Le célèbre projet ITER fêtera l’an prochain son dixième anniversaire, une occasion pour dresser un bilan de ce qui sera peut-être la première unité à produire de l’énergie nucléaire grâce au principe de fusion. Contrairement à la fission nucléaire qui engendre des quantités non négligeables de déchets radioactifs de longue vie, la fusion nucléaire pourrait représenter la panacée au casse-tête énergétique de beaucoup de pays en proposant une énergie durable, quasiment illimitée et source de très peu de déchets à traiter. A quelques mois du sommet sur le climat (COP21) qui aura lieu à Paris en fin d’année, et en plein vote de la loi de transition énergétique, le nucléaire est revenu au centre des débats. Une aubaine pour le projet ITER qui pourra profiter de ces discussions pour, peut-être, enfin démontrer que la fusion nucléaire n’est pas qu’une chimère de scientifiques.
La fusion nucléaire : le moteur énergétique du soleil
Au début du XXème siècle, Marie Curie découvre le principe de radioactivité qui lui permet d’être la première femme prix Nobel de physique en 1903. Mais c’est dans les années 20 que le physicien anglais Aston, grâce à ses travaux sur l’hélium, met en lumière le principe de fusion nucléaire. A cet égard, le principe scientifique de la fusion est simple : deux noyaux atomiques légers s’assemblent pour constituer un noyau plus lourd, ce qui libère une quantité énorme d’énergie. C’est ce principe qui s’applique dans des étoiles telles que le soleil : elles produisent de la lumière et de la chaleur grâce à la fusion d’atomes d’hydrogène. L’astronome Eddington, qui a été le premier à parler de fusion nucléaire pour les étoiles, rêvait qu’un jour « l’Homme apprenne à libérer cette énergie et à l’utiliser à ses propres fins ».
La seconde guerre mondiale met dramatiquement en exergue la puissance de l’énergie atomique à travers les événements d’Hiroshima et de Nagasaki, ce qui poussent les grandes puissances de l’époque à s’intéresser de plus en plus au nucléaire, qui constatent par ailleurs qu’au-delà d’être un objet militaire, le nucléaire pouvait être utilisé à des fins civiles. Si les centrales nucléaires commencent à ouvrir dans les années 50 aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France, elles fonctionnent sur le principe de la fission, un procédé qui génère des déchets radioactifs de longue vie. En effet, les scientifiques ont réussi à maîtriser le principe de fission nucléaire, mais n’arrivent pas encore à contrôler celui de la fusion.
Le tournant de l’histoire des recherches sur la fusion a lieu en 1958 lors d’une conférence à Genève rassemblant les grands experts mondiaux de l’époque sur le nucléaire. Pour la première fois ils partagent leurs travaux sur la fusion et en arrivent à la conclusion que maîtriser celle-ci ne sera pas une chose facile ; le physicien E. Teller souligne même à raison qu’il ne croit pas qu’au cours du XXème siècle elle aurait une quelconque importance.
Le projet ITER se fonde sur des principes magnétiques
Le second XXème siècle va voir les recherches sur la fusion connaître de belles avancées, en particulier grâce au contexte de la guerre froide qui permettait aux scientifiques Russes ou Américains de disposer de solides budgets pour les recherches destinées au nucléaire. Néanmoins, c’est dans les années 2000 qu’est lancé en France le fameux projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) rassemblant d’ailleurs les anciens protagonistes de la guerre froide : Russie, États-Unis, Union Européenne, Japon, l’Inde, la Chine et la Corée du Sud. Ce projet lancé en 2006 a pour but d’expérimenter le procédé de la fusion nucléaire sur le site de Cadarache, dans le Sud de la France.
L’objectif de cette expérimentation est de faire fusionner des variantes (isotopes) de l’hydrogène : le deutérium et le tritium. Mais pour cela il faut une température proche des 150 millions de degrés. Pour arriver à une telle température, les Russes ont trouvé une solution fondée sur les champs magnétiques : le tokamak. Cet instrument est le cœur du projet ITER, c’est dans celui-ci qu’aura lieu la fusion nucléaire. Cette chambre de confinement magnétique, au sein de laquelle doit se produire la réaction de fusion nucléaire, est aussi grande que l’Arc de triomphe du haut de ses 60 mètres, et pèse trois fois la tour Eiffel avec 23.000 tonnes. Ce bâtiment, financé à hauteur de 1,5 milliard d’euros par l’Union Européenne, « devrait être livré en 2018 et l’ensemble des 39 bâtiments à l’horizon 2022 » selon Laurent Schmieder, le responsable du génie civil.
La collaboration internationale a l’avantage de partager le financement du projet entre les différents acteurs, mais néanmoins cette forme de partenariat est très complexe par son processus de direction et de prise de décision, ce qui ralentit fortement le projet. Alors qu’ITER devait être livré avant 2020, son nouveau dirigeant et ancien directeur du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) M. Bigot affirme qu’ « il y a eu une période d’apprentissage. Aujourd’hui il y a une vraie prise de conscience de tous les partenaires qu’il faut une dimension managériale forte au projet». Les délais ne sont pas respectés et le budget non plus, ce qui poussent certains à pointer du doigt le projet ITER en le qualifiant de gouffre financier. Mais cette expérimentation, en plus de servir la science, sert l’économie puisqu’elle fait appel à plus de mille entreprises, ce qui pousse les dirigeants politiques à continuer ce projet en dépit des dépassements de délai et de budget. Le physicien Teller avait annoncé que la fusion n’aurait pas lieu durant le XXème siècle, il ne s’était pas trompé. Les responsables politiques et scientifiques actuels espèrent eux qu’elle aura lieu dans moins de dix ans.
Crédits photo: Materialscientist
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