"Cigéo dépasse le cadre local et le seul secteur nucléaire : c’est un projet d’intérêt général"

“Cigéo dépasse le cadre local et le seul secteur nucléaire : c’est un projet d’intérêt général”

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A l’heure de la réduction de la part de l’électricité d’origine nucléaire dans notre mix énergétique, la question du stockage des déchets hautement radioactifs déjà produits fait débat. Les entreposer en surface pour éviter les transports ou les stocker en profondeur, chacun à son avis sur la question. Validé une première fois en 2006 après plus d’une décennie d’analyses techniques et scientifiques, ce principe de stockage géologique a été confirmé le 11 juillet 2016 par le Parlement français. Valérie Faudon, déléguée générale de la Société Française d’Énergie Nucléaire (SFEN) nous donne son avis sur ce projet Cigéo.

  • Le 26 octobre 2017, lors d’un entretien avec Bertrand Pancher (député de la Meuse), Nicolas Hulot lui aurait dit que le stockage en profondeur des déchets nucléaires “est un mal nécessaire”. Le 9 novembre dernier devant le Sénat, il a renchéri en disant que c’est la moins mauvaise solution”. Quelle est votre conviction concernant ce projet Cigéo ?

Cigéo est un projet qui témoigne de la conscience écologique et environnementale de la filière nucléaire. La responsabilité des générations contemporaines – qui bénéficient d’une électricité qui ne rejette ni polluants atmosphériques ni gaz à effet de serre – est de mettre en place des solutions pour gérer les déchets issus de cette énergie.

Le projet Cigéo dépasse le cadre local et le seul secteur nucléaire : c’est un projet d’intérêt général.

Par ailleurs, le stockage des déchets les plus radioactifs dans une couche géologique profonde est la solution préconisée par l’ensemble des experts. La France n’est donc pas une exception. Bien avant nous, les pays nordiques, Finlande et Suède, ont fait ce choix et leur projet est en train de se concrétiser. Le Canada, la Chine, la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon travaillent aussi à des solutions de stockage.

Un tel consensus international est un gage solide de crédibilité et conforte la confiance que l’on peut avoir dans le projet.

  • Vous êtes-vous déjà rendue sur place ? Cette visite du laboratoire à 500m de profondeur a-t-elle renforcé votre avis ou des doutes se sont-ils installés ?

Je me suis rendue à plusieurs reprises au laboratoire de l’Andra. Le laboratoire de Bure est un projet hautement technologique. Depuis plusieurs années, les chercheurs et les ingénieurs sont mobilisés pour innover. Tout est étudié et mis en œuvre pour développer les technologies et les matériaux qui permettront de confiner les déchets sur de longues échelles de temps.

Quand on va à Bure, on réalise que les déchets seront pris en charge comme des produits manufacturés. En effet, pour garantir la sûreté des centres de stockage, l’autorisation d’entrée d’un colis de déchet radioactif ainsi fabriqué repose, comme pour un produit manufacturé, sur un ensemble de spécifications techniques qui doivent être impérativement respectées et qui portent sur les caractéristiques et le contenu radioactif des déchets, les propriétés des emballages, leur aptitude à confiner la radioactivité, leur résistance à la chute, aux chocs et aux incendies…

C’est une démarche fondamentalement originale qui consiste à traiter le déchet radioactif, qui par définition n’a plus d’utilité, dans une ligne de fabrication comparable en tout point à celle d’un produit utile qui a une valeur ajoutée, avec la même application dans son élaboration.

  • Pour le réseau Sortir du Nucléaire “Les déchets sont le talon d’Achille du nucléaire et les laisser enfouir, c’est laisser la possibilité à l’industrie de persister”. Est-ce le même débat ?

Au-delà du débat « pour ou contre » l’énergie nucléaire, l’intérêt général impose d’aboutir à des solutions techniques industrielles et opérationnelles pour continuer à réduire le volume des déchets et s’assurer que les conditions de stockage mises en place aujourd’hui n’entraîneront aucune nuisance pour les générations futures. Le projet Cigéo permet de répondre à cette exigence éthique.

  • Corine François, présidente du collectif “Bure Stop 55” propose de “laisser les déchets existants sur les lieux de production, pour éviter les transports”. Est ce une bonne chose de penser à entreposer les déchets de haute et moyenne activité à vie longue en surface ?

Contrairement à ce qui est affirmé par certains opposants au projet, le choix du stockage s’appuie sur un consensus scientifique international et sur plusieurs décennies de recherche et développement.

La profondeur du stockage, sa conception, son implantation dans une roche argileuse imperméable et dans un environnement géologique stable sont autant d’éléments permettant d’isoler les déchets des activités humaines et des événements naturels de surface. Les substances radioactives seront confinées très longtemps. Une fois l’installation refermée, elle ne nécessite plus d’action humaine. De ce fait, la charge de la gestion des déchets n’est pas reportée sur les générations futures, et leur protection est assurée.

Il s’agit là d’une vraie différence par rapport à l’entreposage en surface. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) considère qu’il ne s’agit pas d’une solution « définitive » pour la gestion des déchets radioactifs de haute activité à vie longue.

  • En même temps êtes-vous pour la réversibilité du projet cigéo ?

Loin de mettre fin au projet, la notion de réversibilité a crédibilisé encore davantage le stockage en profondeur, considéré par les acteurs institutionnels – Parlement, OPESCT et CNE – comme la solution technique de référence.

Cette flexibilité devrait permettre aux générations futures d’avoir le choix de continuer d’exploiter l’installation comme prévu initialement, de la faire évoluer ou de revenir en arrière. Possible aussi pour elles d’accélérer ou d’en ralentir la construction. Possible encore d’anticiper ou reporter la fermeture définitive de Cigéo. Les plans initiaux pourront aussi être modifiés pour s’adapter à de nouveaux types de colis de déchets, à des moyens de creusement plus performants, ou encore intégrer les nouvelles connaissances acquises. La réversibilité donne la possibilité de faire évoluer le mode de gestion et de s’adapter aux évolutions des connaissances et de l’attente de la société.

Copyright photo : 4 vents

Rédigé par : Valérie Faudon

Valérie Faudon
Déléguée générale de la Société Française d'Énergie Nucléaire (SFEN). Ingénieure de formation, diplômée de l’Ecole Polytechnique et de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, Valérie Faudon a développé ses compétences à Sciences Po et obtenu un Master of Science de l'Université de Stanford, en Californie. Au niveau professionnel, elle a d’abord commencé à travailler dans l’informatique chez Hewlett Packard et Alcatel-Lucent, avant de rejoindre le nucléaire en 2009, d’abord chez AREVA en tant que directrice marketing, puis à la SFEN en tant que déléguée générale.
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COMMENTAIRES

  • Le stockage n’est pas à l’abri de plusieurs risques dont incendie du fait des composés stockés comme çà a été maintes fois détaillé et relevé entre autres par l’ASN et les possibilités d’intervention limitées.

    Il est sans doute plus intéressant malgré le coût d’envisager la réduction des durées de vie des LLFP.

    En outre un pays peut très bien si nécessaire s’en charger pour d’autres ou les autres.

    Les demi-vies effectives des produits de fission de très longue durée de vie (LLFP) pourraient en effet être réduites de centaines de milliers d’années à environ 1 siècle, comme le confirme encore une équipe de recherche japonaise qui s’est concentrée sur le sélénium-79, zirconium-93, technétium-99, palladium-107, iode-129 et césium-135.

    Ils estiment par exemple que les 17 000 tonnes de LLFP actuellement stockés au Japon pourraient potentiellement être éliminés en utilisant 10 réacteurs à spectre rapide. Leur méthode présente également comme ils le soulignent l’avantage de contribuer à la production d’électricité et soutenir les efforts de non-prolifération nucléaire.

    Entre enfouir des déchets pour plus de 100.000 ans sans aucune garantie et réduire leur durée de vie à environ 1 siècle voire 3 siècles maxi et si tous les déchets LLFP peuvent être concernés, cette solution est à priori préférable.

    https://phys.org/news/2017-11-fast-reactor-shorten-lifetime-long-lived.html

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