Depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, les sanctions économiques imposées à la Russie par l’Union européenne (UE), le G7 et l’Australie ont suscité de nombreux débats. En deux ans, ces mesures, destinées à affaiblir la capacité de la Russie à financer le conflit, se sont multipliées, mais leur efficacité reste incertaine. Parmi les instruments déployés, l’embargo sur le pétrole et le plafonnement des prix ont joué un rôle central, soulevant des questions sur leur impact réel, mais aussi sur les risques environnementaux qu’ils impliquent.
Plafonnement du prix du pétrole : une mesure complexe à mettre en œuvre
En 2022, les sanctions contre la Russie allaient au-delà d’un simple embargo sur le pétrole. Elles incluaient un mécanisme de plafonnement du prix du baril de brut russe à 60 dollars, une mesure adoptée par 32 pays, incluant l’UE, le G7 et l’Australie. L’objectif était double : limiter les recettes de la Russie tout en évitant une flambée des prix mondiaux de l’énergie. En effet, un retrait complet de la Russie, le deuxième exportateur mondial de brut après l’Arabie saoudite, aurait engendré des pénuries importantes sur le marché mondial, affectant en premier lieu les économies européennes.
Cependant, faire entrer en vigueur cette mesure s’est révélé quasiment impossible. Francis Perrin, spécialiste des questions énergétiques, mettait en garde : « l’efficacité de cette sanction particulière est plus difficile à apprécier (…) sa mise en œuvre est et sera très complexe ». La Russie a rapidement réagi en signant un décret interdisant la vente de son pétrole aux pays appliquant le plafonnement. Pour contourner cette difficulté, les pays signataires ont imposé une interdiction aux entreprises d’assurance de couvrir les cargaisons de pétrole vendues au-dessus de ce seuil, un mécanisme particulièrement ciblé puisque les assureurs européens et britanniques contrôlaient à l’époque entre 90 et 95% du marché de l’assurance maritime.
Une « flotte fantôme » pour contourner les sanctions et les risques pour l’environnement
Malgré l’astuce de la limite de valeur pour les cargaisons, les effets escomptés ne se sont pas concrétisés comme prévu. La Russie a développé une « flotte fantôme » (ou shadow fleet en anglais), composée de centaines de navires non identifiés, capables de transporter jusqu’à 1,7 million de barils de pétrole par jour vers des marchés asiatiques tels que la Chine et l’Inde. Cette stratégie a permis à la Russie de continuer à exporter son pétrole malgré les restrictions occidentales, en échappant aux mécanismes de surveillance internationaux.
Cependant, la nature de cette flotte pose des problèmes majeurs, notamment en matière de sécurité environnementale. Selon plusieurs experts, ces navires sont souvent plus anciens que la moyenne de la flotte mondiale. Dans le meilleur des cas, ces navires vétustes sont assurés par des sociétés russes, ce qui garantit un certain contrôle. Dans le pire, ils ne le sont pas du tout, faisant courir au monde d’importants risques environnementaux, selon un rapport du journal Le Temps. La présence de ces navires non identifiés accroît les risques de déversements accidentels de pétrole en mer, une menace pour la biodiversité marine et les écosystèmes côtiers.
Entre efficacité économique et défis de la mise en œuvre
Les sanctions européennes, qui visent également des secteurs clés comme le charbon, l’acier ou encore les produits de luxe, ont réduit les importations européennes de la Russie de 58% par rapport à 2021. Cependant, des secteurs stratégiques comme le gaz et l’uranium restent largement exclus des restrictions, en raison de la forte dépendance de certains pays européens. Par exemple, le gaz russe représente encore 15% des importations européennes, contre 43% avant la guerre, tandis que l’uranium est indispensable pour alimenter plusieurs centrales nucléaires en Slovaquie et en Hongrie.
En parallèle, la mise en œuvre de ces sanctions se heurte à des difficultés structurelles. Chaque État membre de l’UE applique les sanctions à sa manière, ce qui crée des divergences dans leur application. La complexité de la coordination entre les pays de l’UE et le Royaume-Uni, qui a son propre régime de sanctions depuis le Brexit, augmente les risques de contournement. Comme l’explique Tom Keating, expert au think tank RUSI, « à chaque divergence, vous créez un risque de faille ». Ainsi, l’absence d’une application uniforme des sanctions ouvre des brèches que Moscou exploite habilement pour poursuivre ses activités économiques.
Un impact difficile à mesurer et des perspectives incertaines
Malgré les efforts pour restreindre les flux financiers et commerciaux de la Russie, évaluer précisément l’impact des sanctions reste un défi. Moscou a cessé de publier des données économiques, obligeant les analystes à se tourner vers les « flux miroir », c’est-à-dire les données commerciales des pays partenaires de la Russie. Ce manque de transparence complique la tâche pour mesurer les effets réels des sanctions sur l’économie russe.
À court terme, les sanctions n’ont pas réussi à freiner les exportations de pétrole de la Russie. Elles ont en revanche entraîné une redirection des flux commerciaux vers l’Asie et une montée en puissance de la « flotte fantôme ». Sur le long terme, la Commission européenne espère que les restrictions gagneront en efficacité, à mesure que les moyens de contournement s’épuiseront.
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