoint du programme nucléaire et environnement du CNRS (NEEDS). Il est membre du bureau de l’Institut pour la Transition Environnementale de Sorbonne Université (SU-ITE).

Vous pouvez le suivre sur Twitter : https://twitter.com/ChSimonSU

 

  • La gestion des déchets nucléaires est un point d’inquiétude légitime pour les populations, comme en témoigne la multiplicité des mobilisations hostiles. Où en est la gestion des déchets radioactifs en France ?

 

Mon réflexe académique est de revenir à l’historique de cette problématique. Nous avons démarré les recherches sur ce sujet il y a 29 ans. Les recherches ont été régies par la loi de programme relative à la gestion des matières et déchets radioactifs (loi Bataille 1991). Ces recherches sont pluralistes et n’ont pas été uniquement menées par les producteurs de déchets, mais aussi par l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) bien sûr et séparément par l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) pour les questions de sûreté. Sans oublier de manière distincte et, quelquefois discordante, par le CNRS et les universités.

Ces recherches ont permis d’avoir une vision de l’ensemble des solutions concurrentes pour la gestion des déchets nucléaires dans la très longue durée. C’est à la suite de ces réflexions, qui ont duré une vingtaine d’années, qu’on était arrivé en 2012 à un premier débat national sur la question de la gestion des déchets. Cela faisait alors des années qu’un consensus s’était dessiné au sein de la communauté scientifique, et aussi au niveau international, pour conclure que la meilleure solution demeurait l’enfouissement profond.

Toute autre forme de conservation des déchets radioactifs suppose la tenue d’installations, leur entretien et éventuellement la surveillance par des humains. Sur des durées aussi longues, ce n’est évidemment pas envisageable.

En enfouissant, le but n’est pas de créer un coffre étanche. L’idée est que les radioéléments finiront par sortir. Mais on sait en combien de temps. Ce temps est très long et suffit pour garantir l’innocuité des radioéléments pour l’environnement biologique dont il doit être absolument isolé le jusqu’à la décroissance de leur radioactivité. Nous nous fondons sur les lois de la physique qui sont connues. Ce n’est pas une barrière que nous fabriquons qui va jouer son rôle de coffre-fort, mais la garantie de la lenteur de la diffusion à travers la roche.

 

  • Le projet CIGEO tient-il toutes ses promesses pour assurer le plus haut standard de sécurité pour les déchets radioactifs de haute activité et à vie longue ?

 

De l’avis de l’ensemble de la communauté scientifique française et internationale, on a de bonnes garanties. In fine, c’est malgré tout aux politiques de prendre leurs responsabilités et de choisir.

 

  • L’une des principales barrières au maintien du nucléaire est finalement l’acceptabilité sociale des populations. Peut-on encore convaincre de l’intérêt du nucléaire, alors même que l’esprit collectif reste encore marqué par la catastrophe de Fukushima ?

 

La notion d’acceptabilité sociale en sciences humaines et sociales a été réfutée de longue date. Cette notion ne permet pas de comprendre comment se forme l’opinion publique. Longtemps, les acteurs techniques du nucléaire ont continué à utiliser cette notion d’acceptabilité. À leur décharge, ils ne sont pas les seuls. Il faut réfléchir au débat public autrement qu’en termes d’acceptabilité. Il faut commencer par prendre le citoyen au sérieux. L’expérience de la Convention Citoyenne sur le climat actuellement doit inspirer. La question est la façon dont on répond aux inquiétudes légitimes.

Concernant le bilan radiologique de Fukushima, il est sidérant que 85% des Français aient une vision totalement fausse, 14% disant ne pas savoir, 1% seulement connaissant le bilan réel (à savoir : il n’y a pas eu et il n’y aura pas de morts attribuables aux rejets de radioactivité). C’est certes un échec pour les média, qui laissent 99% de la population sans information juste, mais aussi pour le système éducatif (et je me compte dedans) et les acteurs du secteur. Il faut mettre des moyens dans l’information et la transparence indispensables à l’échange.

 

  • Mais la figure du scientifique ne perd-elle pas de son autorité face aux acteurs politiques ou associatifs qui prennent aussi une place importante du débat public et sur les enjeux scientifiques ?

 

Pas si l’on en croit le dernier baromètre de l’IRSN sur la perception des risques et de la sécurité par les Français. Chaque édition présente un diagramme sur lequel sont placés les différents acteurs par les personnes sondées selon deux axes : crédibilité et compétence. Ceux qui sont dans le cadran supérieur droit, donc compétents et crédibles, sont les scientifiques du CNRS. Donc, si j’en crois le baromètre IRSN, oui, il faut encore s’en référer à la figure du scientifique. En revanche, on ne peut plus se contenter du cours magistral depuis le bas de l’amphithéâtre. Le débat public doit se faire avec le citoyen. L’expert doit se mettre à la même hauteur. Dans une société où 80 % de la population a le BAC, nous sommes tous à la fois l’expert et le candide de quelqu’un d’autre. C’est pourquoi j’ai contribué à initier un programme de science participative et citoyenne OpenRadiation : pour permettre à chacun de s’approprier ces enjeux, et y jouer pleinement son rôle.

 

  • Selon vous, quel serait le mix énergétique idéal dans un pays comme la France ? À l’horizon 2050, est-il possible d’envisager une transition vers des modes de production énergétique bas carbone sans forcément inclure l’énergie nucléaire dans notre mix global ?

 

2050 c’est tout près. C’est aussi près de nous que 1990. Le premier choc pétrolier est plus éloigné de nous que 2050, par exemple. À cette échéance-là, la France ayant un savoir-faire en nucléaire et ayant des réacteurs nucléaires, doit aller au plus pressé. Donc, les conserver. Ce n’est pas là que doit être placé l’effort, qui doit être orienté vers la sortie des fossiles. Sortir le chauffage du gaz et du fioul et sortir le transport du pétrole sont les priorités. Cela se fait en électrifiant, au moins partiellement.

Pour le transport, on peut faire un peu de biogaz, des biocarburants. Pour l’habitat, il y’a de nombreux renouvelables qui produisent de l’énergie thermique : le solaire thermique, les pompes à chaleur, la géothermie… Tout cela ne suffira pas, et il faut électrifier quand même. Le nucléaire déjà existant ne peut donc pas suffire seul. On peut penser à du nucléaire nouveau, ou considérer que cela fait de la place aussi pour les renouvelables électriques. Je pense en particulier au photovoltaïque en auto-consommation couplée au véhicule électrique.

On peut rester sur l’idée que peut être, on atteindra au total un mix énergétique avec 50 % de nucléaire et 50 % d’autres choses (je ne parle pas juste d’électricité, mais bien d’énergie finale), et cela peut-être 50 % à nucléaire constant. Je fais partie des gens qui pensent que ce soit 50/50, 60/40 ou 40/60 cela n’a guère de fondement aujourd’hui, et qu’il sera bien temps d’ajuster quand on y sera. Mais je ne vois pas comment on pourrait atteindre 100 % d’énergies renouvelables en 2050. Ça me semble aberrant.

 

 

Rédigé par : Christian Simon

Christian Simon
Enseignant-chercheur, Christian Simon est maître de conférences HDR à Sorbonne Université. Il est membre du bureau de l’Institut pour la Transition Environnementale de Sorbonne Université (SU-ITE).
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COMMENTAIRES

  • Quitter le fossile OUI, mais pas pour tomber dans le nucléaire.
    Dans cette voie comme dans ses déchets il n’y a pas de meilleur solution, il n’y en aurait que de moins mauvaises.
    Les meilleures solutions se trouvent ailleurs, dans les ENR

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  • 1- les énergies renouvelables ne permettrons jamais de fournir le volume d’énergie nécessaire à l’humanité. Les sommes colossales investis dans les renouvelables vont mener à la pertes notre économies.
    2- Actuellement notre pays s’endettent pour promouvoir des énergie renouvelables qui ne permettront pas de satisfaire aux besoins.
    3 -les milliards alloués aux énergies renouvelables devraient être en partie utilisés pour sécuriser notre nucléaire, réduire les volumes de déchets et développer de future centrales nucléaire qui présenteraient plus de sureté et de longévité. Notre nucléaire a permis d’éviter de larguer des millions de tonnes de gaz polluants. Ce n’est pas le moment de l’abandonner, alors que la planète en a besoin.

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