Avec 35 millions de compteurs installés en France à l’horizon 2021, le projet « Linky » est présenté par ses promoteurs comme une étape clé de la transition énergétique. Pour ses opposants, en revanche, il est perçu comme un moyen d’attenter à la vie privée des clients, tout en présentant des dangers pour la santé.
Linky, le nouveau compteur électrique d’Enedis (ex-ERDF), est en phase de déploiement depuis tout juste un an aujourd’hui. Peut-on pour autant lui souhaiter un « joyeux » anniversaire ? Rien n’est moins sûr. Sous le feu nourri des critiques depuis le début de son installation, le 1er décembre 2015, le compteur a sans doute autre chose à faire que de souffler sa bougie. Lundi dernier, par exemple, les élus de la commune de La Roque-sur-Pernes (Vaucluse) votaient à l’unanimité une délibération pour refuser l’installation du boitier sur leur territoire. Motif invoqué : il serait dangereux pour la santé et ne respecterait pas la vie privée des abonnés.
Aujourd’hui, alors que près de trois millions de compteurs sont déjà installés un peu partout en France, on estime à un peu moins de 300 le nombre de conseils municipaux s’étant déjà clairement positionnés contre Linky. Et, plus inquiétant, semble-t-il contre la loi elle-même. Les collectifs qui incitent les habitants à refuser la pose du compteur seraient, au même titre que les communes ayant pris des arrêtés en ce sens, dans l’illégalité. L’UFC-Que choisir a d’ailleurs épinglé certaines d’entre elles au motif que le boitier n’appartient pas aux citoyens mais bien à Enedis – qui en la responsabilité concédée. Mais de quoi parle-t-on au juste ?
« Recevoir des ordres et envoyer des données »
Selon ses promoteurs, le nouveau compteur électrique a vocation à jouer un rôle fondamental dans l’amélioration des réseaux électriques en France. La loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte (LTECV), adoptée en juillet 2015, indique d’ailleurs que Linky – et son pendant pour le gaz, « Gazpar » –, permettra de mieux maitriser la consommation d’électricité et partant, de lutter efficacement contre la précarité énergétique. « Les compteurs électriques actuels ont plus de 20 ans, ce sont des compteurs d’une génération vieillissante et on en remplace d’ores et déjà 1 million par an », indiquait Gladys Larose, chargée des relations externes sur le projet Linky chez Enedis, au média Les-smartgrids.fr en mars dernier. Selon cette dernière, « le boitier s’inscrit donc dans la continuité et la modernisation du réseau électrique ».
Que l’on soit favorable ou non au compteur, parler de « modernisation » n’a en effet rien d’exagéré. D’après la LTECV, Linky représente la première brique des « réseaux électriques intelligents », ou smart grids, expression dont la popularité ne cesse de croître. Ce qu’elle recoupe ? Ni plus ni moins qu’un vaste réseau de distribution d’électricité utilisant des techniques informatiques d’optimisation de la production, de la distribution et de la consommation. Ceci dans le but de rendre plus efficient l’ensemble du circuit électrique – du producteur au consommateur. Les smart grids sont par exemple désignés comme étant l’un des cinq piliers de la « Troisième révolution industrielle » promue par Jeremy Rifkin, fameux prospectiviste américain.
Lire aussi : Les nouvelles questions posées par Linky appellent de nouvelles réponses
Au sein des réseaux électriques intelligents, Linky aurait donc un rôle à la fois pionnier et agrégateur. Et pour ce faire, il « communique », « ce qui signifie qu’il peut recevoir des ordres et envoyer des données sans l’intervention physique d’un technicien« , peut-on lire sur le site Internet dédié au compteur. Comprendre : le boitier envoie à un « concentrateur » – unité informatique placée dans un transformateur électrique – les informations relatives à la consommation des clients, qui sont ensuite centralisées et transmises au centre de supervision d’Enedis. Lui-même pouvant in fine les communiquer aux différents fournisseurs d’électricité, afin qu’ils établissent une facture basée sur la consommation réelle – et non plus, comme c’est le cas aujourd’hui, sur une approximation.
« Risques pour la santé? »
La fin de la surfacturation de l’électricité, aussi bénéfique soit-elle, est cependant un argument que Stéphane Lhomme ne veut pas entendre. Conseiller municipal de Saint-Macaire (Gironde), celui qui a, au fil des années, gagné son statut d’opposant numéro un à EDF – parce qu’anti-nucléaire notamment –, est l’une des têtes de pont de la lutte anti-Linky. Et ce « pour plusieurs raisons« , expliquait-il mardi dernier à « la Nouvelle République« , dont l’une tient à la mise en danger éventuelle de la santé. « L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pointé des incertitudes très importantes sur la prétendue innocuité de ces appareils. Je n’ai pas envie que mes enfants ou mes administrés servent de cobayes et qu’on vienne me dire dans quelques années que c’était effectivement dangereux« .
Lire aussi notre interview de Stéphane Lhomme
Tout comme M. Lhomme, ils sont nombreux à pointer du doigt les atteintes sanitaires qu’entrainerait le boitier. Celles-ci tenant en deux mots : ondes électromagnétiques. Lorsque le compteur Linky « communique » avec le concentrateur d’Enedis, les informations passent par le « courant porteur en ligne » (CPL), technologie qui permet de construire un réseau informatique sur le réseau électrique d’une habitation par exemple. Problème : les appareils électriques ayant recours au CPL « rayonnent » lorsqu’ils fonctionnent, c’est-à-dire qu’ils émettent des radiofréquences.
« Nombreux sont ceux qui pointent du doigt les atteintes sanitaires qu’entrainerait le boitier »
Pour Annie Lobé, journaliste scientifique et autre pilier de la lutte anti-Linky, le boitier mettrait en danger la santé des personnes dites « électrosensibles », souffrant de symptômes causés selon elles par des champs ou des ondes électromagnétiques. « Les radiofréquences utilisées par les technologies sans fil et les objets connectés sont venues rejoindre les champs magnétiques de fréquences extrêmement basses de l’électricité (50 hertz), qui avaient déjà été classés dans la même catégorie « potentiellement cancérigène » par le CIRC en 2001 » d’après Mme Lobé. Le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC), organisme qui dépend de l’OMS, avait en effet classé en 2011 les radiofréquences dans la catégorie 2B, c’est-à-dire « potentiellement cancérigène ».
Lire aussi : Entre info et intox : le déploiement du compteur Linky en questions
Un discours un brin alarmant sans doute, idéologique, peut-être, mais qui trouve un écho chez tous les opposants au compteur. Pour tenter de dépassionner les débats, l’Agence nationale des fréquences (ANFR) a publié une batterie de mesures, dont la dernière date de septembre dernier. Elle conclut que Linky n’émet que très peu d’ondes en plus qu’un compteur classique. Réalisés in situ – et non pas en laboratoire comme les précédents –, les tests ont en effet confirmé que les niveaux de champ électrique restent en deçà des 87 V/m légaux. « Ces faibles niveaux d’exposition relevés chez des particuliers confirment que la transmission des signaux CPL utilisés par Linky ne conduit pas à une augmentation significative du niveau de champ électromagnétique ambiant » a d’ailleurs rapporté l’ANFR dans son communiqué.
Linky et big data
De quoi rassurer Stéphane Lhomme et consorts ? Pas si sûr. Pour l’élu de Saint-Macaire, l’étude de l’Agence nationale des fréquences « ne prouve pas [que les compteurs] ne sont pas dangereux. En vérité, il y a urgence à ne pas ajouter des ondes à celles dans lesquelles nous baignons déjà ». Même son de cloche chez Annie Lobé, qui attend beaucoup du rapport que devrait rendre très prochainement l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), saisie par le ministère de la Santé en mai dernier. Mais en admettant que les conclusions de l’Agence soient favorables au compteur, ses opposants pourront toujours se retrancher sur le sujet de la vie privée, non moins passionné que celui de la santé.
« Les anti-Linky attendent beaucoup du rapport que devrait rendre très prochainement l’Agence nationale de sécurité sanitaire, saisie par le ministère de la Santé en mai dernier »
Linky, porte d’entrée des smart grids en France, est également un élément facilitateur pour l’agrégation de données dans le domaine de l’énergie. En juillet dernier, Philippe Monloubou, le président d’Enedis, affirmait en effet que « nous sommes désormais un opérateur de big data qui va bientôt gérer 35 millions de capteurs connectés« . Souci : les anti-Linky crient à l’atteinte pure et simple à la vie privée. Pour Stéphane Lhomme, on assiste à « la nouvelle guerre de l’information, le ciblage le plus précis de nos vies, de ce que nous sommes ». Il ne s’agirait ni plus ni moins que d’un « business », dont l’exemple le plus parlant est l’utilisation des données Internet par les géants du numérique que sont Google, Amazon, Facebook et Apple – les « GAFA ».
Pourtant, dès le 1er décembre 2015, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) s’est positionnée sur le sujet, en posant des limites au stockage des données récoltées par Linky. Ces dernières sont donc seulement sauvegardées au niveau du compteur et ne peuvent être transmises au système d’information d’Enedis sans l’accord explicite du client. Qui reste d’ailleurs libre, à tout moment, de s’opposer au stockage de ses données. Un gage à destination des opposants au boitier, loin de satisfaire, à l’époque, la ministre de l’Environnement et de l’Energie, Ségolène Royal.
Lire aussi : Numérisation et énergies renouvelables : deux des enjeux actuels selon Jean-Bernard Lévy
Porteuse du projet de LTECV, la ministre voit en Linky « une étape clé pour réussir la transition énergétique« , notamment parce qu’il permet une meilleure maitrise de la consommation énergétique. Seulement, sans stockage des données, pas d’analyse possible ; sans analyse, pas de possibilité de savoir si Linky est efficace ou non. Du point de vue de la rationalisation de la consommation en tous cas. Car le compteur communicant est également un bon moyen d’intégrer les énergies renouvelables au circuit électrique classique. Comment ? En faisant appel aux énergies vertes – hydraulique, solaire, éolien… – lorsque la demande en électricité sera supérieure à l’offre. Encore trop tôt pour juger de son efficacité, il sera peut-être possible d’évaluer la pratique le 1er décembre 2017. Linky, alors, aura deux ans. Et toutes ses dents ?
Laisser un commentaire