Le président de Kemwatt, François Huber a accepté de nous faire un point sur les enjeux du stockage de l’énergie, ainsi que sur les priorités de son entreprise qui développe les batteries Redox Flow…
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Pouvez-vous nous parler des différents types de batteries existants : batterie lithium-ion, batterie Redox Flow et batteries Lead–acid ?
Pour commencer, le grand avantage des batteries Redox Flow, du moins les nôtres, c’est leur durée de vie. Elles sont effectivement incomparables aux batteries plomb-acide ou même lithium-ion, indépendamment des conditions d’utilisation ! Les batteries lithium-ion ou plomb-acide peuvent pourtant être menées assez loin en termes de durée de vie, mais en général cela passe par un surdimensionnement qui permet de les faire fonctionner dans une plage de charge et de décharge très faible. A l’inverse, vous pouvez utiliser les batteries redox flow dans des conditions beaucoup plus étendues sans incidence sur la durée de vie.
De même pour la température extérieure, avec les batteries lithium-ion ou plomb acide, il est impératif de les conserver à basse température car dès qu’on s’approche des 40/45°C, cela a un effet délétère sur leur durée de vie. Cela implique par exemple un conditionnement d’air pour les microgrids dans les pays émergents. Cela augmente forcément la complexité de l’installation et s’il y a des problèmes de maintenance, comme l’utilisateur ne se trouve pas dans les conditions d’utilisation garanties pour la batterie, non seulement on perd la durée de vie, mais en plus cela nous prive de recours contre le fabricant.
De plus, les batteries Redox Flow présentent aussi l’avantage de ne pas être sensibles au risque d’incendie ; en effet la partie conversion de la batterie baigne en permanence dans du liquide, dans notre cas il s’agit d’une solution aqueuse, avec des molécules organiques en milieu alcalin. Donc le risque d’incendie n’existe qu’au niveau des accessoires électriques. Il en va de même pour le risque de vol. En effet, la plupart de ces systèmes sont implantés dans des lieux isolés et le risque de vol avec les batteries plomb-acide ou lithium-ion est significatif puisque les gens peuvent le réutiliser chez eux pour différents usages. Dans le cas des batteries Redox Flow on a vraiment tout un procédé et il n’est pas possible de le voler module par module !
Par ailleurs, l’autre avantage de taille de notre batterie c’est qu’elle est en grande partie biodégradable, donc pour les pays émergents ou les zones insulaires, c’est un élément assez important parce que même si ce n’est pas déterminant au niveau opérationnel, pour les souscripteurs, c’est-à-dire les autorités locales, le fait d’avoir un système dont on sait à l’avance qu’il pourra être déconstruit avec un impact faible sur l’environnement, c’est quand même un plus énorme par rapport à des système qui utilisent du plomb, du chrome, ou des métaux qui vont avoir un effet rémanent dans l’environnement.
Notre technologie présente également un avantage comparatif lorsqu’on s’intéresse à la puissance et à la capacité des autres systèmes. Ainsi, avec notre option, lorsqu’on souhaite augmenter la capacité, on augmente seulement la quantité d’électrolytes et pas la quantité de batteries. C’est pourquoi, les batteries Redox Flow sont particulièrement intéressantes lorsqu’on souhaite stocker de l’énergie solaire, où on va avoir besoin de nombreuses heures de stockage. Les batteries lithium-ion ou plomb-acide vont permettre de stocker de l’énergie entre 2 à 4 heures, par rapport à la puissance nominale ; dès qu’on veut aller au-delà il faut racheter des batteries, tandis qu’avec les batteries Redox Flow, on rachète seulement du liquide, ce qui est évidemment plus économique… Surtout que l’on vise un système avec très peu de maintenance, dans les systèmes plus classiques on rencontre souvent des problèmes de corrosion, grâce à la chimie de notre système (milieu alcalin), ce qui nous permet d’utiliser des matériaux plus intéressants, mais aussi d’éviter le remplacement de pièces ou les fuites. En définitive, l’objectif est d’obtenir une durée de vie qui soit calquée sur les systèmes de production auxquels nos batteries seront raccordées, par exemple des panneaux photovoltaïques, et de limiter la maintenance à des visites d’entretien préventives.
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Peut-on dire que les batteries lithium ion sont plus performantes pour le stockage court tandis que les batteries avec électrolytes seraient plus performantes pour le stockage long ? Pourquoi ?
Effectivement, nous nous n’avons pas intérêt à concurrencer le lithium sur le stockage court, parce que c’est une technologie performante et mature. A moins d’avoir déjà une technologie de batterie extrêmement compétitive en termes de coût, ou de se positionner sur des appels d’offres où les cahiers des charges privilégient la différenciation, plutôt que les aspects maturité et coût, on ne va pas s’intéresser prioritairement au stockage court. En revanche, si un client vient vers nous en constatant un écart de coût en notre défaveur, mais qu’il insiste sur l’importance de se prémunir du risque incendie et la souligne son intérêt pour les solutions biodégradables, on ne s’interdit pas de proposer notre technologie. Toutefois, en général on ne se positionne pas sur le stockage court.
Sur le stockage long, il faut s’intéresser aux caractéristiques des réseaux. On remarque que jusqu’à présent il n’y a pas de demande de stockage long pour la gestion des principaux réseaux électriques, à l’inverse il existe une forte demande pour le stockage long de la part des microgrids dans les pays émergents. Sur ce type de marché, les solutions lithium-ion ne sont pas forcément très adaptées, pour les raisons mentionnées précédemment (maintenance, risque d’incendie ou de vol, résistance aux fortes chaleurs…). Aujourd’hui le stockage long concerne surtout des cas d’usages particuliers adaptés aux avantages des technologies Redox.
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Pensez-vous que votre technologie puisse répondre aux problématiques des territoires insulaires ? Avez-vous par exemple tenté d’approcher les responsables politiques dans les DOM-TOM ?
Nous pensons que c’est vraiment là que nos batteries sont les plus intéressantes, c’est le segment de marché le plus prometteur ! D’abord c’est un marché vraiment énorme, car lorsqu’on parle de systèmes électriques isolés on pense immédiatement à EDF SEI (direction des Systèmes Energétiques Insulaires) et aux DOM-TOM, mais il faut aussi penser électrification rurale dans les pays émergents, en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie du Sud-Est particulièrement. Dans ces régions, on estime qu’encore 1,2 milliards de personnes n’ont pas encore accès à l’électricité, et c’est pourquoi les gouvernements de ces pays se tournent de plus en plus vers le solaire et les systèmes de stockage pour électrifier les villages, où un système de quelques dizaines de kilowatts peut éviter d’attendre la construction d’un réseau similaire à ceux des économies avancées…
L’idée, c’est de faire un peu comme pour le secteur des télécoms… Dans ces régions, personnes n’envisage de mettre en place des systèmes filaires puisque la plupart des habitants disposent déjà d’un téléphone portable. Sur le plan énergétique, de très nombreuses sociétés regardent ce marché avec beaucoup d’attention, nous y compris. Toutefois, nous n’avons pas forcément pris des contacts avec les responsables politiques sur place, car si on prend l’exemple des DOM-TOM, il existe souvent déjà des agences énergétiques avec des moyens et des missions pour aller vers le stockage, il y a d’ailleurs déjà des expérimentations et des appels d’offres de la Commission de Régulation de l’Énergie qui sont orientés dans ce sens. Par contre, nous orientons plutôt nos discussions avec les gens qui répondent aux appels d’offres ; Pour conclure, je pense qu’il faut sortir de l’idée que les industriels doivent sensibiliser les décideurs pour orienter les politiques publiques ; l’objectif est plutôt de mettre en place des projets qui font la démonstration par l’exemple que des solutions existent pour résoudre les problèmes énergétiques contemporains… Une fois ce prérequis obtenu, il devient beaucoup plus facile de mettre en place des circuits de financement et des dispositifs réglementaires, afin d’encourager et d’encadrer des activités qui existent déjà.
A cet égard, on peut citer l’exemple du programme Smile en Bretagne. Le gouvernement a passé un appel d’offres pour des projets collaboratifs afin de mettre en place des smartgrids. Les projets étaient déjà dans l’écosystème, ils ont été mis en évidence dans le dossier de réponse et finalement l’État a entériné la cohérence de ces projets en apportant un cadre et un financement.
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Que pensez-vous de la transition énergétique française et notamment des objectifs pour les ENR ? (Pensez-vous que les technologies de stockage sont suffisamment matures et seront suffisamment développées pour intégrer 32% d’énergies renouvelables en 2030 ?)
Il est difficile de se prononcer sur des sujets aussi macro. Toutefois, nous développons une technologie en particulier donc on connaît un petit peu le monde du stockage, et 32% d’énergies renouvelables en 2030 cela ne semble pas être un objectif très compliqué à atteindre… Néanmoins, dans les énergies renouvelables on peut dire qu’il y a un peu deux mondes : l’urbain et le décentralisé ! Alimenter une grande ville avec uniquement des panneaux solaires et des éoliennes, cela semble déjà moins évident, sauf dans le cas des éoliennes off-shore et en particulier les éoliennes flottantes car on peut potentiellement atteindre des centaines de mégawatts.
A côté de cela il y a aussi un système de stockage auquel on ne pense pas forcément automatiquement, notamment pour l’arrière-pays, c’est le parc de véhicules électriques qui devra nécessairement être géré de façon intelligente. En effet, si le parc de véhicules électriques est géré par les utilisateurs quotidiens, cela peut rapidement devenir catastrophique pour le réseau, puisque les gens vont charger leur batterie au moment du pic de consommation, le soir en rentrant chez eux au moment même où ils allument leur chauffage et leur(s) télévision(s). Dans cette éventualité, on aggraverait considérablement la situation du réseau. Par contre si le développement de l’électromobilité se développe avec un système de gestion, on peut imaginer que les véhicules contribuent à l’équilibre entre la production et la consommation, avec des charges en journée pour absorber le pic de production de l’énergie solaire, ou au contraire compenser la baisse de la demande pendant la nuit, en se chargeant sur la base nucléaire.
Le stockage d’énergie, avec des systèmes qui vont jusqu’à l’échelle mégawatt – et pas au-delà, comme pour les systèmes de stockage massif qui vont jusqu’aux gigawatts tels que le permettent les centrales hydroélectriques – cela se prête bien au couplage avec l’énergie renouvelable distribuée, tous les parcs photovoltaïques et les éoliennes…
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Votre société Kemwatt a été créée en 2014. Quelles sont les prochaines étapes de votre développement ?
Actuellement nous comptons 11 salariés ; on dispose d’un prototype qui n’est pas destiné à être testé sur site – il reste dans notre labo pour les essais. Nous avons un démonstrateur de 30 Kilowatts en cours d’achèvement. Nous sommes déjà en phase de commercialisation pour des systèmes expérimentaux, il nous reste encore à obtenir les certifications pour les futurs produits standards, l’objectif est donc de commencer à réaliser des ventes. En parallèle, on multiplie les démonstrations pour être capable de bien comprendre le fonctionnement de notre système dans les applications des clients, et le cas échéant faire les ajustements nécessaires. Enfin, on va réaliser un système plus puissant puisque nous sommes pour l’instant en entrée de gamme, celui-ci devrait atteindre les 100 kilowatts, il est prévu pour la fin de l’année prochaine.
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