La filière du gaz naturel liquéfié (GNL) en Europe fait face à une reconfiguration industrielle majeure. Alors que la construction de nouveaux terminaux d’importation s’est accélérée ces dernières années, les tendances de consommation indiquent un retournement de situation qui pourrait laisser une grande partie des infrastructures sous-utilisées.
Surcapacité des terminaux de GNL : un décalage entre infrastructure et demande
L’Europe a vu son parc de terminaux de GNL s’agrandir rapidement depuis 2022, avec une augmentation de 23% de sa capacité d’importation. Parmi les principaux pays ayant contribué à cette hausse, on trouve l’Allemagne, l’Italie, la Turquie et les Pays-Bas. Cependant, le taux d’utilisation de ces infrastructures est en chute libre, atteignant en moyenne 47,2% au premier semestre 2024, contre 62,8% en 2023 en moyenne.
Sur le plan industriel, cette surcapacité pose des questions majeures. Le coût élevé des terminaux, tant en matière de construction que d’exploitation, se justifiait par une demande en forte croissance dans le cadre de la stratégie de diversification des approvisionnements européens après la crise russo-ukrainienne. Cependant, l’effondrement de la consommation de gaz en Europe – notamment en raison de la transition vers des énergies renouvelables – remet en cause la rentabilité à long terme de ces infrastructures.
Le paradoxe de l’investissement dans les infrastructures gazières
Malgré la baisse continue de la demande, de nombreux projets de terminaux sont encore en cours ou à l’étude. Si certains pays, comme la Lituanie ou la Pologne, ont suspendu ou annulé des projets d’expansion, d’autres continuent de planifier de nouvelles infrastructures. À titre d’exemple, des projets en Grèce restent dans une incertitude opérationnelle, tandis que d’autres pays européens investissent toujours dans l’extension de leurs capacités d’importation.
Du point de vue industriel, ces choix révèlent une stratégie contradictoire. D’un côté, la diversification des sources d’énergie pour assurer la sécurité des approvisionnements reste un impératif stratégique pour de nombreux États européens. D’un autre, les prévisions annonçant une baisse de 37% de la demande de GNL d’ici 2030 mettent en lumière le risque croissant de voir une large part des terminaux inutilisée. Cette situation soulève des interrogations sur la viabilité des investissements à long terme et le retour sur capital engagé dans ces infrastructures.
Répercussions sur les chaînes d’approvisionnement et les contrats industriels
Le ralentissement de la demande en GNL en Europe a également un impact direct sur les chaînes d’approvisionnement industrielles, notamment en ce qui concerne les contrats d’importation et d’exploitation des terminaux. Les opérateurs de terminaux, qu’ils soient publics ou privés, se retrouvent face à des engagements financiers importants alors que les volumes importés déclinent. La baisse d’utilisation des terminaux pourrait provoquer une révision des contrats entre les fournisseurs de GNL, les opérateurs de terminaux et les acteurs du marché.
De plus, l’augmentation paradoxale des importations de GNL russe, malgré les sanctions européennes, illustre un autre enjeu industriel. Certains pays, comme la France, ont vu leurs importations de GNL en provenance de Russie augmenter de manière significative, en raison de contrats à long terme qui, bien qu’influencés par des décisions géopolitiques, ne peuvent être facilement renégociés. Ces contrats maintiennent un flux de GNL malgré la baisse globale de la consommation et créent un surplus d’approvisionnement dans un marché déjà saturé.
Risques industriels à long terme : vers des actifs échoués ?
Le risque majeur pour l’industrie du GNL en Europe réside dans le potentiel de création d’actifs échoués, ces infrastructures coûteuses devenant inopérantes ou non rentables faute de demande suffisante. Avec une diminution constante des importations de GNL et une transition vers des énergies alternatives, de nombreux terminaux pourraient ne plus remplir leur fonction initiale d’ici la fin de la décennie. L’industrie du GNL devra s’adapter à ce nouvel environnement en modifiant ses modèles d’affaires pour intégrer la réalité d’une demande réduite et d’une surcapacité structurelle.
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