Le Conseil de politique nucléaire (CPN) a gravé dans le marbre une priorité stratégique de long terme le 17 mars dernier : « atteindre la fermeture du cycle du combustible nucléaire dans la deuxième moitié du siècle ». Le gouvernement entend ainsi relancer un projet plusieurs fois avorté, malgré des tentatives technologiques retentissantes, ou retentissantes d’échecs. Superphénix, sabordé en 1997. Astrid, enterré en 2019. Autant de symboles d’une ambition mal calibrée, et surtout mal financée.
Les objectifs actuels, eux, ne manquent pas de clarté. Il s’agit de réduire la dépendance à l’uranium importé, de valoriser les matières fissiles déjà extraites, et de mieux gérer les déchets à longue vie. Mais entre l’affichage politique et la réalité industrielle, le gouffre est profond. Car fermer le cycle du combustible, ce n’est pas une promesse électorale, c’est une transformation complète de l’appareil de production nucléaire national.
Nucléaire : une question de cycle… et de recyclage
En l’état, le système repose sur un mode linéaire. On extrait de l’uranium, on l’enrichit, on l’utilise dans un réacteur à eau pressurisée (REP) pendant quelques années, puis on retraite les combustibles usés à La Hague. Seul hic, ce recyclage ne fonctionne qu’une fois. Le MOX (Mixed Oxide Fuel), fabriqué à partir du plutonium extrait, ne passe qu’un tour dans le réacteur. Ensuite ? Direction les déchets. Pour « fermer le cycle », il faut donc aller plus loin. Multirecycler. Et pour cela, les Réacteurs à Neutrons Rapides (RNR) sont la seule voie techniquement envisageable.
Ces machines, capables de brûler le plutonium à plusieurs reprises et d’utiliser l’uranium appauvri, pourraient exploiter les centaines de milliers de tonnes de matières stockées en France. Sylvain Nizou et Maxence Cordiez le rappellent sans détour dans Le Point : « Ces réacteurs permettraient donc de réduire, voire de se passer à terme, d’importations d’uranium en valorisant pendant plusieurs milliers d’années les matières issues du cycle du combustible et présentes sur le territoire ». Mais encore faut-il que ces réacteurs existent. Et surtout, qu’ils trouvent un modèle économique viable.
Un modèle économique à inventer pour les réacteurs à neutrons rapides
L’un des principaux écueils des RNR, c’est leur coût. Superphénix a englouti des milliards pour un rendement incertain. Astrid, censé redonner un second souffle à la filière, n’a jamais dépassé le stade du plan d’ingénierie. À chaque fois, le verdict fut le même, trop cher, trop complexe, trop risqué. Aujourd’hui, le CPN veut éviter ces impasses. Il a demandé aux industriels (EDF, Orano, Framatome) et au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) de remettre d’ici décembre 2025 un programme de travail cohérent pour « relancer la maîtrise des réacteurs à neutrons rapides et des technologies du cycle associées ».
Mais pour que ces projets survivent au-delà du PowerPoint, il faut les insérer dans une logique économique. Et c’est là que la donne change. Les auteurs de la tribune dans Le Point défendent une réorientation radicale : « Produire de la chaleur à haute température pour l’industrie, stockable et utilisable en continu, plutôt que de viser exclusivement l’électricité pour le réseau. » Cette chaleur, atteignant 500 °C, bien au-delà des 250 °C des REP classiques, pourrait alimenter des secteurs industriels incapables de se passer des énergies fossiles. Cimenteries, raffineries, chimie lourde : autant de niches où le nucléaire pourrait s’imposer. Une piste qui change la donne stratégique, mais qui impose un bouleversement des habitudes.
Petits réacteurs, grandes ambitions ?
Pour que ce basculement ait un sens, encore faut-il penser à l’échelle. Là où un réacteur électrogène peut se permettre des arrêts, un réacteur calogène (producteur de chaleur) doit garantir un service continu à l’industriel voisin. La solution ? La redondance. Mieux vaut plusieurs unités petites et modulaires qu’un mastodonte à l’arrêt une fois par mois. Ce raisonnement alimente un engouement pour les petits réacteurs modulaires, les fameux SMR (Small Modular Reactors).
Le CPN s’en est d’ailleurs saisi, saluant « le succès de l’appel à projets France 2030 sur les SMR » et promettant un soutien renforcé au développement de ces technologies, notamment le projet NUWARD d’EDF. Mais dans les faits, la route est longue. Les investissements se chiffrent en milliards d’euros. Le CPN a certes validé un modèle de financement pour les six premiers EPR2, basé sur un prêt d’État et un prix garanti de 100 euros par MWh, mais rien de tel n’existe encore pour les futurs RNR.